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Typiquement, pour un établissement du réseau public, c’est le positionnement qui devrait décliner sa perspective stratégique. C’est-à-dire que les établissements d’enseignement publics se voient attribuer un positionnement par rapport à un bassin de la population et aux autres établissements, en fonction d’un découpage territorial. Il revient alors à l’école de présenter un concept qui colle à la réalité de son secteur. La perspective de l’école est une façon de voir son projet éducatif afin de répondre aux besoins spécifiques de la communauté qu’elle dessert. Mais aussi, ce projet éducatif doit être performant, maximiser les services à l’élève (R1.1) tout comme l’utilisation des ressources (R1.8). Le projet éducatif est centré sur l’élève, et non le parent. La participation des parents est d’ailleurs limitée (R1.6), bien que l’implication de ceux dont les enfants sont inscrits dans les concentrations serait plus élevée.

Cette image demeure toutefois encore incomplète. À certains égards, l’établissement étudié n’interpelle pas une tranche plus aisée de son bassin de population cible qui lui préfère systématiquement le secteur privé. En contrepartie, le projet éducatif offre des programmes spéciaux qui rejoignent les besoins d’une clientèle qui s’étend au-delà de son territoire. Le projet éducatif de cet établissement est soucieux de son positionnement stratégique. À ce titre, le positionnement et la perspective stratégiques de l’école jouent l’un sur l’autre.

7.2.1 Un positionnement

L’établissement s’adresse à un bassin de la population où la diversité culturelle est relativement « faible par rapport à Montréal, mais tout de même, elle est plus importante que sur la Rive Sud

de … » (R1.5). Les perceptions sont partagées, elles varient d’une évaluation faible à une évaluation élevée. Cette variation reflète une transformation récente du milieu dont l’importance ne tient pas tant au nombre, qu’à l’inclusion d’une nouvelle clientèle210 qui tient à affirmer ses différences religieuses et culturelles.

Le milieu socioéconomique des élèves est perçu comme « davantage défavorisé », bien que l’emplacement de l’école ne soit pas identifié à milieu défavorisé, lorsque l’ensemble du secteur est pris en considération. Les écarts entre riches et pauvres sont importants, et ce sont les plus défavorisés qui fréquentent l’école : « Le contexte socioéconomique, on est au niveau du milieu, j’ai des familles très peu aisées, beaucoup de HLM en bas de l’autoroute, jusqu’à des maisons de 750 000$. Mais dans le secteur où j’ai des maisons à 750 000$, ils ne viennent pas ici, ils vont au privé » (R1.8).

L’école attire des enfants en provenance des autres secteurs en offrant des « parcours privilégiés » (Van Zanten, 2011). Les concentrations211 offertes en 4, 5, et 6esont les « technologies de l’information et des communications (TICs) », et « patinage artistique ». Elles contribuent au développement de l’école : « c’est un plus pour nos étudiants de ces concentrations-là qui semblent bien performer […] à l’école ça lui donne une image » (R1.2). Le service de garde est très utilisé : 233 élèves y sont inscrits sur 300 (R1.6). L’établissement a également développé un autre créneau en accueillant des jeunes avec des troubles envahissants d’apprentissage (TED).

7.2.2 Une perspective

La perspective de l’école c’est une approche par concentrations. Il y a le passage à partir de la 4e, de classes équilibrées comprenant des forts, des moyens, et des faibles à une répartition par concentrations. D’une part « les groupes sont très écrémés, et les enseignants 4e, 5e, et 6e des classes régulières se retrouvent avec l’ensemble des élèves qui n’avaient pas la capacité d’aller

210L’école a d’ailleurs été choisie afin de répondre aux besoins urgents de nombreuses familles réfugiées qui

s’établissent sur le territoire de la commission scolaire et a mis en place une classe d’intégration et de francisation pour 20 enfants (Article B-Express, 26 mai 2011).

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Une concentration est un projet pédagogique axé sur le développement de compétences en langues, en arts, en sports (patinage artistique) ou en technologiques (informatique).

en concentration » (R1.4), mais, d’autre part, la répartition des élèves répond à la motivation, aux aptitudes, et au développement particulier dont chaque élève a besoin (R1.5).

Depuis deux ans, l’accueil d’élèves avec des troubles envahissant d’apprentissage a donné une nouveau sens au projet éducatif. Elle suscite une collaboration plus étroite au sein de l’équipe- école, pour intervenir auprès d’une clientèle (TED) qui requiert plus de services. Un cas peut impliquer la participation de plus d’un professeur et spécialiste, pour dresser une image globale, et le succès de la stratégie d’intervention dépend de cette participation élargie (R1.7). La perspective de l’école c’est de répondre à l’appel de cette clientèle très diversifiée : « les enfants ont les mêmes besoins de base, mais chaque entité doit être traitée de façon différente parce qu’ils ont des besoins différents » (R1.2). Les choses deviennent plus délicates avec les élèves en difficultés, et handicapés. Le succès dépend grandement de la réceptivité du directeur et des enseignants. Il y a tellement d’enfants qui ont des besoins que la commission scolaire ne peut répondre aux demandes à 100% : « donc au niveau de l’école, il faut se dire OK, selon nos priorités, qu’est-ce qu’on est prêt à couper pour dire on va payer, là on va prendre ces sous-là pour donner des services à ces enfants-là » (R1.8). Le directeur exerce un jugement esthétique en se faisant un devoir de tenter d’abord de mitiger les problèmes avec les ressources en main, en prenant la responsabilité d’agir, plutôt que d’attendre des ressources supplémentaires ou de laisser faire.

