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Les choix méthodologiques

2.1.3. Méthodologie, question de recherche et concepts mobilisés

Notre méthodologie de recherche a suivi quatre phases. Tout d’abord, nous avons souhaité remonter le cours de l’histoire de la Numérisation de l’Espace de Bataille afin de découvrir ses principes fondateurs. Pour ce faire, nous avons réalisé un travail quasi systématique et préalablement inexistant de recueil, de synthèse et de triangulation de données depuis l’origine du concept américain de Network-Centric Warfare jusqu’à ses concrétisations les plus récentes aux États-Unis, en Australie puis en France. La volonté de décrire la vision australienne du NCW provient de trois caractéristiques :

- montrer une concrétisation du NCW dans le monde anglo-saxon au sein d’une armée

relativement petite et possédant majoritairement des matériels militaires d’origine américaine ;

- bénéficier d’une banque d’informations officielles extrêmement riche et disponible

aisément sur Internet ;

- profiter d’une vision claire, homogène et bien structurée du NCW comparativement

aux deux autres pays afin d’isoler certaines notions complexes mais communes aux nations ayant débuté leur processus de numérisation.

La deuxième étape explique comment nous avons constaté l’existence de certains usages non prévus du MPME. En effet, notre travail de recherche préliminaire, via une approche technocentrée exacerbée, souhaitait découvrir comment faire en sorte que les équipages acceptent (de Vaujany, 2009a) d’utiliser de nouvelles Technologies de l’Information. Notre première préoccupation s’intéressait donc à la problématique de changement organisationnel

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et à la résistance au changement que nous pensions être importantes au vu de l’ampleur des évolutions techniques et organisationnelles qu’allait devoir absorber l’ALAT19.

Toutefois, et à l’image du principe de sérendipité, il est apparu lors d’expérimentations sur des simulateurs tactiques visant à répondre à cette première problématique que les équipages ne développaient pas de résistance particulière mais recombinaient les ressources naissantes de multiples technologies, dont certaines étaient externes au MPME, pour

réaliser et optimiser leur travail. Il fallait donc sortir de ce cadre expérimental afin de

s’intéresser aux situations naturelles.

Après une revue de littérature académique et professionnelle concernant la dynamique d’appropriation des technologies consacrée à la compréhension des processus d’émergence des usages non prescrits, nous avons décidé de les caractériser selon le concept de bricolage de Ciborra (1992).

Le terme de bricolage exprime d’une manière remarquable nos constatations puisque pour Ciborra, il est « un ensemble de pratiques basées sur du matériel de seconde main mobilisé afin de construire une structure ou un artefact lorsque rien de plus approprié

n’est à la disposition des acteurs ».

Ce terme de bricolage est régulièrement utilisé en langue française par de nombreux auteurs pourtant anglophones comme Ted Baker, Reed Nelson ou Karl Weick car il n’a pas de sens équivalent en anglais. Il exprime à la fois l’idée de « tinkering » et de sérendipité. Notre question de recherche est donc la suivante :

Question de recherche

Comment la prise en compte des usages émergents d’une Technologie de l’Information peut participer à l’évolution du Système d’Information ?

La troisième étape a servi à identifier les différentes analyses théoriques des bricolages en répondant à la première sous-question de recherche suivante :

19 Ces changements concernent aussi l’environnement organisationnel de l’ALAT via par exemple la création des Bases de Défense qui sont chargées de l’administration générale et du soutien commun.

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1ère sous-question de recherche

Quelles peuvent-être les différentes approches théoriques des bricolages ?

Nous avons appliqué aux bricolages la grille de lecture des positions de recherche envers la technologie présentées par Orlikowski (2007; 2009) :

- l’approche technocentrée des bricolages « top-down » (la technologie comme force exogène) dans laquelle nous intégrons le concept de satisfaction sous-jacent à celui d’acceptation proche d’une ligne de conduite plus « bottom-up ». En effet ces deux prismes d’analyse ont mené au même constat d’évolution technique et se sont rencontrées à compter de la phase d’implémentation des premiers dispositifs de Préparation de Mission (PM) numérisés monolithiques (début des années 2000) jusqu’à la mise à disposition de la première version du MPME (2008) ;

- l’approche sociotechnique des bricolages par le concept d’appropriation (le processus émerge des interactions entre la technologie et le social) lors de la mise en œuvre opérationnelle du MPME de 2009 à 2011 ;

- l’approche sociomatérielle des bricolages depuis le début 2012 et après l’utilisation du MPME en temps de crise. Ce cadre théorique nous propose de dépasser la vision duale du SI tout en réintégrant la matérialité de la technologie.

Toutefois, et afin de pouvoir analyser des bricolages, il a d’abord fallu mettre en place une méthode de RETEX apte à les rendre visibles car ils n’apparaissent que rarement (ou de manière tronquée) avec les dispositifs de RETEX officiels et organisationnels. Dans cette quatrième phase, nous avons donc cherché à répondre à la seconde sous-question de recherche suivante :

2nd sous-question de recherche

Quelle procédure de retour d’expérience est la plus pertinente pour

observer in situ les bricolages ?

Pour ce faire, et compte-tenu des obstacles à la remontée d’informations identifiés suite à 54 entretiens semi-directifs, nous avons décidé d’adapter la méthode de Lessons learned de l’OTAN qui a pour avantages de placer au cœur du RETEX des observateurs dédiés et de

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fournir des outils simples de traitement des constatations. Plusieurs mois d’observations des pratiques quotidiennes réalisées dans des conditions réelles (interventions en Afghanistan et en Libye, exercices majeurs de l’École de l’ALAT, etc.) ont permis de mettre à jour de nombreux bricolages pouvant se classer dans trois rubriques « génériques » :

- l’usage de dispositifs matériels ou logiciels non répertoriés (c'est-à-dire non

officiels) ;

- l’hybridation des méthodes anciennes avec les fonctionnalités nouvelles des

technologies ;

- l’emploi entrecroisé des outils de préparation de mission avec les simulateurs

tactiques, qui compte-tenu de leur emploi détourné, sont considérés dans nos travaux

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Section 2.2