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Le maintien forcé du contrat prononcé au titre de la réparation en nature du préjudice

Dans le document L'immixtion du juge dans les contrats (Page 95-98)

Paragraphe I. Un maintien forcé pouvant être une forme d’exécution ou de réparation d’une

B. Le maintien forcé du contrat prononcé au titre de la réparation en nature du préjudice

préjudice.

Le maintien forcé du contrat peut aussi s’apparenter à une réparation en nature du préjudice causé par la rupture du lien contractuel, notamment lorsque le contractant a commis un abus de droit (1). Cette sanction de la responsabilité demeure distincte de la nullité (2).

1. La réparation en nature, sanction de l'abus de droit de rompre.

C’est sur le terrain de l’abus de droit que la jurisprudence, et parfois la loi, viennent sanctionner l’usage déloyal d’un droit de rompre le contrat, pour éviter que celui-ci ne devienne un instrument de tyrannie.L’abus peut apparaître dans les circonstances entourant la rupture, et éventuellement, dans les motifs de la rupture elle-même.

Concernant les circonstances de la rupture, ils peuvent la rendre abusive lorsque « la

brutalité de la cessation des rapports contractuels traduit un comportement répréhensible de l'auteur de la rupture. »178 Notamment, ce comportement abusif peut venir d’un manquement au délai de préavis. L'article L. 442-6-I, 5e du Code de commerce prévoit que « tout producteur, commerçant, industriel ou artisan » qui rompt « brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels » engage sa responsabilité. Cette obligation de prévenir permet à la partie subissant la rupture d’anticiper la fin du lien contractuel et conclure une nouvelle convention. Elle apparaît comme un principe régissant les contrats à durée indéterminée qui permet au juge, en l'absence de textes, de considérer comme abusives, sur le fondement de l'alinéa 3 de l'article 1134179, les ruptures intervenues sans que le cocontractant en ait été averti suffisamment à l'avance180.

Cette règle ne s’applique pas aux contrats à durée déterminée, même si certains auteurs le réclament. Toutefois, la rupture d'un tel contrat peut être abusive, en raison d'autres circonstances.« En effet, les circonstances susceptibles de rendre la rupture abusive peuvent

177

Cass. civ. 1re, 29 mai 2001, n°99-12478, inédit.

178

Marais A., « Le maintien forcé du contrat par le juge », LPA 2002, n° 197 179

Cass. Civ.1re, 5 février 1985, n°83-15895, Bull. Civ. I, no 54 180

également résulter du comportement incohérent de l'auteur de la rupture qui aurait créé chez son partenaire une croyance erronée au maintien du contrat.181 »

S'agissant maintenant des motifs de la rupture, ceux-ci ne sont pris en compte que d'une manière exceptionnelle pour caractériser l'abus de rompre un contrat. L'article L. 420-2 du Code du commerce qui réprime l'exploitation abusive par une entreprise d'une position dominante, indique que l'abus peut notamment consister « dans la rupture de relations commerciales établies, au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées ». Pour autant, le juge ne dispose pas d’un pouvoir général de contrôler l'opportunité de la rupture, car le principe demeure que l'initiateur d'une résiliation d'un contrat à durée indéterminée ou d'un non-renouvellement d'un contrat à durée déterminée182 n'a pas à motiver sa décision.

Ainsi, en présence d'un abus dans l'exercice du droit de rompre, le maintien forcé du contrat pourrait être décidé au titre de la réparation en nature du préjudice.

Bien souvent, ce sera le juge des référés qui prononcera le maintien du contrat aux fins

de prévenir le dommage imminent causé par la rupture183.

Certains auteurs estiment que la réparation en nature liée à la rupture abusive devrait être généralisée et préférée aux dommages et intérêts. Madame Marais reprend « M.-E.

Pancrazi-Tian qui propose de sanctionner le non-renouvellement abusif d'un contrat à durée déterminée par « une reconduction de la convention pour une même période et aux conditions antérieures », la résiliation abusive d'un contrat à durée indéterminée « par la prolongation du contrat pour un temps indéterminé. Quant à la brusquerie de la rupture, elle serait sanctionnée par une prolongation du contrat pour un temps correspondant au préavis que l'auteur de la rupture aurait dû respecter.» »

Les craintes entourant la prolongation forcée du contrat sont centrées sur le risque de perpétuation du contrat. Pourtant un tel risque peut être conjuré en distinguant la réparation en nature de la nullité.

