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LES CDN, DES ACTEURS SANS POUVOIRS ?

Dans un rapport autocritique, certains CdN portent un regard parfois mitigé sur l’efficacité de leur action en lien avec la qualité du suivi de leur signalement. Dans certains cas, ils mettent cette efficacité en relation avec des pouvoirs qu’ils jugent trop limités, ce qui se retrouve également dans les discours de certaines personnes interviewées. Enfin, l’enquête montre que l’impact du dispositif des CdN sur la tranquillité publique tient aussi à la connaissance qu’en ont les usagers de la ville.

3.3.1. Quel suivi des signalements ?

Un certain nombre d’agents nous ont dit ressentir une sorte de lassitude dans leur travail, du fait qu’ils ont parfois l’impression de ne pas avoir beaucoup d’effet pour améliorer la vie du quartier ou celle de personnes fragilisées en particulier : « ça sert à rien ce qu’on fait » ou « on a un pouvoir limité, on peut juste accompagner… ». Surtout, ils ont le sentiment de ne pas être suivis par l’administration dans le traitement de leur signalement et, du coup, d’un travail à moitié fait finalement, surtout dans le domaine social : « au niveau social, notre action n’est pas suivie après… » (CdN).

Ce sentiment est encore accentué par le manque de retour du suivi de leurs actions : ils souhaiteraient savoir ce qui se passe après leur signalement, savoir, par exemple, ce qu’est devenu ce sans-abri avec qui ils discutent amicalement tous les jours et qui a été hospitalisé, savoir s’il va mieux, savoir que faire de ses affaires qui sont encore sur le trottoir et qu’ils essaient de protéger des prédateurs... d’autant plus qu’ils sont tous particulièrement sensibles à cette problématique de la prise en charge des sans-abri. Cela signifie deux choses. D’une part, cela veut dire permettre le développement du partenariat dès le local, à partir même de la base, animé par les encadrants plus à même de connaître les apports et les points de coopération possible avec en quelque sorte « leurs » acteurs locaux. Des rencontres institutionnalisées ou des échanges avec les acteurs

concernés (Samu social, Bapsa, éducateurs de rue, police), sur certains cas, certaines situations, pourraient désamorcer cette frustration professionnelle. La participation à un réseau partenarial local impliquant les chefs de base pourrait ici avoir de l’intérêt (cf. supra). En conséquence, la formation et le portefeuille de compétences des managers devraient être repensés et adaptés. D’autre part, cela conduirait à modifier le sens de l’information ressenti comme étant à sens unique par les agents et les encadrants, qui est actuellement du bas vers le haut (bottom up), vers une communication plus interactive, du haut vers le bas également (top down), dans le dispositif.

« On souhaiterait pouvoir suivre et encadrer davantage les gens qu’on aide… on n’a pas la possibilité d’aller au bout des choses… de voir le suivi d’une situation individuelle… la suite de notre action… même si c’est vrai qu’on n’a pas vocation à se substituer aux acteurs sociaux… mais le travail de médiateur va plus loin normalement… c’est un peu comme une course de relais… un passage de témoin… on fait un signalement à… mais on n’a pas les informations sur la suite de notre action, on n’a pas assez ce type de

retour [qu’est devenue la personne ?]… par exemple sur le sans-abri T. de la place du colonel Rozanof

qui a été hospitalisé » (encadrant).

« Il faudrait aussi renforcer le retour des informations surtout sur les prises en charge, la suite de nos actions… ce qui veut dire une communication du haut vers le bas aussi... Quelque chose de plus interactif »

(encadrant).

Par ailleurs, les effets négatifs de ce manque de suivi des signalements et de feedback vers les agents, se répercutent sur le terrain et la qualité des relations qu’ils doivent nouer. Ils mènent ainsi à une perte de crédibilité professionnelle et de confiance des personnes qu’ils sont chargés d’aider et d’accompagner vers les structures sociales.

« L’insatisfaction c’est qu’on dit des choses aux gens et les autres services ne suivent pas, on perd notre crédibilité par rapport aux gens, aux sans-abri… on a une impression de travail qui n’est pas fini… une

grosse frustration… » (CdN).

Outre ce ressenti de manque de suivi et de retours sur les signalements quotidiens qu’ils effectuent, les CdN (et d’autres acteurs) interrogent l’efficacité du dispositif en lien avec les pouvoirs dont ils disposent pour agir sur l’environnement humain et social, améliorer la qualité de vie dans un quartier et la tranquillité publique.

