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1.2 Cadre méthodologique

1.2.2 Méthodes de collecte de données et d’analyse

Dans le cadre de mon terrain de recherche, j’ai opté pour une approche inspirée de l’ethnographie. J’ai, plus précisément, eu recours à quatre méthodes afin de constituer mon corpus de données colligées dans différents journaux : l’insertion dans le milieu, des entretiens informels, de l’observation et de l’analyse de sources écrites.

Les données officielles ont été produites entre novembre 2012 et février 2014 au sein de trois espaces :

a) sur la base d’une observation participante dans le cadre des grands rassemblements (colloques, activités publiques, forum, assemblée générale annuelle de la FFQ (AGA))

b) au sein de deux Tables de travail (sur huit), sélectionnées selon la proximité des thèmes traités avec mes intérêts de recherche (une table sur le mouvement féministe et la seconde sur l’intersectionnalité)

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c) puis, j’ai fait une observation non participante lors des réunions du comité d’orientation (CO) (à raison de rencontres de deux jours tous les deux mois entre novembre 2012 et février 2014, se tenant soit à Montréal, Québec ou Trois-Rivières, pour un total approximatif de 15 jours soit environ 120 heures).

Tout au long de mes observations, j’ai tenu deux types de journal : a) un journal comprenant mes interrogations, observations insolites, impressions personnelles, conversations informelles, etc., et b) un second cahier avec toutes mes observations directes, ce qui comprend des prises de notes par ordinateur lors des réunions et des notes manuscrites. Ces deux cahiers avaient des objectifs différents. Dans le premier journal, je colligeais au fur et à mesure des informations, des réflexions, des émotions qui me permettraient par la suite de mieux me remémorer les évènements lors de l’analyse, tandis que le cahier contenant les observations directes réunissaient des faits et des éléments de contenu discursif ou organisationnel. Distinguer mes impressions personnelles du contenu recueilli a également facilité la codification des notes par la suite. La collecte de données s’est aussi faite par le biais de sources écrites, dont les documents de travail du comité d’orientation (CO) (procès-verbal, ordre du jour, document de travail, etc.) et le matériel pour les participantes aux ÉG (sur les trois années, j’ai accumulé environ 1000 pages de documents). J’ai également fait une revue de presse sélective couvrant l’année 2013 en lien avec l’exclusion de deux participantes aux ÉG.

Pour l’analyse des données, j’ai procédé à une analyse de contenu ciblé. À travers tout le corpus de données accumulées, j’ai ciblé les débats autour des questions de laïcité, d’inclusion des femmes trans, les questions touchant à l’intersectionnalité et à la diversité. Tout au long du terrain, j’ai fait un va-et-vient continu (itération) avec la littérature. Suivant les évènements en cours de route, j’ai privilégié dans l’analyse mes observations au cœur du CO et de certains évènements ayant eu lieu dans

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d’autres espaces concomitants aux ÉG, notamment l’assemblée générale annuelle de la FFQ. Cela m’a amené à retravailler ma problématique, à revalider les données avec les militantes et à modifier l’analyse.

Au commencement du terrain de recherche, j’ai d’abord opté pour une grille intersectionnelle afin d’observer les rapports de pouvoir. Cette grille était issue des travaux du Collectif de recherche sur l’autonomie collective (CRAC) de Concordia, un collectif qui se spécialise dans la recherche-action et qui a lui-même emprunté ce concept aux militants et militantes dans leur mise en application du concept d’intersectionnalité. Au début, cette grille m’a permis d’observer certaines occurrences de pratique de domination, surtout au niveau du langage et de catégoriser des dynamiques créées par les rapports de pouvoir selon trois indicateurs et leur cohérence : 1) le penser; 2) l’être; et 3) le faire (CRAC, 2011). C’est à partir de cette grille de lecture que j’ai fait une première collecte de données à partir de l’observation des dynamiques de pouvoir entre les militantes dans différents espaces des ÉG (colloque; Tables de travail; soirées spéciales; comité d’orientation) et dans des espaces propres à la FFQ (AG; colloque; équipe de travail). Au sein de ces espaces formels et informels, j’ai principalement observé les discours portés par les militantes, certains habitus militants (noté par exemple l’utilisation de langage de domination ou compter les tours de parole lors des rencontres) et j’ai relié ces observations à leur positionnalité, aux personnes avec qui elles interagissent et à l’espace dans lequel elles se trouvaient. J’ai également noté tout au long du terrain les évènements extérieurs qui ponctuaient les débats au sein du CO et des ÉG.

