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Nous situons notre recherche sur le terrain du management et de l’analyse des politiques publiques, sans non plus nous éloigner du champ du management des organisations publiques. Ce rapport avec le management nous parait justifié puisque notre intérêt concerne la mise en

œuvre d’une politique publique par l’entremise d’une organisation publique : « public

management should be understood in the context of achieving policy goals and hence of a relationship to policy » (Peters, 2000, p.35). En somme, les instruments prévus pour mettre en

œuvre les politiques publiques seront plus efficaces si l’approche managériale est adéquate. Les modes de structuration que l’administration publique privilégiera peuvent ultimement influencer une politique publique. Par exemple, selon que l’accent porte sur une approche plus procédurale ou, autrement, sur une relation d’aide plus interactive avec les citoyens, les administrateurs de terrain auront un impact différent sur la mise en œuvre d’une politique publique. Ce choix doit être adapté au secteur d’activité (Peters, 2000). Même si nous nous approchons de la gestion organisationnelle, nous abordons toujours notre sujet du point de vue du management des politiques publiques100.

Une façon intéressante d’approcher le management est de distinguer la gestion axée sur le changement et l’innovation, de celle qui maintient le statuquo. La nomenclature de Miles et Snow (1978) offre un bon exemple, et si un seul facteur doit se démarquer « c’est le dynamisme, soit la mesure dans laquelle les gestionnaires font usage de leur liberté pour le bien de leur unité ou de leur organisation, souvent dans le but de consolider la stabilité » (Stewart, 1982 dans Minztberg 2010, p.145). Cette dimension semble essentielle à l’efficacité en gestion (Minztberg, 2010, p.146). Ce dernier place les termes de la trilogie « art – artisanat – science » aux sommets d’un triangle pour situer les possibles styles de gestion, en tant que pratique, à l’intérieur de cette forme (Mintzberg, 2010, p.28, p.151), à savoir :

- Science : la gestion n’est pas une science, mais elle peut appliquer la science, car sans l’analyse, la gestion serait désorganisée,

- Artisanat : l’artisanat repose sur une expérience sans laquelle la gestion serait déconnectée, et

- Art : l’art apporte une vision sans laquelle la gestion serait morose, prudente, connectée, mais sans éclat.

100La mise en œuvre est l’une des étapes du processus de la décision politique (Anderson, 2000). Dans une

perspective de micro-management, nous pouvons explorer en profondeur le management des organisations publiques à cette étape de mise en œuvre. Dans une perspective de macro-management, nous pénétrons le champ des politiques publiques parce que c’est tout le processus de la décision politique que nous faisons entrer en jeu.

L’une des tâches les plus importantes du manager est d’élaborer la stratégie de son organisation (Mintzberg, 2011). La stratégie n’est pas que science, sous la forme d’un grand plan, où toutes les décisions importantes pourraient être programmées. Mintzberg (2011) compare le rôle stratégique du manager à de l’artisanat (crafting) qui vient du contact avec une matière que l’artisan façonne pour lui donner graduellement une forme. La stratégie se développe et se réalise par l’apprentissage au gré des occasions qui se présentent. Elle émerge de la coopération et de la réciprocité entre les composantes d’un système d’action qui permettent à une stratégie de prendre forme (Bovaird, 2008).

D’entrée de jeu, la question provisoire de recherche renvoyait aux qualités des administrateurs publics (Aucoin et Barkvis, 2003) en position de prendre des décisions, et de s’affirmer comme acteurs de changement en coopérant avec les citoyens (Meyers et Vorsanger, 2003). En explorant la dimension sociologique (Selznic, 1958), nous trouvons que les administrateurs publics de terrain développent des relations personnalisées, en considérant les parties prenantes avec lesquelles ils interagissent comme des êtres entiers (Broom et Selznic, 1958). Ils créent des structures sociales qui circonscrivent leur action, produisent des schémas qui permettent d’interpréter leurs expériences, et de justifier leurs actions pour agir avec conviction. Ils développent ainsi leurs propres stratégies (Sandfort, 2000). Ces relations informelles facilitent leur participation inclusive aux décisions – cooptation (Selznic, 1966) – et offrent une alternative à l’approche classique (hiérarchie bureaucratique), en proposant d’exercer une influence positive sur les sentiments et les attitudes, dans le but d’atteindre les objectifs visés (Broom et Selznic, 1958; Selznic 1958).