Ces changements ont provoqué une transition bouleversante pour le personnel enseignant qui s’est soldée par des départs (R1.2). Mais il en résulte une équipe renouvelée sur la base d’une solidarité plus étroite : « ici on a une très, très belle dynamique, ça n’a pas toujours été le cas, mais maintenant on a une très belle dynamique, puis ça change du tout au tout la productivité, je vais dire du milieu, et l’ouverture du milieu, à recevoir des nouveaux projets, des nouveaux élèves, des élèves en difficultés » (R1.8). L’accès au succès est intimement lié au sentiment de participation dans « une équipe soudée » (R1.4 ; R1.6); « on a des enfants très difficiles, et depuis qu’on a changé d’équipe de professeurs aussi, il y a deux ans, il y en a sept qui sont partis, en tout cas ils sont plus le fun [l’équipe actuelle] : sont d’accord d’être plus en relation d’aide dans le fond » (R1.3).

Il en va de même pour le service de garde qui compte sur un noyau d’intervenants qui s’identifient à la perspective de l’établissement. La responsable souligne l’importance de pouvoir être partie prenante dans le projet éducatif, et de participer au conseil d’établissement. En étant mieux renseignée, le service de garde est alors en mesure de se donner une orientation : « il faut avoir un but pédagogique, qu’on aille dans le même sens » (R1.6). La volonté de partager une perspective ne se limite pas au personnel enseignant. Au programme académique se superpose des activités éducatives qui contribuent à la réalisation du projet éducatif, mais aussi à s’assurer que les enfants se sentent bien disposés à apprendre lorsqu’ils arrivent en classe (R1.6) : « Les enfants faut qu’ils aient du plaisir, moi je dis qu’un enfant qui est heureux à l’école va apprendre […] il y a des enfants là que c’est vraiment triste de voir, ce qu’ils ne reçoivent pas » (R1.3).

Les services de soutien et les sorties parascolaires sont des services obtenus en sous-traitance, administrés par la commission scolaire. Quant aux entraineurs pour le programme de patinage artistique, leurs services sont défrayés directement par les parents. Ces personnes sont engagées pour remplir des tâches spécifiques, ils n’ont pas à développer un sentiment d’appartenance au projet éducatif (R1.6).

La perspective de l’école est également en partie influencée par la commission scolaire. Les mécanismes de marché s’appliquant peu, il y a le souci de démontrer que les résultats escomptés sont atteints, et qu’ils le sont de façon efficiente. L’exigence ne se limite pas à une reddition de comptes, mais à une évaluation des résultats qui relie la performance de la commission scolaire à chaque école, à chaque enseignant; pour évaluer le succès académique des élèves : « ça donne quoi au bout de la ligne [taux de réussite] ? » (R1.8).

Les répondants ont été invités à exprimer spontanément l’idée que le concept-école évoquait pour eux212. Les réponses résument différents points de vue sur la perspective du projet éducatif de l’école représentée au Tableau 7.1 de la page qui suit. C’est leur représentation normative de cet idéal.

212La question était : « Si je vous demandais d’associer votre école à un concept, ou à une idée directrice qui la

Tableau 7.1 Le concept « école » selon les répondants de l’EP1

Ce qui caractérise le concept-école selon les répondants

R1.2 Miser sur l’aspect humain

R1.3 Équipe-école hors pair, comme des anges sur deux pattes

R1.4 Perpétuelle recherche de projets motivateurs, d’une année à l’autre, qu’est-ce que l’on pourrait faire cette année pour …

R1.5 Ouverture, une belle ouverture R1.6 L’intégration, t’es accepté au départ

R1.7 Une famille vraiment ensemble qui s’entraide

R1.8 Ouverture, ouverture sur le milieu, sur les différences, sur les différentes approches pédagogiques

7.2.3 Les implications stratégiques

Le directeur de l’EP1 a la possibilité d’influencer le positionnement tout comme la perspective stratégique de l’établissement. Son projet éducatif s’adresse à un territoire élargi. Les concentrations permettent à l’établissement de se démarquer, mais l’établissement pourrait aussi décider de modifier ces concentrations. Bien qu’elle fasse partie d’une commission scolaire, le directeur peut, en principe, prendre des décisions ad hoc d’exception qui ont une incidence stratégique, et qui apportent un contenu tangible à la politique d’éducation. Par conséquent, la direction de l’établissement peut potentiellement remplir un rôle stratégique et nous verrons, dans les prochaines sections, si nous pouvons l’interpréter dans le sens de l’ART ADMINISTRATIF.