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Nous avons opté pour une approche méthodologique axée sur deux niveaux aussi bien quantitatif que qualitatif.32 Ce choix méthodologique vise à donner des éclairages différents et complémentaires sur le rapport au personnage et permet d’enrichir, nous le souhaitons, la réflexion méthodologique et les résultats de recherche eux-mêmes.

Notre étude porte en général sur une population d’élèves du Secondaire choisis dans un échantillon de lycées dans des régions différentes du pays.33 Elle entend fournir une représentation des comportements des sujets enquêtés. Dans ce cas, nous n’envisageons pas la généralisation des conclusions, puisque l’analyse ne concerne qu’un segment limité de la population; celui-ci peut même se limiter à un seul apprenant, quand ce cas singulier apparaît révélateur.34

32 On retiendra par conséquent que notre enquête quantitative peut difficilement prétendre traduire la diversité des réactions des élèves-lecteurs ou appréhender directement la multiplicité des logiques et mécanismes à l’œuvre derrière les divers rapports au personnage.

C’est pourquoi nous avons jugé nécessaire de multiplier les points de vue et de recourir à des méthodes qualitatives par entretiens qui sont plus adaptées pour analyser les réactions de type affectif.

33Nous avons choisi ce type d’enquête car il permet une quantification des phénomènes étudiés. Cependant, nous en sommes consciente, le fait qu’un résultat soit donné avec une grande précision ne garantit en rien son exactitude.

34C’est le cas de certains élèves, de sexe masculin, qui développent un mode d’affectivité assez particulier : pour eux, l’étude de certains thèmes de la trilogie, comme le concubinage, l’homosexualité, peut être ressentie comme une atteinte à leur personnalité ou à leurs traditions.

La peur de l’acculturation, du reniement de soi est parfois à l’origine de profonds rejets affectifs qui s’avèrent néfastes à l’assimilation d’un code socioculturel étranger.

Objectifs, hypothèses et étapes de l’enquête:

Nous pouvons distinguer quatre phases dans le travail qui va de la conception de l’enquête à l’interprétation des résultats qu’elle donne.

Nous avons opté pour la méthode aléatoire.35 Les questionnaires ont été administrés à des élèves appartenant à des établissements étatiques. Si cela présente une facilité certaine pour le retour des feuilles de réponse, il ne s’agit pas, et nous en sommes parfaitement consciente, d’un échantillon représentatif de la population scolaire : à preuve, l’absence des élèves des établissements privés.

Notre échantillon dans ce cas n’a pas besoin d’être très important dans la mesure où il doit être significatif au regard des questions posées, mais il n’a pas besoin d’être représentatif, comme dans l’approche quantitative où il s’agit d’obtenir une mesure exacte des phénomènes observés.

Autobiographies de lecteurs :

Nous avons interrogé une vingtaine d’étudiants sur leur expérience de lecture en leur demandant de rédiger une sorte d’ « autobiographie de lecteurs » qui reprend un peu leur parcours de lycéens. Ce groupe est essentiellement constitué d’étudiants inscrits en première année Licence Fondamentale de Langue et Littérature Françaises à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Sousse.36 Une telle sélection serait critiquable si nous cherchions à donner une

35Nous avons prélevé dans une base de sondage (une liste des classes dans chaque lycée) les groupes qui composeront l’échantillon en donnant à chacun une chance égale d’être choisi : une classe est sélectionnée à intervalle régulier de 5 groupes. La « bonne » durée dépend du mode d’interrogation (en face à face, au domicile des personnes interrogées), du lieu (en classe ou chez soi), mais aussi du sujet et de l’intérêt que l’enquêté lui manifeste : le bon élève, aimant parler de son expérience de lecteur ou de ses émotions face à tel ou tel personnage, va faire en sorte que ses réponses soient aussi complètes que sincères. A l’issue de l’enquête nous étions en possession de 145 feuilles de réponses, 145 sujets interrogés, de manière générale, les lycéens sondés sont représentatifs des classes d’âge de 16 à 22 ans au moment de l’enquête (2006).

36Notons que les étudiants en question sont issus de différentes régions de la Tunisie, ce qui garantit pour nous la même variété qui caractérise notre échantillon de lycéens auxquels nous avons administré le premier questionnaire.

idée représentative de la population estudiantine dans son ensemble. Le travail sur ces « autobiographies de lecteurs », nous permettra d’analyser tout particulièrement les souvenirs de lycéens de ces étudiants, lesquels souvenirs peuvent nous renseigner sur leur expérience littéraire, que nous supposons intéressante eu égard au choix qu’ils ont fait de poursuivre leurs études supérieures en langue et littérature françaises. Nous pouvons formuler l’hypothèse qu’ils ont plus ou moins acquis le goût de la littérature, ce qui implique, par exemple, qu’ils aient au moins une petite expérience de la lecture affectivo-identitaire.

