• Aucun résultat trouvé

Des fonctionnements d’équipes différents

1. TERRITOIRES, MISSIONS ET ORGANISATION DU DISPOSITIF

1.3. UN DISPOSITIF CENTRALISÉ MAIS UNE RÉGULATION FAIBLE

1.3.5. Des fonctionnements d’équipes différents

Globalement, au cours de cette recherche, nous avons pu observer 4 types de fonctionnement d’équipe et d’encadrement : un encadrement plus ou moins déficient qui a conduit à une auto-régulation de l’équipe, un encadrement effectif qui sécurise son équipe, un encadrement « négocié » du fait d’une équipe éclatée et « difficile », un encadrement jugé initialement trop autoritaire qui parvient difficilement à rassembler son équipe.

a) Une auto-régulation de l’équipe

Dans une des équipes enquêtées, on peut observer un rôle d’encadrement plus ou moins pris en charge et reconnu, face à un groupe d’agents qui semble soudé, solidaire et quasi autonome dans l’organisation du travail à effectuer. L’histoire du management dans cette base est par ailleurs ressentie par les agents comme douloureuse et semée d’injustices. Avant notre arrivée, en réponse à cette situation, l’un des 2 encadrants de la base a été muté au bureau central, et remplacé. Puis, au cours de l’enquête, un autre encadrant a dû interchanger son poste avec un encadrant d’une autre base. En dehors du ressenti des agents, cette instabilité d’encadrement a conduit les agents à prendre en charge en quelque sorte l’organisation de leur travail quotidien pendant un certain temps.

Une particularité de cette équipe est ainsi révélatrice de l’unité « défensive » qui s’est créée : les agents ont préféré faire un entretien collectif arguant « on n’a rien à cacher », « on n’a pas de secret les uns pour les autres », « on dira la même chose de toute façon », etc. Pareillement, lors des entretiens individuels informels menés au cours des observations, ceux-ci pouvaient s’engager quelle que soit la présence d’un autre membre de l’équipe, y allant de son commentaire ou de son appréciation en entrant dans la pièce, avant d’en ressortir.

« Y. est un encadrant exemplaire… avant il y avait des encadrants qui ont monté dans la hiérarchie, qui mettaient la pression sur les agents… il y en a qui en ont fait une dépression… c’était une dictature de la

part de [cet ancien encadrant] » (CdN).

« X. ne savait pas décider, trancher, elle se réfugiait toujours derrière le BCDN… elle avait falsifié

toutes nos notations. Après la réunion avec (…) [la hiérarchie], nos notes ont été revues, c’est normal, c’est

notre dossier administratif, si après on veut changer de service, c’est pour ça qu’elle a été mutée… on avait

perdu la confiance » (CdN).

Pour autant, il s’agit d’une situation mal vécue par les agents, en attente d’une direction d’équipe plus effective et protectrice.

b) Un encadrement effectif, une équipe sécurisée

Dans une autre équipe, le rôle d’encadrement apparaît plus investi, incarné et légitime, face à une équipe qui s’en ressent plus sécurisée et valorisée dans son travail. Les relations professionnelles y sont harmonieuses, autant entre les encadrants et les agents, qu’entre les agents. Dans une autre équipe, le rôle d’encadrement apparaît plus investi, incarné et légitime, face à une équipe qui s’en ressent plus sécurisée et valorisée dans son travail. Les relations

professionnelles y sont harmonieuses, autant entre les encadrants et les agents, qu’entre les agents eux-mêmes.

Tout d’abord, les rituels professionnels fondamentaux, tels que les briefings, sont effectués chaque jour, de façon très ponctuelle. Ces briefings suivent généralement une chronologie identique et sont l’instant moteur de la vacation. Orchestré par l’encadrant, ils enclenchent son démarrage et impulsent une vraie dynamique d’équipe. L’encadrant joue ici un vrai rôle d’animateur d’équipe.