2. La réparation en nature du préjudice, sanction distincte de la nullité.

Le maintien forcé du contrat demeure une mesure facultative de réparation du préjudice, en raison d’abus dans la rupture, qui doit être distinguée de la nullité. La nullité agit directement sur une situation illicite, en la faisant disparaitre rétroactivement, tandis que la réparation, elle, tend à supprimer les conséquences de la situation illicite.

Ainsi, même une réparation en nature ne rétablit pas une situation antérieure. Elle ne fait que compenser le dommage. « Aussi lorsque le juge prononce le maintien forcé du contrat en raison de l'abus de droit de rompre, il neutralise le comportement déloyal en suspendant les effets de la décision abusive qui, un jour, aura de nouveau vocation à

181 Cass. Com., 28 janvier 1995, n°93-13966, inédit. 182

Cass. Com., 17 avril 1980, n°78-14618, Bull. Civ. IV, no 152 183

s'appliquer. Cette sanction ne paralyse donc pas le droit de rompre lui-même, à la différence de la nullité de l'acte unilatéral de rupture. »184

La question s'est toutefois posée de sanctionner l'abus du droit de rompre, d'une manière générale, par la nullité de la décision de rupture en considérant que l’exercice abusif d'un droit équivaut à un comportement sans droit, qui devrait à ce titre être privé des effets juridiques qu'il devrait normalement produire . Comme le rappelle Madame Marais « Fût-elle

séduisante, cette solution, en conduisant à la déchéance du droit de rompre, n'en est pas moins potentiellement dangereuse pour la liberté contractuelle. Car même si la vision solidariste du contrat justifie l'immixtion croissante du juge dans le contrat pour y faire régner « loyauté, solidarité et fraternité », elle ne doit pas conduire à soumettre les contractants à l'arbitraire du juge en lui permettant de contrer sans ménagement la volonté des parties. »

Le maintien résultant de la réparation du préjudice se doit d’être limité dans le temps.

La Cour de cassation, le 7 novembre 2000185 , en approuvant les juges des référés d'avoir

adopté « comme mesure conservatoire la poursuite des effets du contrat, fût-il dénoncé », a censuré la Cour d'appel qui n'avait pas fixé « un terme certain » à la mesure qu'elle ordonnait. La fixation de la durée du maintien ne pose pas de difficulté lorsque l'abus consiste à avoir résilié le contrat sans respecter un préavis suffisant. Dans ce cas, il suffit de reporter à

l'échéance du terme imposé par la loi, l'usage ou la convention, les effets du préavis186. Une

telle fixation sera certainement plus compliquée dans les autres hypothèses d'abus et variera en fonction des circonstances. Le juge devrait alors évaluer le délai raisonnable pendant lequel la prolongation du contrat permettra de réparer le préjudice subi par le contractant, en lui laissant le temps, par exemple, de trouver un autre partenaire. « Pour conjurer le risque

d'insécurité lié à l'intervention croissante du juge dans le contrat, il est nécessaire d'imposer une limite temporelle à la prolongation forcée du contrat, lorsque cette prolongation apparaît comme une mesure facultative de réparation en nature du préjudice lié à la rupture abusive d'un contrat. Il s'agit alors seulement de suspendre les effets de la décision de rupture sans remettre en cause la validité de celle-ci. »187

Ces différentes hypothèses de maintien forcé du contrat sont, généralement, bien acceptées par les auteurs, qui souhaitent même la généralisation de cette sanction en nature. Cette mesure a l’avantage de préserver la vision traditionnelle française du droit des contrats, mais est difficilement mise en œuvre en pratique.

184

ibid

185

Cass. Civ. 1re, 7 novembre 2000, n°99-18576, Bull. Civ., I, n°286. 186 Cass. Com., 9 février 1976, n°74-12283, Bull. civ. IV, no 44.

187

Paragraphe II. Un maintien forcé du contrat souhaité, et souhaitable

Dans le document L'immixtion du juge dans les contrats (Page 95-98)

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