Tenir compte des individus et de leurs préférences permet d’envisager que ces derniers puissent définir les buts de l’organisation, et soulève l’importance de l’individu, dans un système d’action bien réel. La représentation conceptuelle de « l’individualisme méthodologique » évite de s’en remettre à un « moi » généralisé, en mettant l’accent sur les explications que les acteurs se donnent, pour justifier leurs préférences, en suivant des critères évolutifs. Les actes posés véhiculent des intentions, des objectifs, où s’y mêlent des préférences personnelles qui peuvent se distancer des objectifs formels prévus en ex ante, et déboucher sur des stratégies individuelles à court terme, en raison des occasions (Crozier 1963; Crozier dans Rojot 2003, Mintzberg 2010). Toutefois, les possibilités individuelles demeurent insuffisantes, les interdépendances

sont obligatoirement inévitables et les objectifs s’élaborent en cours de route. Ces interdépendances offrent des opportunités d’agir en commun pour former un groupe pertinent et capable d’apprendre collectivement en développant une identité de groupe (Rojot, 2003, p.216). Mais, l’émergence de la stratégie ne peut se soustraire à toute forme de contrôle. Un équilibre serait nécessaire, entre la stratégie qui émerge des décisions managériales d’exception prises ad

hoc, et celle qui fait l’objet d’une mise en œuvre délibérée (Mintzberg, 1982 ; 1994). Cet équilibre

est dynamique, se transformant au rythme auquel se présentent les occasions d’agir et les contraintes. Ces deux types de stratégies se fondent dans un système « d’influences réciproques à travers lesquelles une organisation définit les problèmes en y répondant et en est influencée par ce qu’elle y répond » (Friedberg, 1993, p.90); ce qui explique un processus d’interstructuration et d’apprentissage (coevolution) en harmonie avec un environnement (March & Olson, 1995). La fusion qui devrait suivre entre l’implémentation et le processus de planification se définit comme un management stratégique (Bryson, 2003). Il consiste à gérer une organisation d’une façon stratégique, « sur une base continuelle » (Poister et Streib, 1999, p.310).

La façon d’induire une façon de « penser stratégiquement » diffère selon qu’on adhère au modèle classique de planification « par échelons », ou à l’autre extrême, au modèle « par buts et missions » où les agents créent leur environnement (Bryson, 2003). Selon le modèle, le pouvoir discrétionnaire des administrateurs publics sera traité différemment. La problématique renvoie à des configurations complexes, où le management stratégique s’immisce dans un rôle de méta- planification, en agissant sur les capacités étatiques reliées aux enjeux politiques; au-delà des préoccupations organisationnelles managériales. Le modèle par buts et mission accorde aux administrateurs la discrétion de tirer le meilleur parti des changements auxquels ils sont confrontés, et soulève la pertinence d’influencer les règles qui affectent leur environnement (Bovaird, 2008). Les organisations sont comparables à un système de coopération, et tant que les membres continueront à jouer, la régularisation du système dépend du choix des modèles de jeux et de la structuration de ces jeux (Rojot, 2003, p.224). La capacité à faire des choix qui affectent les règles du système renvoie ainsi à un « jugement esthétique », de second niveau, qui relève du domaine de l’Art. Un style de gestion qui s’inspire de l’Art est alors nécessaire pour apporter la vision stratégique qui permettrait d’équilibrer, en un tout cohérent, d’une part,

la programmation issue d’une approche scientifique, avec, d’autre part, une approche « artisanale » issue du terrain et à partir de laquelle émerge, à la marge, de nouvelles stratégies. Minzberg contraste (2011) deux philosophies du management qui permettent de traiter les organisations comme un tout, une Gestalt (Piaget, 2007). Une première approche se compare à un assemblage de pièces de casse-tête, où « l’image » à être assemblée correspond à la configuration organisationnelle typique d’un environnement. C’est l’environnement typique qui décline la configuration idéale typique101. Pour optimiser le management d’une organisation, il suffirait d’identifier l’environnement typique correspondant à son contexte, et de s’en remettre à sa configuration idéale102 pour en déduire les actions à prendre, afin de converger vers l’image. La seconde approche se compare au jeu Légo où c’est le joueur qui construit la structure, en jouant délibérément sur les paramètres de conception pour adapter l’organisation à l’environnement dont elle fait partie. Dans la première approche, la Gestalt est une conception statique, tandis que dans la seconde, elle a des propriétés intrinsèques de transformation qui sous-entendent des choix. Chacune de ces deux approches se prête à des interprétations distinctes du leadership, du management organisationnel, et de la stratégie. Le premier favorise la pensée hypothéticodéductive où l’association à une contingence dicte le choix du leadeur, des fonctions de management, et la stratégie. Le second est inductif et relève davantage du domaine de l’Art, à savoir, une disposition d’esprit qui peut se manifester dans le leadership, le management, et la stratégie103. Même si ces domaines peuvent être analysés en isolation, ils forment un tout. Mintzberg (2011) justifie la pertinence d’une approche systémique pour l’analyse des organisations puisque chacun de ces domaines d’analyse n’existe pas en isolation des autres.

101C’est une approche darwinienne : pour un type d’environnement, l’organisation idéale typique est celle qui a

démontré les meilleures chances de survie.

102La configuration bureaucratique professionnelle gravite autour d’opérateurs professionnels qualifiés qui ont une

autonomie professionnelle, et qui favorisent la collégialité comme modèle de prise de décision (Mintzberg, 2011).