Les régulations sont effectives. Par exemple, tout retard à la réunion de briefing est signalé oralement et suit la procédure prévue (rédaction d’un rapport, déduction ou rattrapage des heures, etc.). La réactivation des procédures de travail est constante mais sans formalisme excessif, les manquements aux règles sont notés et leurs corrections travaillées collectivement (la procédure de l’appel au CVO, la règle sur le don de duvet aux SDF, l’interdiction d’entrer dans un immeuble sans y avoir été invité, règles de sécurité lors d’une intervention délicate, etc.). Lorsqu’un problème majeur survient, tel qu’une fiche de signalement incomplète envoyée au BCDN ou un défaut d’envoi de fiche de signalement, l’encadrant recadre aussitôt très fermement en rappelant les enjeux professionnels et partenariaux associés à ce type de manquement professionnel.

Les objectifs et les consignes particulières des maraudes du jour sont explicités (par exemple, aller rassurer tel commerçant qui s’est fait agresser, faire des passages chez les gardiens de tel secteur, aller voir tel SDF, distribuer des affiches, plaquettes informatives sur le dispositif aux gardiens, faire du « boîtage »).

La forme de ce management est souple et interactive tirant son autorité d’une expérience du travail de terrain et d’un professionnalisme éprouvé et reconnu collectivement. Le ton et le langage employés sont toujours respectueux. L’équipe se réfère à l’encadrant et s’en remet à sa décision. Par exemple, lors d’une situation de terrain problématique, c’est l’encadrant qui décide de la ligne de conduite à adopter. C’est encore lui qui, systématiquement, croise et contrôle les informations recueillies par les agents et qui valide la rédaction de la chronologie descriptive des fiches de signalement, en interrogeant les agents de façon méthodique et précise. Il en prend la responsabilité.

Enfin, un tel management suscite une adhésion quasi naturelle parce qu’il est aussi particulièrement protecteur et valorisant des agents, individuellement et/ou collectivement. Par exemple, cela passe par des félicitations pour une bonne médiation, un nombre de signalements importants, des signalements finement détaillés et bien rédigés. Faire lire la synthèse d’activité de

la veille par un agent à tour de rôle participe également de ce processus, tout comme le fait de faire participer les agents, encore à tour de rôle, aux réunions de mairies.

c) Un encadrement contesté, une équipe éclatée

Dans cette troisième base, les tensions sont vives d’une part entre les agents et l’encadrement et d’autre part entre les agents eux-mêmes. Au début de l’enquête, l’encadrement était ici composé de trois personnes : l’un voudrait partir, l’autre a été placé dans une autre base, un nouveau est venu en renfort. Le management est ici ressenti comme très difficile par les encadrants : « J’ai récupéré une équipe en difficulté, je suis content d’avoir un nouvel adjoint, parce que je vais pouvoir souffler un peu » (encadrant). L’équipe forme un collectif assez nombreux où les relations se font sur un mode de rapports de force, dans une ambiance de fait parfois tendue et hostile.

« Ici c’est pas des enfants de chœur… ce qui est bien d’une certaine façon, mais ça va loin : insultes,

menaces physiques, bagarres entre agents… ça monte très vite et très fort au sein du service » (encadrant).

En outre, les relations entre les agents s’organisent sur une base communautaire fondée sur l’opposition de mini-groupes. Ce fonctionnement perturbe le management (composition des équipes) et l’organisation du travail de maraude : « Dans le service, il y a trois gros clans, avec des relations très difficiles entre eux. Pour certains, il est impossible d’imaginer qu’ils puissent tourner ensemble, parce que ça se terminerait par des coups… Entre certains, il y a une haine viscérale… Il y a tout de même certains qui sont un peu neutres… » (encadrant).

Dans un tel contexte relationnel, la stratégie managériale peut consister à se faire des alliés au sein même de l’équipe, mais celle-ci peut se retourner contre l’encadrant (« il est venu me voir en me disant que je pouvais être ses yeux et ses oreilles… ça va pas non ? »). Le quotidien est émaillé de conflits et négociations (sur les horaires, la composition des équipes, la distribution des rôles).

