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L’approche du management stratégique « par buts et missions » (Bryson, 2003) s’apparente bien à l’art opérationnel qui accorde à un échelon hiérarchique intermédiaire, le soin d’assurer une jonction stratégique avec les enjeux politiques, en pensant plus globalement. Ce positionnement implique une centralisation « verticale et horizontale » (Mintzberg, 2011, p 196) du contrôle de tous les champs de compétences et des moyens qui affectent son secteur d’opérations. Le pouvoir discrétionnaire serait ainsi encadré par une relation dynamique de réciprocité entre les niveaux décisionnels. Les moyens s’adapteraient aux fins visées par la politique, et la politique serait influencée par la capacité à utiliser les moyens appropriés. Ce modèle stratégique s’applique à l’art opérationnel, dans un mode de gouvernance « hiérarchique ».

Cependant, dans sa mise en pratique, l’art opérationnel serait aujourd’hui difficile à mettre en application lorsque la volonté politique n’est pas claire, qu’il n’y a pas d’analyse stratégique et de coordination d’ensemble118. La capacité d’assurer une jonction stratégique perd sa force explicative lorsque l’influence réciproque entre le système d’action et le système politique n’est pas dynamique. La complémentarité optimale entre les éléments politique et administratif

118Concernant l’intervention militaire canadienne en Afghanistan, le Chef d’État Major de la défense des Forces

Armées canadiennes constate que « la mission devient alors une succession d’entreprises dont le seul résultat est presque toujours la stabilisation de la situation et le maintien du statu quo » (Coombs et Hillier, 2007, p.3).C’est le propre d’une approche politique qui consiste alors à se limiter à des changements à la marge Lindbloom (1959).

suppose que les deux devraient pouvoir occuper une position relative de force (Svara, 2001). Lorsque l’un ou les deux sont faibles, ils ne peuvent interagir et cautionner l’art opérationnel. Dans une optique de méta planification119, le management stratégique peut être interprété sous des modes de gouvernance « typiques » autres que la hiérarchie bureaucratique, à savoir, « l’autogouvernance » et la « cogouvernance », ainsi que sous des formes « hybrides120» (Kooiman, 2003; Levian, 2009). Qu’importe le mode de gouvernance, la complémentarité, entre élus et hauts fonctionnaires, demeure tout autant problématique. La NGP orientée sur les résultats, aurait pour effet de détourner la participation des hauts fonctionnaires du processus d’orientation des politiques auprès des élus, et ceux-ci, faute de temps, d’informations et de connaissances, seraient peu disposés à prendre des décisions éclairées sur l’orientation des politiques (Peters, 1996). Par conséquent, l’orientation substantive des politiques publiques dépendrait davantage des administrateurs de terrain et de leurs partenaires : « front line workers

who function as ‘de facto’ bureaucratic policy makers » (Meyers et Vorsanger, 2003, p.245). Les

occasions d’assumer une fonction stratégique se rapprochent du terrain.

L’interaction avec les citoyens, les partenaires des secteurs public, communautaire et privé sur la base d’engagements ponctuels et volontaires ou de coarrangements justifie la coopération horizontale et les partenariats. La NGP accorde plus d’importance au rôle décisionnel situé davantage en aval du processus politique, où les administrateurs publics feraient preuve d’une capacité politique121 (policy capacity) structurante, lorsqu’ils ont à assurer une jonction stratégique entre la capacité administrative orientée sur la gestion efficiente, et la capacité étatique à réaliser des objectifs collectifs (Painter et Pierre, 2005). Dans cette optique, l’analyse institutionnelle se penche sur ce rôle en tant que : « ability to marshal the necessary resources

to make intelligent collectives choices about and set strategic directions for the allocation of scarce resources to public ends » (Painter, 2002; Peters, 1996, dans Painter & Pierre, 2005, p.2)122.

119Pour prendre en considération des buts multiples extérieurs à l’organisation. 120Qui sont produites par le croisement d’une variété de formes.

121Le terme « capacité politique » a été préféré à « capacité d’élaboration des politiques publiques ». Cette

traduction serait lourde et s’adapterait mal au sens du texte. Nous tenons à référer plus clairement à une participation active et délibérée au processus de la décision politique.

