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La faculté de poser un jugement esthétique comme base d’inspiration à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, fait entrer en jeu une influence difficile à éloigner du domaine du leadership, lorsque nous nous arrêtons aux attributs des individus, plutôt qu’aux propriétés structurales. Les préoccupations soulevées dans l’analyse de la problématique invitent à nous situer par rapport au leadership parce que la mise en œuvre des politiques publiques se fait par l’entremise d’individus. L’étude du leadership s’intéresse à l’influence qui génère une puissance d’agir, et comme notre intérêt part des interactions entre les administrateurs de terrain et les citoyens, notre analyse apparaitrait incomplète si le thème n’était pas abordé.

Notre question de recherche nous renvoie à la fonction stratégique qu’une direction administrative pourrait remplir. Nous verrons plus loin que nous désirons associer cette fonction stratégique aux propriétés du poste, plutôt qu’aux aptitudes personnelles de son détenteur. Pour cette raison, l’ART ADMINISTRATIF n’est pas un style de leadership. Un

détenteur de pouvoir peut faire preuve de leadership sans remplir cette fonction stratégique. Inversement, le lien fait avec le domaine de la stratégie n’exclut pas que les détenteurs de pouvoir aient à faire preuve de leadership, ni que certains styles soient plus propices que d’autres. Ces conditions pourraient être traitées en ceteris paribus. Elles sont présentes lorsque nous envisageons l’influence au-delà du pouvoir coercitif qu’un poste de direction confère à son titulaire, compte-tenu de l’implication d’un corps professionnel, lors de situations irrégulières. Nous avons soulevé l’importance de la présence d’un corps professionnel compétent (Aucoin et Barkvis, 2003), qualifié et motivé, et de tenir compte de la situation. Le modèle du leadership situationnel de Hershey-Blanchard s’inspire de la pyramide des besoins de Maslow pour prendre en considération le « degré de compétence et de motivation d’un collaborateur face à un travail précis » (Hershey, 1989, p.59). Par exemple, un haut niveau de maturité des subordonnés suggère un besoin d’accomplissement personnel élevé qui leur permettrait de remplir leurs fonctions avec succès, avec un maximum d’autonomie. Dans ce modèle situationnel, le style de leadership peut prendre les formes suivantes, présentées en ordre croissant de « maturité des subordonnés », à savoir : (1) directif, (2) persuasif ; (3) participatif ; et (4) délégatif.

Nous pouvons interpréter ces styles en fonction de deux orientations, à savoir : l’une qui représente un comportement plus instrumental orienté sur la tâche, et un second, un comportement plus relationnel. Le style directif est justifié par un faible degré de maturité des subordonnés en poste, et est orienté sur l’accomplissement instrumental des tâches. Le style persuasif accentue tant le rôle instrumental que relationnel. Les subordonnés ont des compétences et de l’expérience, mais pas suffisamment pour gérer seuls une situation, et les leadeurs doivent les convaincre en fournissant les informations requises. Le style participatif s’ouvre à une approche avant tout relationnelle. Le style délégatif répond aux besoins du degré de maturité le plus élevé. Les subordonnés peuvent faire preuve d’autonomie sans renforcements relationnels à l’endroit de la tâche (instrumental).

Ce modèle se montre sensible aux situations irrégulières, et c’est la capacité des subordonnés à gérer ces situations qui conditionne le style de leadership. Il revient au leadeur de surmonter ses inclinations naturelles et d’adapter son leadership. Le modèle renvoie à « un bon sens organisé » (Hershey, 1989, p.59) où le leadeur doit poser un jugement critique, dans les moyens à prendre pour exercer une influence. Même en présence de professionnels motivés, l’expérience et les qualifications de ces derniers peuvent varier. L’autonomie professionnelle ne s’applique pas uniformément à tous, et il revient au leadeur d’adapter son influence.

Le modèle de contingence de Vroom et Jago (1988) présente un processus décisionnel qui consiste à définir rationnellement le type de leadership le plus approprié pour un contexte donné. Il en ressort un choix de cinq styles, classés sous trois catégories, à savoir : (1) autocratique; (2) consultatif; et (3) consensuelle. Dans le style consultatif, le leadeur retient la responsabilité de prendre la décision finale, contrairement à la forme consensuelle. Dans une variante du modèle consultatif, les subordonnés peuvent être consultés individuellement. L’autre variante privilégie la consultation en groupe. La distinction dépend s’il y a raison de croire que les personnes sont susceptibles de partager ou non la même position93. Ces styles sont des représentations idéales94.

93Lorsque les personnes sont susceptibles de partager une même position, consulter une personne représentative

pourrait suffire, tandis que dans le cas contraire, il serait préférable de regrouper les individus.

94Ces solutions ne sont pas toujours réalisables. Il pourrait être préférable qu’un directeur consulte le groupe.

Une autre approche consiste à cartographier les variables de contingences d’une situation afin d’en déduire, quel style de leadership serait optimal. La situation serait optimisée en assortissant au contexte le leader dont le style de leadership correspondrait le mieux. Le modèle de Fielder95 conduit à un style soit axé sur la tâche, soit sur les relations interpersonnelles (Northouse, 2007). Andersen (2010) ajoute un troisième style orienté sur le « changement » pour tenir compte de ce besoin qui a rapidement émergé au cours des dernières années. Pour être discriminantes, ces trois formes de leadership se veulent mutuellement exclusives.

