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Les acteurs de la sécurité : entre distance et contacts ponctuels

2. L’INSCRIPTION PARTENARIALE DES ÉQUIPES DE CORRESPONDANTS

2.2. LES CDN COMME PARTENAIRES OPÉRATIONNELS

2.2.2. Les acteurs de la sécurité : entre distance et contacts ponctuels

Pour ce qui concerne les relations avec les acteurs de la sécurité (essentiellement Police nationale et groupement parisien inter-bailleurs de surveillance, GPIS), les liens sont assez

distendus, ce qui s’explique par la nature des missions (prévention/médiation vs

sécurité/répression) mais aussi par des cultures de travail liées à ces activités. C’est ce qu’exprime l’un des interlocuteurs parmi beaucoup d’autres :

« Nous notre travail c’est le rétablissement de l’ordre ; eux font du lissage, de l’entretien, ils voient et

suivent ce qui se passe après notre intervention » (Police nationale).

Cette faiblesse des relations se joue différemment en fonction des scènes : CdN et policiers n’entretiennent pas de contacts dans l’espace public mais ont des liens en termes d’échanges d’informations. Cependant, cet échange d’informations s’opère à un relativement haut de généralité, les CdN ne transmettent quasiment aucune information « policière » (et ce, à la différence de ce que pensent certains jeunes, voire même certains acteurs des quartiers). Les partenariats sont donc relativement limités, à l’exception de l’un des arrondissements où l’on compte des relations plus coopératives.

a) Des relations coopératives mais distendues

Replacées dans la durée, ces relations sont caractérisées par une progressive compréhension des rôles respectifs. Certains policiers songeaient par exemple à utiliser les CdN pour des missions assez éloignées de leur cœur de mission, flou qui s’est quelque peu dissipé avec le temps :

« Au début, on pensait les envoyer sur des fuites de gaz, des fuites d’eau, comme ce qui avait été dit à la réunion. Mais les pompiers préfèrent que ce soit les pompiers et il y a eu très vite un problème de

disponibilité et de territoire quand les policiers les ont appelés pour intervenir » (Police nationale).

Dans certains cas, les doutes initiaux, voire les craintes, sur leur rôle se sont progressivement dissipés. Les inquiétudes ont fait place à une forme de reconnaissance de leur « professionnalisme » (ou tout au moins de leur mandat institutionnel) :

« Au début, quand ils sont arrivés, on avait une crainte : le syndrome du grand frère de banlieue allié

des délinquants. Et en fait ça n’a pas du tout été le cas, les CdN ont été et sont totalement neutres. Ce qu’on apprécie beaucoup, c’est qu’ils ont un vocabulaire adapté, posé, distancié, du recul par rapport aux autres dans la rue ; ils se présentent comme agents de la mairie, ils savent se situer sur l’échiquier urbain. Leur

action s’est pérennisée car ils sont à la hauteur » (Police nationale).

On ne compte que très peu de différends entre les CdN et les agents de sécurité. Le seul épisode conflictuel que l’on nous ait rapporté relève d’une forme d’incompréhension ponctuelle : il avait été demandé aux CdN de noter les plaques d’immatriculation des véhicules de police et de pompiers circulant sur leur territoire… ce qui a conduit à une altercation avec des CRS dans le 18e : alors qu’un CdN note l’immatriculation, il est interpellé par un CRS qui s’étonne qu’il note leur plaque… et les CdN ont toutes les peines du monde à expliquer qu’ils travaillent pour la mairie de Paris et que c’est une mission qui leur est confiée par leur institution19. Du côté des CdN, quand l’un d’eux avait été agressé à la Grange aux Belles fin 2009, avait été exprimé un reproche quant à l’intervention tardive de la police pour les protéger, ce qui avait conduit le commissaire à leur rendre visite à la base… favorisant ainsi des relations plus coopératives par la suite (cf. infra). Les policiers formulent parfois quelques critiques quant à la connaissance un peu aléatoire des procédures par les CdN, mais il n’y a ici rien de fondamental :

« Les deux incidents par rapport à eux c’est à cause d’une méconnaissance du droit, cela fait

d’ailleurs partie de la question de leur formation, (…) [sur] ce qui est permis de faire légalement. On a

l’exemple du portable qu’ils restituent à un gamin qui leur dit que c’est le sien : il faut vérifier que ce portable

est bien le sien, on ne rend pas un portable comme ça à quelqu’un » (Police nationale).