Un tel fonctionnement court le risque du cercle vicieux dans le fonctionnement de l’équipe. Le manque de confiance des agents dans l’encadrement renforce des stratégies non coopératives et contestataires de la part des membres de l’équipe. L’encadrant, remis en cause, est alors tenté de se voir plus directif et autoritaire, réduisant les parts d’échanges avec les agents (limitant par exemple les briefings au strict minimum), renforçant dès lors le manque de confiance dans l’encadrement.

d) Entre encadrement autoritaire et mode de fonctionnement collectif

Dans la dernière base, les relations étaient initialement relativement tendues, avec un encadrement contesté :

« Il y a une logique de groupe très forte, pendant un moment, je me suis retrouvée avec des agents qui

ne pouvaient plus me parler » (encadrante).

L’encadrant, ancien CdN, est décrit par certains agents comme excessivement autoritaire. Sa fonction de direction s’est pendant un temps exprimée effectivement d’abord sous la forme de rappel aux règles (sur la conduite à tenir dans l’espace public), souvent sur un mode négatif, générant certaines crispations au sein des agents, conflits qui en outre se greffent sur des rivalités syndicales.

Ces conflits se sont progressivement atténués (y compris au cours de la période d’enquête) pour laisser place à des relations plus souples et pacifiées à la fois entre les agents et entre agents et encadrement. Si des tensions demeurent, liées à un mode de management parfois jugé directif, la connaissance des problématiques du terrain, la capacité à apporter des réponses opérationnelles aux agents ou encore à donner du sens aux missions par l’entremise des briefings ont aidé à asseoir la légitimité de l’encadrement.

Au final, sur les 4 bases investiguées, on distingue des niveaux de tension et des modes de management fortement contrastés. Ces tensions sont renforcées par les logiques syndicales fortes qui traversent les corps des ISVP et des CdN. Les oppositions entre les deux syndicats (UNSA et CFDT) peuvent peser sur le climat à l’intérieur même des bases, certaines d’entre elles étant des « fiefs » bien connus de l’un des deux syndicats.

Le dispositif CdN est aujourd’hui au milieu du gué. Dispositif initialement très hiérarchisé avec un bureau central très présent, il s’est transformé sans le vouloir véritablement du fait de la croissance même du dispositif. Le bureau central doit désormais suivre près de 10 bases et plus de 135 agents. Il doit assurer la vérification, la distribution de plus de 200 fiches par jour. Il est en charge de la gestion des partenariats de l’ensemble des bases. Dans un tel contexte, le dispositif s’est distendu, sans se décentraliser véritablement. Les liens entre bases et BCDN sont moins fréquents, et les encadrants assument un rôle qui n’est plus simplement celui de gestionnaire (des emplois du temps) mais bien d’animateur d’équipe. Cette capacité à animer une équipe est inégalement répartie chez les encadrants. Distribuer les missions, constituer les équipes, animer les briefings, rappeler les règles sont des tâches complexes, ce d’autant plus que le contrôle s’effectue de façon indirecte souvent, les agents exerçant l’essentiel de leurs missions dans l’espace public sans la présence de leur supérieur. Pour autant, ce rôle des encadrants (tenu systématiquement par des agents de catégorie C, inspecteur de sécurité dans la plupart des cas,

sans expérience antérieure du management) n’est pas encore pleinement reconnu comme tel. Il est d’ailleurs partiellement amputé dans la mesure où la gestion des partenariats s’effectue principalement par le bureau central. Dans ce contexte, il paraîtrait judicieux de mieux reconnaître l’importance de ces tâches d’encadrant, tant dans le recrutement (en fixant comme priorité la capacité à gérer une équipe) que dans la formation (en prévoyant des formations pour l’accès à ces fonctions autour de l’animation de réunion, de la gestion d’équipes, etc.).