En ce qui concerne cette méthode d’investigation, il nous semble qu’elle s’imposait d’elle-même parce qu’elle permet de ménager une place à la réalité subjective de l’enquêté. Nous pensons que cette forme de « narration autobiographique » permet de saisir non seulement les affects, mais aussi les différents rôles sociaux que ces élèves-lecteurs peuvent investir dans la lecture.

Questionnaire et test de représentations :

Avant de lancer notre enquête, nous en avons défini les objectifs, en transformant la question générale à l’origine de l’enquête -« Quels sont les rapports de nos élèves aux personnages romanesques ? »- en une série de questions spécifiques permettant une vérification empirique. Le premier travail consiste donc à décomposer l’objectif initial (l’étude de la réception du personnage romanesque) en indicateurs mesurables : comment vérifier l’influence des habitudes de la réception acquises dans le cadre scolaire? À travers quel(s) indicateur(s) mesurer le degré d’investissement des apprenants ?

Nous reconnaissons que notre enquête par questionnaire ne fournit pas une évaluation précise, mais plutôt un ordre de tendance et d’indications sur la fréquence de certains phénomènes. Elle permet tout d’abord de mesurer des fréquences, comme par exemple celle de l’emploi d’un vocabulaire affectif ; ensuite de faire des comparaisons et d’observer des relations entre les variables pédagogiques et psychoaffectives ; et enfin de repérer le poids de certains facteurs sociaux-culturels (comme les élèves issus de milieux conservateurs ou pas). Mais cette enquête est incapable de déceler les phénomènes trop faibles

quantitativement, encore émergents ou trop particuliers, tels que le degré d’investissement ou d’implication de l’enquêté dans le texte. De ce fait, le questionnaire constitue le plus souvent un instrument beaucoup trop fruste pour percevoir la plupart des effets du personnage sur les élèves-lecteurs.

Par ailleurs, nous avons tenté de contourner certaines des limites de ce type d’enquête grâce à l’introduction de questions ouvertes37 qui ont permis aux élèves interrogés de répondre en utilisant leur propre vocabulaire, sans cadre préétabli. Ainsi, nous avons pu obtenir des réponses plus ou moins pertinentes.

Entretiens :

Dans une deuxième étape, après l’analyse des réponses des enquêtés et de leurs déclarations dans leurs autobiographies de lecteurs, nous nous sommes intéressée à un groupe plus restreint d’élèves de terminale, choisis selon leurs dispositions à la lecture. Nous avons ainsi retenu une fourchette de 15 entretiens vu qu’au delà, l’information risque de devenir redondante.38Ces mêmes enquêtés ont constitué dans une troisième étape les trois groupes de lecteurs des trois romans de la trilogie politique de Yasmina Khadra:Les Hirondelles de Kaboul, L’Attentat etLes Sirènes de Bagdad. Nous avons donc constitué trois groupes de cinq lecteurs. En outre, nous avons constaté que le discours qui émerge au sein de ces trois groupes est souvent plus riche que la somme des discours individuels dans la mesure où chaque participant est amené à défendre son point de vue

37Voir le questionnaire sur le rapport au personnage du « morceau choisi » destinée aux élèves-lecteurs dans les annexes.

38 Dans la réalisation de notre enquête, la qualité des résultats dépendait beaucoup des conditions matérielles de son déroulement. C’est pour cette raison que nous avons préféré administrer le questionnaire « par intermédiaire » à l’enquête auto-administrée (faite au domicile) qui, présentait peut-être l’avantage d’être plus pratique, mais qui a par contre un inconvénient majeur : l’auto-sélection des répondants qui pourrait nuire très gravement à la représentativité de l’échantillon (en général, seuls les élèves les plus motivés ou intéressés par le sujet prennent la peine de répondre à toutes les questions).

vis des autres ou à réagir à leurs arguments.39 Dans notre méthodologie de transcription des entretiens, nous étions amenée à restituer le propos de nos interviewés de manière à respecter les normes suivantes : outre la transcription non mécanique de l’oral, nous avons remplacé certaines expressions relâchées par leurs équivalents plus courants comme nous avons procédé à la correction de certains emplois erronés.40

Nous cherchons ainsi à obtenir un autre cadre, en l’occurrence celui du texte intégral, qui permet d’identifier les facteurs qui décrivent ou expliquent les différents rapports au personnage, en termes de rejet, de distanciation, de fusion ou d’identification. Nous avons essayé de trouver, dans la diversité des lecteurs et des romans proposés, les combinaisons spécifiques de variables qui, en accord avec chaque champ pédagogique, social et culturel, sont jugées responsables de certaines attitudes face au texte littéraire.

