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Les sans-abri et les itinérants

3.2. GESTION DES NUISANCES DE QUARTIER ET EFFETS SUR LA TRANQUILLITÉ PUBLIQUE

3.2.2. Les sans-abri et les itinérants

Parmi les sans-abri et les itinérants qui vont de ville en ville, certains sont solitaires, d’autres se regroupent. Chaque quartier a ses sans-abri isolés qui ont privatisé un bout de trottoir, dans le renfoncement d’une rue, qui sont là tous les jours : J.M. connu pour ses tendances de « pyromane » et raciste (il évite de parler aux agents « noirs », c’est alors un « blanc » qui prend la relève), Mr T., qui est à l’Intermarché avec son caddy plein de livres, etc., autant de sans-abri qui font partie du décor et de la vie de quartier, Mr T., qui a été hospitalisé, Mr T., qui est mort, Mr B. qui vit sous le métro aérien, etc. Ces sans-abri sont plutôt bien tolérés dans l’ensemble par les voisins qui leur apportent de quoi de se nourrir, parfois des plats chauds. Les CdN sont particulièrement soucieux de leur sort, c’est un public qui les touche particulièrement : ils ne manquent jamais de faire le tour de veille sociale et sanitaire de « leurs » sans-abri qui sont bien

identifiés d’eux, ils savent où les trouver, où ils peuvent être quand leurs affaires sont là mais pas eux. Ils les appellent par leurs prénoms, connaissent des éléments de leur vie personnelle, de leur santé et de leur parcours social. Une relation de proximité se crée quotidiennement entre les CdN et ces exclus qui vivent sur le trottoir. Les savoir-faire développés ici par les CdN sont sur le registre de la tolérance et de l’acceptation de l’état de la personne telle qu’elle est (mauvaise odeur, saleté, maladie physique ou psychiatrique, alcoolisée), du non-jugement et du respect de sa volonté (rester dans la rue la plupart du temps). On se situe ici davantage sur le registre de la réduction des risques sociaux et sanitaires. C’est encore un contact social qui n’est pas évident en soi. Les CdN portent des gants de protection et se désinfectent les mains après chaque contact physique pour éviter les contaminations de maladies, en l’occurrence la gale.

Parfois, de plus, l’humeur ou l’état alcoolisé du sans-abri, modifie son comportement habituel et le rend plus susceptible, agressif ou imprévisible. Pour les CdN, il s’agit alors de s’adapter et encore une fois de se tenir sur ses gardes. Mais leur approche des sans-abri est toujours calme et respectueuse : un salut de la main lorsqu’ils paraissent occupés ou en conversation avec quelqu’un ou un arrêt toujours pour un échange verbal et un regard attentif. Ici aussi, comme dans toute relation, certains sans-abri « s’entendent » mieux avec certains agents plutôt qu’avec d’autres. La mixité de l’équipe en maraude (cf.supra) trouve de fait sa raison d’être, son utilité. Si la personne dort, ils vérifient qu’elle est bien vivante, ils évitent de la réveiller (sauf si elle s’est installée devant une sortie de crèche ou de façon gênante dans un passage). Ils repassent la voir à la maraude suivante et si ce n’est pas eux qui la font sur ce secteur, ils demandent à l’autre équipe s’ils ont vu tel sans-abri et comment il se sentait. Chaque jour, les CdN parlent avec les sans-abri, comme ils parleraient à un voisin, s’enquièrent de leur moral, et selon le froid ou leur « état » (trop alcoolisé ou malade), ils leur proposent un accompagnement, une mise en contact, un duvet, ou encore de téléphoner au Samu Social ou à l’UASA pour un hébergement d’urgence.