Le management public justifierait aujourd’hui un style de leadership favorisant l’apprentissage, par une approche collective, et la théorie du leadership transformationnel peut répondre à ce besoin (Dunoon, 2002, Anderson, 2010). Le leadership transformationnel correspondrait au style orienté sur le changement (Anderson, 2010). Ce style contraste avec le leadership transactionnel qui sous-entend une motivation extérieure. Le leadership transformationnel est au contraire un processus intériorisé où les identités et les buts individuels se transforment en identités et buts collectifs (Pearson, 2012). Il s’agit d’un processus interactif de transformation du leadeur et des collaborateurs : « process that changes and transforms people » (Northouse, 2007, p.175). Le leadeur agit sur les motivations en apportant l’inspiration nécessaire pour faire la promotion du changement. L’inclinaison sécurisante qu’apporte la certitude doit alors être surmontée en faveur d’occasions plus favorables à la créativité et à l’intelligence (Pearson, 2012). Les initiatives doivent s’intégrer en processus d’apprentissage, où les sources de tensions sont transformées en occasions d’apprendre (Senge, 2000).

En nous centrant davantage sur le leadeur, un autre modèle les compare à des artistes, des artisans, ou des technocrates (Pitcher, 1997). Chaque style évoque des attributs distinctifs. Celui de l’artiste fait preuve d’imagination, d’intuition ainsi que de jugement pour transcender les règles, en donnant un sens inspiré d’une vision à long terme. Le leadeur « artiste » présente idéalement les traits de personnalité de l’explorateur qui arpente des horizons inexplorés. Il projette de nouveaux symboles, en détruisant les anciens, tout en côtoyant la complexité et le désordre (Pitcher, 1997). Le style « artisan » côtoie celui de l’artiste. L’artisanat se fonde sur la

95Les variables de contingence de Fielder sont l’ambiance du groupe, la structure de la tâche et la position de force

pratique, dans le respect d’une autorité compétente. Cette compétence provient non seulement des traditions, mais d’une maitrise tacite de la mise en application, et d’une habileté acquise des enseignements qu’apporte l’expérience des échecs et des succès. À ces deux catégories, s’ajoute le style « technocrate » qui représente l’antithèse de « l’artiste ». Il s’appuie sur les connaissances techniques (sciences administratives). Le leadeur technocrate a une inclinaison pour les contrôles bureaucratiques, le calcul minutieux, les méthodes impersonnelles, et privilégie les connaissances formelles tout comme l’entendement rationnel.

Un parallèle peut être fait avec les dominations archétypales de Weber. Le style de leadership technocratique répond bien à l’archétype de « la domination légale à direction administrative bureaucratique » (Weber, 1995, p.290). Nous comprendrons que ce dernier profil recevrait systématiquement la faveur de la bureaucratie publique contrairement à celui de l’artiste96 (Pitcher, 1997). La bureaucratie légale devait justement se distancer de la domination charismatique. Par contre, l’intervention de l’artiste serait nécessaire pour transcender le cadre bureaucratique97, dans le but, avant tout, de « bien faire la chose »98. En comparaison, contrairement aux technocrates, les artistes et les artisans s’exécutent dans un moment réel, où le progrès se fait par essais et erreurs (Pitcher, 1997). Ce sont ces expériences qui peuvent alimenter l’imagination collective « pour apprendre à fonctionner ensemble et en synergie » dans la cohésion (Senge, 2000, p.400).

Pitcher présente une cartographie de ces styles en fonction de leurs attributs distinctifs. Les administrateurs rencontrés dans le cadre d’une étude sont positionnés selon leur degré d’affinité à ces styles, mais chaque leadeur projette toutefois un profil singulier qui nous met en contact avec des versions nuancées des artistes, des artisans et des technocrates. Pitcher (1997, p.175) explique que les typologies de leadership ne se prêtent pas à une interprétation rigide. La plupart des leadeurs possèdent les traits dominants d’un certain style qui coexistent, dans un moindre degré, avec les caractéristiques d’un autre. Le Tableau 3.1 qui suit à la page suivante résume les attributs des trois types de leadership présentés par Pitcher (1997, p. 175).

96La promotion au mérite favorise systématiquement la sélection de leaders technocrates aux postes de hauts

fonctionnaires.

97Particulièrement lorsqu’un « recadrage » (Walzlawick et al, 1976) est nécessaire.

98Au sens de faire la « bonne chose » que nous avons précédemment associé à un jugement esthétique

Tableau 3.1 Liste des principaux traits archétypaux du leadership selon Pitcher

Artiste Artisan Technocrate

Imprévisible Équilibré Cérébral

Drôle Obligeant Difficile

Imaginatif Honnête Intransigeant

Audacieux Sensé Rigide

Intuitif Responsable Intense

Passionnant Digne de confiance Pointilleux

Émotif Réaliste Déterminé

Visionnaire Stable Méticuleux

Entrepreneurial Raisonnable Obstiné

Stimulant Prévisible Austère

Les trois types de leadership mentionnés ci-dessus (Pitcher) ont leurs avantages tout comme leurs limites. Le modèle ne suggère pas qu’une organisation doive se composer exclusivement d’un style de leadeurs, ni que les détenteurs de pouvoir qui s’y trouvent puissent correspondre à la manifestation parfaite d’un archétype. Ce modèle, tout comme ceux mentionnés précédemment, offre plutôt différentes logiques pour interpréter le leadership, de façon cohérente. Dans la réalité, les formes idéales n’existent pas99. C’est plutôt une forme qui domine les autres.

Les différents modèles introduits précédemment permettent d’interpréter un aspect qualitatif du jugement que nous imputons à une direction administrative, lorsqu’elle est confrontée à des situations irrégulières. C’est-à-dire, lorsque faire preuve de leadership pose l’exigence d’entretenir une vision stratégique qui puisse dissiper le brouillard du doute que génèrent les frictions et soutenir une puissance d’agir. Nous soulignons le besoin d’adaptabilité du leadeur en tenant compte de la maturité professionnelle des destinataires d’influence, et de pouvoir exercer une influence qui puisse transformer la représentation d’un idéal partagé.