122Aucoin (2000, p.45-46) souligne à cet effet la complémentarité entre ministres et administrateurs publics pour

L’occasion s’offre à l’administrateur public de contribuer activement à établir des liens entre l’État et la société civile123, et à induire des comportements qui contribuent équitablement au développement d’un bienêtre collectif (Painter, 2002). Ils peuvent donner un sens pratique à l’action collective lorsque placés dans un « rôle d’habilitation externe », (Kernaghan et al, 2001, p.177). En mobilisant un support économique et social, ils contribuent au développement d’un « capital social » qui se définit « en termes de ressources qu’un acteur a accès par l’entremise de ses relations sociales (Bourdieu, 1980; Coleman; 1988; Putnam, 1993) […] et qui peut servir à la réalisation de fins individuelles ou collectives » (dans Lemieux, 2004, p.68).

La mobilisation de ce pouvoir d’agir devient une capacité politique « relationnelle » (relationnal policy capacity) lorsqu’elle repose essentiellement sur l’autorégulation des acteurs situés à l’extérieur des frontières traditionnelles des institutions publiques (Yayasuriya, 2005). Cette capacité politique relationnelle renvoie à des formes de gouvernance plus autonomes, dispersées et indépendantes des jeux politiques (Yayasuriya, 2005)124. Cette mobilisation est nécessaire parce que les agents publics doivent interagir dans un environnement diversifié, complexe et dynamique, et le besoin de régulation, d’efficience et d’atteinte des objectifs doit coexister avec la créativité, l’intuition, l’expérience et même les émotions (Kooiman, 2003). L’engagement à servir le bien commun consiste à réaffirmer les valeurs de la démocratie, et les administrateurs publics doivent posséder la vertu de comprendre d’abord ce qu’ils sont, afin d’assumer la liberté de juger de ce qui devrait être fait, plutôt que d’agir par conformisme sous l’impulsion de ce qui doit être fait (Gawthrop, 1998). Un tel engagement conduit à des choix normatifs sur les implications des contrôles bureaucratiques et de la gouvernance démocratique. La communauté académique s’entend d’ailleurs pour reconnaitre que les valeurs, sur ce qui est juste, constituent la plus puissante source de motivation (MSP) de performance du secteur public125 (Perry, 2000; Meyers et Vorsanger, 2003). Intégrer tous les facteurs en cause dans une

123Pour reconstituer le rôle de l’État tout en favorisant une participation élargie (Rhodes, 1997; Pierre et Peters 2000). 124 Que ne laissait entendre l’art opérationnel.

125« Motivation du secteur public » (MSP) qui se définit comme suit : « an individual’s predisposition to respond

to motives grounded primarily or uniquely in public institutions and organizations » (Perry et Wise, 1990, p.368). Utilise les théories de la motivation dans une application distincte au secteur public en faisant contrepoids aux théories du choix rationnel, lorsqu’une plus grande attention est accordée aux valeurs « normes » sociales intériorisées. La MSP s’évalue selon une échelle à quatre facteurs : l’intérêt pour l’élaboration des politiques publiques; la compassion; le sens d’engagement au devoir civique/intérêt public; et altruisme. (Perry, 2000)

situation qui concerne les citoyens est un choix normatif. Aux besoins d’anticiper et de réagir, s’ajoute alors celui de transcender le cadre prévu pour donner un sens aux deux précédents. Cette lecture ajoute une autre pierre à notre édifice de connaissances. Chaque mode de gouvernance présente l’image d’une « totalité organisée » qui lui est propre : une Gestalt (Piaget, 2007, p.50). C’est-à-dire une forme structurée, composée d’un champ de forces dont la composition varie en direction et en intensité (Köhler, Wertheimer et Lewin dans Piaget, 2007). Selon le mode de gouvernance126, la jonction stratégique, entre la capacité étatique et la capacité administrative, privilégierait logiquement des lieux décisionnels différents, à savoir différents centres de gravité selon le désign institutionnel. On les retrouverait soit en première ligne, soit dans les mains des élus et des hauts fonctionnaires, soit à des niveaux intermédiaires. Selon le cas, s’appliquerait alors idéalement un modèle typique d’organisation, avec une structure de prise de décision assortie au degré de spécialisation verticale et horizontale qui caractérise la conception des postes127 (Minztberg, 2011).

Indépendamment du modèle de gouvernance, le « bien commun » demeure difficile à concrétiser au quotidien, les administrateurs publics de terrain ont besoin d’être guidés dans des choix qui les exposent à des dilemmes128 (Gawthrop, 1998). Invariablement, le besoin d’orienter les décisions d’exception et d’assumer la fonction stratégique qui s’en suit fait appel à la fois à l’Art et la science, dans la façon de générer une puissance d’agir qui serve l’intérêt public, et d’influencer les paramètres qui définissent la gouvernance. L’analyse structurale aidera à interpréter comment cette influence peut s’exercer.