Traitement et analyse des résultats :

Ainsi, une fois les informations recueillies, nous avons préparé les données en vérifiant les réponses à travers des tests de cohérence et en statuant sur le cas des non réponses (certains élèves n’ont pas répondu ou ont oublié de répondre à certains items du questionnaire). Ensuite, nous avons construit des variables selon le genre et nous avons codifié les questions ouvertes en créant des catégories regroupant des réponses homogènes : ainsi, par exemple, puisque nous avons posé des questions du type «Quel est le type de personnages que tu apprécies le plus?»,

«Aimes-tu discuter des personnages en classe?» ou « Est-il arrivé qu’un texte vous touche au point, par exemple, que sa lecture vous fasse pleurer ? » sans suggérer de choix multiples, nous étions contrainte de procéder à des analyses de contenu ou à une analyse lexicale avant de codifier les réponses proprement dites.

39 La réunion des deux groupes était plus qu’utile, au terme d’une enquête pour faire réagir les participants aux principales conclusions.

40 Voir un extrait des entretiens dans les annexes.

Les difficultés méthodologiques :

Nous évoquerons trois difficultés majeures, incontournables quand on s’intéresse à la question de la réception, même si leur acuité est plus ou moins grande selon les objectifs poursuivis et les méthodes mises en œuvre. Prenons par exemple la distinction entre deux types d’élèves-lecteurs, celui des enthousiastes et celui des indifférents: elle peut sembler relever de l’évidence alors que, de fait, elle repose entièrement sur la définition qui est donnée du lecteur, de ce que les apprenants interrogés jugent «bon» de répondre quand ils sont interrogés et du choix, du moment et du lieu de l’administration du questionnaire.41

Ce simple exemple montre combien les résultats d’une enquête, loin d’être une simple photographie d’une réalité préexistante, dépendent pour une large part des choix méthodologiques et théoriques qui sont faits et des conditions matérielles de la réalisation de l’enquête. D’ailleurs, notre expérience d’enseignement nous permet de signaler l’idée d’un décalage entre ce que les élèves-lecteurs font et ce qu’ils disent faire en matière de lecture littéraire, surtout en situation d’interaction, provoquée par un enquêteur.42 Certes, face aux circonstances réelles, nous devons contextualiser, en la relativisant, la force contraignante de ces facteurs. Et, en conséquence, nous avons admis la nécessité d’établir un ensemble d’hypothèses sur les effets prévisibles des facteurs mentionnés.43

41 En effet, les résultats sont sensiblement différents selon que l’interrogation porte sur leurs lectures de l’année scolaire en cours ou sur les années précédentes.

42 Par ailleurs, il faut bien avouer que les conditions de l’interaction entre l’enquêteur et l’enquêté lors des entretiens ont certainement influencé les résultats évacués (Généralement ce qui est dit par l’enquêté n’est pas le reflet exact de ce qu’il a fait, de ce qu’il pense ou de ce qu’il ressent, etc.). D’ailleurs, nous avons tenté, tant bien que mal, de conserver une neutralité bienveillante de manière à susciter un sentiment de confiance favorable à l’expression d’idées personnelles, voire intimes des élèves- lecteurs.

43 Nous avons dû, par exemple, émettre l’hypothèse suivante : les jeunes d’aujourd’hui s’intéressent beaucoup plus aux personnages filmiques ou à ceux des jeux virtuels qu’aux personnages « ennuyeux » des romans classiques ou modernes.

Au terme de cette présentation, il convient de souligner qu’aucun des modes d’investigation n’est intrinsèquement meilleur que les autres. En effet, la pertinence de notre méthodologie dépend entièrement des objectifs poursuivis, des thèmes abordés et des moyens disponibles.44 Cependant, la réalisation d’une enquête sur les comportements de lecture, compte tenu des nombreuses incertitudes qui pèsent sur la définition et la perception du personnage romanesque, soulève de nombreux problèmes méthodologiques.

44 Signalons que les enquêtes quantitatives par sondage réclament en général un niveau de financement important.