« La première des compétences c’est la tolérance, accepter l’odeur, serrer une main qui n’est pas très propre, savoir écouter et ne pas donner des conseils tout de suite, ne pas se mettre à la place de la personne, garder une distance pour se protéger… petit à petit on va essayer de l’accompagner vers un hébergement

d’urgence… même s’ils préféreraient avoir leur chez eux tout de suite (…) on s’adapte à la personne… celui

qui attend tout et ne veut rien faire… c’est au feeling avec le mec… si on s’en sort pas, le collègue prend la

relève… » (CdN).

« Il y a plus important que les sans-abri mais c’est important, surtout l’hiver… parce que il ne faut pas qu’il y en ait un qui meure…. La plupart des sans-abri nous ont raconté leur vie… un sans-abri c’est une histoire… ça vient d’une chute, d’une rupture à un moment donné… ils préfèrent rester dehors, dans les

centres d’hébergement d’urgence, il y a des agressions… la gale… je suis médiateur dans le 12e spécialisé

"sans-abri" » (CdN).

Mais les relations avec le Samu social sont ressenties comme compliquées par les CdN qui leur reprochent de les faire attendre longtemps au téléphone avant d’avoir une réponse qui

parfois, de plus, n’est pas celle qu’ils attendent (une réponse positive et rapide). Cette dépendance du Samu social dans l’action contrarie la relation qu’ils peuvent nouer avec un sans-abri et le cas échéant les décrédibiliser.

« On travaille avec le Samu social mais les relations sont compliquées… on a un numéro spécial pour les appeler mais ils nous font poireauter pour nous dire que c’est au sans-abri de les appeler… et du coup,

nous, on perd notre crédibilité auprès du sans-abri à qui on a dit qu’ils allaient venir » (CdN).

À la différence des sans-abri isolés, la concentration de sans-abri et d’itinérants sur certaines places (Henri Frenay et Louis Armant, par exemple) créent des nuisances réelles. Ces deux immenses places, espaces exposés, et ses recoins, ses sous-sols, font penser à une sorte de cour des miracles qui voit passer un brassage incroyable de tous types de gens : des hommes d’affaires en costume attaché-case, des amoureux, des hommes, des femmes, des sans-abri, des itinérants, des chiens, des bandes de jeunes rivales, venant de banlieues différentes qui squattent en groupe. Ici, des rivalités entre ces bandes et parfois entre ces jeunes et les sans-abri peuvent survenir… C’est ce que peuvent observer et transmettre les CdN dans leurs fiches. Ce qui est un apport non négligeable et que chaque partenaire du dispositif qui reçoit l’information peut évaluer à sa juste valeur et utiliser… Néanmoins, certains riverains font remarquer que les problèmes sociaux que révèlent la présence massive des sans-abri sur la place, ne ressort pas de la compétence des CdN, et qu’ils sont impuissants à les faire cesser.

« Les CdN m’ont bien expliqué leurs actions par rapport aux SDF… leur rôle de surveillance de la vie du quartier… ils sont très aimables, très à l’écoute, bienveillants, mais peut-être démunis… ils le savent le

problème de la place mais ils savent aussi que ce n’est pas de leur compétence » (un habitant de la place

Frenay).

L’autre apport des CdN, dans ce contexte particulier de la place Frenay, est d’apporter une présence perçue comme rassurante et sécurisante par les riverains. Parmi ceux-ci, les avis sont très partagés : beaucoup estiment vivre dans un quartier agréable et sans problème, quelques-uns se focalisent sur ces sans-abri et itinérants.

« Concernant le rôle de leur présence, celle-ci est rassurante, c’est rassurant de voir que les pouvoirs publics veillent à ce qui se passe dans les quartiers à cette heure-là de la nuit… le quartier de la gare est un lieu de grand passage… il peut y avoir des agressions et c’est vrai que là les CdN peuvent sécuriser les

gens… » (habitant de la place Frenay).

Après les relations qu’ils ont avec les « jeunes difficiles », les sans-abri et les itinérants, voyons à présent quelles sont les compétences relationnelles que les CdN peuvent déployer avec les usagers « illicites » de l’espace public.