19 Ajoutons à cela qu’alors que le CRS appelle le commissariat du 18e pour vérifier les dires du CdN, il lui est

Si les conflits sont rares, les relations sont faiblement intégrées. Ici, une distinction doit être effectuée entre l’espace public, où les relations sont (quasiment) absentes, et les autres scènes pour lesquelles il existe des contacts. Au niveau de l’espace public, l’absence de relations s’explique par la volonté d’éviter de mettre en difficulté les CdN dans leur difficile travail de prise de contact avec les jeunes :

« Au niveau de l’espace public, on n’entretient pas de relations… on évite les contacts, non par

mépris, mais parce que ça pourrait être gênant pour les CdN, (…) le mélange des genres, nous, on est quand

même vu comme des méchants, même si on ne l’est pas réellement… » (GPIS).

« Nous avons des relations informelles et le souhait de ne pas avoir de relations formelles avec les CdN. On se voit hors de la voie publique pour ne pas casser la confiance qu’ils ont acquise auprès des jeunes.

Il suffit qu’un jeune voie un policier serrer la main à un CdN, c’est fini ! Ils sont grillés ! » (Police

nationale).

S’il existe des contacts en dehors de l’espace public, notamment par l’échange d’informations ou par des réunions institutionnelles, ceux-ci restent à un niveau de généralité. Les fiches de signalement des CdN sont envoyées en général au commissaire (voire au commissaire-adjoint dans certains arrondissements) et à la mission prévention-communication (responsable des partenariats au sein du commissariat), à charge à eux de répercuter l’information aux autres services (ce qu’ils font très rarement). Le plus souvent, les policiers se satisfont des informations sur le climat du quartier que leur transmettent les CdN, ce qui permet d’ailleurs de rompre un discours implicite sur les « CdN informateurs de la police » :

« Les infos des CdN, ça nous donne une température… il n’y aucune donnée nominative à l’intérieur… Il est très rare que des informations d’importance nous aient été rapportés par les CdN… aucun

élément que l’on pourrait exploiter de façon policière » (Police nationale).

Le niveau d’échange reste donc à un relativement haut niveau de généralité. Si les policiers utilisent globalement assez peu les informations que leur donnent les CdN, on peut également noter qu’ils informent assez peu les habitants, qu’ils peuvent faire appel au dispositif des CdN en cas de nuisances sonores. De ce point de vue, force est de constater que l’un des ressorts initiaux du dispositif (les CdN comme réponse pour des faits de faible gravité pour lesquels ils représentent une réponse là où la police n’intervient pas) peine à s’établir.

b) Des contacts occasionnels plus poussés

Si les contacts sont globalement assez ténus, avec peu d’échanges croisés, la situation varie partiellement en fonction des sites. Dans le 10e, et à un degré moindre dans le 12e, des relations

plus coopératives se sont tissées. Les informations données par les CdN ont pu servir pour des interventions policières :

« Là j’ai un exemple très précis d’usage que l’on a pu faire de leur travail [me montre une fiche

de signalement du 25 janvier dans laquelle les CdN font état de contacts avec les habitants qui se plaignent de circulations particulièrement bruyantes en scooter entre 7 h 45 et 8 h 00 du matin]. Ce matin sur la base de ces informations, on a réorganisé les patrouilles et on a interpellé deux scooters, qui en plus roulaient sans assurance… Grâce à eux, on a eu un horaire très précis, on a adapté la

patrouille, on a pu intervenir… Là, c’est vraiment l’exemple d’une intervention réussie… » (Police

nationale).

Exceptionnellement, les services de police peuvent demander des informations supplémentaires, par exemple suite à une fiche des CdN relative à des collégiens qui se faisaient racketter par une personne armée d’un couteau, les services de police ont demandé des précisions sur ce signalement. En sens inverse, ils peuvent prévenir les CdN quand ils conduisent une opération sur le quartier.

Dans le 12e arrondissement, la police a pu également s’appuyer sur les CdN pour des missions qui ne relevaient pas complètement du mandat policier, à savoir fluidifier des passages quotidiens et bruyants d’adolescents dans l’espace public :

« Il y avait des problèmes de nuisance et de cohabitation entre les collégiens à la sortie du collège Guy Flavien et les personnes de la maison de retraite qui est juste en face du collège ; les retraités étaient exaspérés par le bruit des jeunes. On a demandé à la mairie que les CdN fassent une statique devant le

collège à 16 h 30 pour disperser les jeunes. Donc le message est passé par la mairie » (Police nationale).

Dans le 12e, le volontarisme de la mairie d’arrondissement et les relations qu’elle entretient avec les différents acteurs lui permet de jouer un rôle d’intermédiation :

« Moi, je fais le lien entre les CdN et la PN, j’ai fait en sorte que les CdN, en tant qu’agents municipaux, aient le numéro direct du commissariat, autre que celui du standard, pour les interventions

rapides notamment s’ils sont en danger ou alors des gens (ex. de la fête de la musique…) » (mairie

d’arrondissement).