3.3.2. Des pouvoirs jugés trop limités ?

Les CdN n’ont pas le pouvoir de contraindre une personne ou un groupe à faire ce qu’ils leur demandent, à faire cesser une action qui nuit à l’environnement social, ou alors seulement ponctuellement : arrêter de faire du bruit dans un appartement, sortir d’un parc ou d’un square, sortir d’un hall ou des escaliers d’un immeuble, ils n’ont pas de pouvoir d’éviction des jeunes par exemple. Le cas échéant, ils doivent aussi s’en justifier auprès des locataires qui ne comprennent

pas leur rôle. Certains encore se demandent comment ils peuvent se faire écouter des collégiens indisciplinés à la sortie de l’école, s’ils ne peuvent pas sanctionner.

« J’ai appelé 2 fois les CdN par rapport à ma voisine qui mettait la musique trop fort jusqu’à minuit… à ses enfants qui courent dans l’appartement… aux portes qui claquent… mais ils n’ont rien pu

faire… ils n’ont aucun pouvoir » (représentant amicale des locataires, 12e).

« Leur travail… ils ont leur limite, ils sont dans le contact, dans le dialogue, dans l’échange….

pédagogique [par exemple expliquer aux jeunes qu’il faut jeter ses détritus dans une poubelle]

mais ils n’ont pas la possibilité d’arrêter une action….Avant, à l’extérieur, il y avait un renfoncement à l’entrée de la crèche où les jeunes s’attroupaient… de 18 à 35 ans…J’appelais les CdN… ils dialoguaient

avec eux mais ils n’avaient pas d’effets dissuasifs… les CdN venaient à la sortie de la crèche21(…) ils n’ont

pas d’effets dissuasifs, ni les CdN, ni la police… ils sont limités dans leur action » (directrice de crèche).

Néanmoins, lorsqu’il s’agit de faire une médiation dans un square par exemple avec des personnes qui consomment de l’alcool ou qu’il agit d’appuyer leur autorité et leur légitimité, il peut arriver que certains CdN amorcent leur médiation par une présentation de soi de type « institutionnel » et non pas axé sur la nature de leur mission (médiation, veille sociale et sanitaire, etc.).

« Correspondant de nuit de la Ville de Paris, du département de la protection et de la prévention… on se présente comme agent de la Ville de Paris assermenté parce que ça fait plus de poids et de pouvoir dans la tête des gens… on a une carte professionnelle mais on ne la présente pas… on se présente et on dit le motif de notre intervention comme le fait un agent de police… même si c’est de la prévention ce que l’on fait, on fait de la réprimande aussi… de la sensibilisation… comme interdiction de boire de l’alcool dans les parcs… c’est l’article R. 602 du Code de l’Hygiène… on peut verbaliser… c’est 35 € l’amende plus 22 € de frais de

justice… on dit tout ça… ça fait plus sérieux… et on rappelle le règlement intérieur aux gens » (CdN).

D’autres encore souhaiteraient pouvoir aller plus loin et basculer le cas échéant vers le mode répressif, de façon graduée, lorsque la médiation échoue à plusieurs reprises. Le risque à terme étant, selon eux, de perdre leur crédibilité (de passer pour des « nouilles ») et de ne plus être « écouté ».

« Nos limites : c’est bien la médiation mais au bout d’un moment, après avoir dit une fois, 10 fois aux jeunes… sans effet… Par exemple, le samedi les gens qui viennent aux magasins informatiques dans la rue Montgallet qui est en sens unique, ils se garent en warning dans la rue Saint Clair de Ville devant une

des entrées du square Saint-Eloi… on leur dit plusieurs fois de se garer ailleurs… » (CdN).

« Des fois, des jeunes nous disent "vous n’avez rien d’autre à faire ! Passez votre chemin !" Ça va au bout d’un moment !... on voudrait avoir le moyen de verbaliser au bout d’un moment après X avertissements !… parce que à un moment donné, on n’est plus crédible… on passe pour des baltringues…

oh oui… ça permettrait de rétablir l’équilibre… mais on va pas se substituer à la police… » (CdN).

Enfin, lors de nos entretiens, il est apparu qu’un certain nombre de personnes soit ignorent l’existence du dispositif des CdN, soit n’ont qu’une connaissance très limitée ou imparfaite des missions des CdN.

21 Depuis, des travaux de type prévention situationnelle ont été effectués pour modifier l’entrée et qui empêchent