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LA STRUCTURATION D’UN DISPOSITIF : INSTITUTIONNALISATION

Les CdN de la Ville de Paris sont inscrits dans une direction claire, disposent d’un statut de fonctionnaires, ont bénéficié d’une formation de deux mois et produisent une activité identifiée notamment par la production de fiches qui ensuite circulent entre les partenaires. Quand on rapporte ces constats à la situation que nous avions analysée dans nos précédentes recherches22, on trouve incontestablement un dispositif qui s’est structuré et a corrigé certaines des apories alors constatées. Le dispositif parisien constitue un dispositif structuré, institutionnalisé. Plusieurs points ressortent fortement de cette étude :

- La définition d’un statut : là où les agents de médiation sont traditionnellement sur des contrats aidés avec ce que cela comporte d’incertitudes, les CdN sont fonctionnaires, agents de catégorie C, d’accueil et de surveillance, spécialité médiation sociale. On a d’ailleurs pu constater dans les entretiens que ce statut de fonctionnaire est un levier incontestable pour attirer des candidats de qualité.

- L’existence d’un ancrage institutionnel : dans nos travaux précédents, nous avions discuté des intérêts respectifs des deux formes d’emploi des agents de médiation : soit en interne par

l’organisation elle-même (municipalité, bailleur ou transporteur), soit délégué à une association. Les avantages et inconvénients de ces deux formules sont connus : alors que la première permet une prise plus directe de la part de l’institution sur l’action des médiateurs, ainsi que, potentiellement, une meilleure identification par les autres services publics, la seconde autorise une gestion plus souple des effectifs, favorise le recours à des associations ayant déjà un savoir-faire éprouvé et peut donner aux médiateurs plus d’autonomie par rapport aux institutions. À Paris, les médiateurs bénéficient doublement de l’appartenance à l’institution municipale : dans les relations avec les partenaires, d’abord, l’appartenance des correspondants de nuit à une direction municipale bien identifiée leur assurant une forme de reconnaissance au sein des autres services publics ; dans leurs relations avec certaines composantes de la population, ensuite, dans la mesure où l’identification à la municipalité leur confère une certaine crédibilité.

- Une clarification relative des missions : autour de 4 grands axes sont structurées une série de tâches relativement identifiables : médiation (prévention des nuisances et des incivilités et prévention et résolution des petits conflits dans l’espace public), veille sociale (écoute et orientation des personnes les plus fragiles ainsi que liens avec les services sociaux), veille technique et résidentielle (repérage des dysfonctionnements techniques et communication des informations aux services concernés), accompagnement physique des personnes. Si l’on a insisté sur la relative indétermination de leur mandat, il n’en demeure pas moins qu’ont été globalement clarifiées les orientations du dispositif et les relations avec les partenaires.

- Une diversité plus grande des équipes : au début des années 2000, les équipes étaient constituées d’empois-jeunes, avec de ce fait une très forte homogénéité interne, ce qui ne manquait pas de poser le problème de la proximité générationnelle entre ces agents et les jeunes qui constituaient l’essentiel de leur public cible. Le dispositif actuel revient quelque peu sur cette orientation, en constituant des équipes plus mixtes au niveau de l’âge. Rares sont les agents ayant moins de 25 ans, et l’on en compte un certain nombre ayant plus de 40 ans, l’essentiel des agents se trouvant donc dans la fourchette des 25-40 ans. Une telle diversité générationnelle est essentielle si l’on veut que les CdN soient capables de parler aux différents publics de l’espace urbain.

- L’insertion dans un tissu partenarial : enfin, alors que les agents de médiation étaient souvent dans une position de relatif isolement, a été ici pensée sur la base de cet ancrage institutionnel fort, une insertion partenariale. Le fondement de cette inscription partenariale est la diffusion des fiches de signalement des CdN sur les thèmes identifiés supra, qui fait des CdN des producteurs d’information et permet d’identifier leur action. Le bureau central des CdN contrôle les relations partenariales et effectue un travail continu et volontariste de mise en relation auprès des autres intervenants dans l’espace urbain.

Au total, on trouve donc un dispositif fortement structuré. Des statuts existent, une hiérarchie est clairement établie, une visibilité institutionnelle est assurée, des modes opératoires partenariaux sont définis. Cette institutionnalisation du dispositif a l’immense mérite de cadrer les activités des correspondants de nuit. Elle peut en même temps générer des difficultés, qui constituent des défis pour l’efficacité du dispositif :

- La bureaucratisation du dispositif : l’activité des correspondants de nuit se déroule dans l’espace public, avec toute la part de contingence liée à une telle activité. Les agents rencontrent des situations inattendues, doivent réagir à l’événement non prévu. Leur succès dépend de leur réactivité. Or, la définition d’une ligne de commandement, la nécessité de remplir des fiches de signalement systématiquement pour tous les faits marquants peut aussi alourdir le dispositif, en accroissant la charge administrative pour les agents. Il faut veiller à maintenir le bon ajustement entre le nécessaire encadrement du dispositif et la disponibilité des agents dans l’espace public.

- Le formalisme des activités partenariales : l’insertion partenariale a été pensée en amont, et repose très largement sur la circulation des fiches de signalement des CdN. Ces fiches de signalement peuvent être extrêmement utiles pour permettre d’avoir une lecture qualitative (à partir des informations captées par les CdN) du climat du quartier, elles peuvent également faciliter une plus grande réactivité des services publics en identifiant des problèmes. La circulation de l’information (assurée par un circuit bien rodé) n’assure pas pour autant l’effectivité des partenariats. Les fiches peuvent être reçues sans être lues, l’information n’étant pas jugée suffisamment utile. Plus généralement, si, comme nous avons pu l’observer, les relations avec les partenaires sont rarement conflictuelles, elles ne sont pas pour autant nécessairement dotées en contenu. Le simple fait d’être en relation n’assure pas à lui seul un partenariat satisfaisant. Est apparu ici que les relations partenariales sont parfois quelque peu formelles : dénuées de conflits, elles n’impliquent pas, au-delà des échanges aimables, de véritables stratégies communes pour résoudre des problèmes territorialisés.

- Le devenir des agents de médiation au sein même de l’administration municipale : la plupart des agents rencontrés ne se voyaient pas continuer dans ces fonctions de CdN. Certains pensaient évoluer vers d’autres métiers de la DPP, d’autres visaient plus largement d’autres postes au sein de la ville. Si le dispositif assure une sécurité aux agents, il doit également favoriser des formes de mobilité, tant la durée dans ces fonctions peut être source de frustrations.