Ainsi, j’ai cherché à voir quelle était, dans les discours portés par les militantes, leur définition de la nature des différents systèmes d’oppression, leur importance (approche moniste, pluraliste ou holiste) (Bilge, 2010) ou comment chaque perspective induisait ou non une définition de l’identité collective. Parallèlement, j’ai

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observé les attitudes et les actions de chacune en fonction de leur positionnalité dans les rapports sociaux pour voir si cela avait une incidence importante dans les rapports de pouvoir qui se mettaient en place. Ma question de recherche de départ interrogeait la cohérence entre la positionnalité des militantes, leur discours et leurs actions. Si au début de ma recherche, je prêtais une plus grande attention aux catégories identitaires, je me suis par la suite tournée vers une analyse des discours, des valeurs et des actions, car à force de croiser la positionnalité, l’espace et les discours/action, je me suis rendue compte, d’abord, qu’il est impossible de savoir avec exactitude la positionnalité de chaque personne portant ces discours. Puis, il s’est avéré au fur de mes observations que la positionnalité de la personne était certainement un indicateur influent, mais non déterminant, ce qui a révélé les limites des catégories conceptuelles que j’utilisais. Cela m’a amené à créer une catégorie conceptuelle, le continuum de discours21, qui me permet d’illustrer ce phénomène et de suivre une autre piste dans ma recherche.

Il est nécessaire avant d’aller plus loin de donner une brève définition du terme « positionnalité » et de le distinguer de d’autres termes similaires utilisés dans ce mémoire22. La positionnalité fait référence à l’identité de la personne en fonction des privilèges tirés ou des dominations subies au sein des rapports sociaux de sexe, de race, de sexualité et de classe. Pour indiquer le point de vue théorique d’une personne, j’utilise le terme « position politique » ou tout simplement « position », tandis que « positionnement » fait référence au statut de la personne ou à sa fonction dans le champ en question et ailleurs, c’est-à-dire son emploi ou un statut de représentante d’organisation, par exemple.

21 Je remercie Geneviève Pagé pour cette discussion de laquelle est issue l’idée de continuum de

discours au sein du mouvement féministe. L’idée de continuum de discours semble être utilisée en linguistique, mais je ne l’utilise pas dans cette acception. Il s’agit en fait d’un continuum de discours

politique, continuum sur lequel les militantes se déplacent en fonction des enjeux discutés.

22 Voir pour des définitions plus étoffées le chapitre III à la section « Un continuum de position,

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Donc, au fur et à mesure de l’observation, plusieurs éléments intéressants commençaient à ressortir, mais rien de vraiment nouveau. À mi-parcours du terrain de recherche, un évènement m’a amené à interpréter l’ensemble de mes données à partir d’un problème plus précis. Alors que j’assistais à une crise gérée par les membres du Comité d’orientation des ÉG (évènement qui sera analysé en détail dans ce mémoire), j’ai suivi l’idée qu’il se produisait un backlash au sein même du mouvement féministe, de la part de militantes féministes contre d’autres militantes féministes défendant une posture intersectionnelle. Plus précisément, il se produisait un backlash contre les personnes que j’identifie comme étant des forces politiques en place, mais de manière quasi générale, toutes des femmes ne faisant pas partie du groupe majoritaire. C’est à ce moment précis que j’ai commencé à faire un va-et- vient plus soutenu entre les données colligées, mon interprétation, la littérature et l’analyse. Les catégories conceptuelles telles que « backlash », « forces politiques en place » sont issues de la littérature. C’est également à cette étape que mon cadre théorique a commencé à se construire par la mise en relation de ces catégories.

Selon Méliani, six étapes constituent la méthode d’analyse par théorisation ancrée : la codification, la catégorisation, la mise en relation, l’intégration, la modélisation et la théorisation (Méliani, 2013 : 439). Ces six étapes peuvent à la fois être simultanées et circulaires. Au fur et à mesure de mes observations et des échanges avec les militantes, je codifiais mes notes et les textes produits par les militantes. Je créais des catégories ou les prenais dans la littérature et les mettais en relation les unes avec les autres. Ces catégories m’ont permis de reconstituer pour l’observateur extérieur un portrait multidimensionnel des dynamiques de pouvoir au sein des ÉG. Tout au long de ce travail, ma question de recherche s’est précisée et l’analyse des évènements ayant cours pendant les ÉG se complexifiait à mesure que les catégories conceptuelles utilisées entraient en adéquation avec la réalité empirique. Plusieurs tentatives de catégorisation ont été nécessaires. Plusieurs concepts sont passés à la

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trappe, insuffisamment précis pour appréhender un ou l’autre des phénomènes observés (multi-institutions; tir-ami; division du travail; etc.). L’étape la plus importante aura été celle de mettre en relation les concepts issus des théories des mouvements sociaux pour créer mon cadre théorique, résultat de cette théorisation ancrée (backlash; champs; cadre de l’action collective)23.

Une des étapes les plus importantes de ma démarche a été le retour avec le comité mandaté par le CO pour faire le suivi de ma recherche. Tout au long des ÉG, j’ai fait des allers-retours formels avec deux des membres du CO, ainsi qu’avec la coordonnatrice des ÉG. Dans une démarche de coconstruction de l’analyse, je leur présentais au fur et à mesure de ma recherche mes réflexions auxquelles elles amenaient les leurs. Ces allers-retours avec elles ont été très prolifiques et m’ont permis de valider à plusieurs reprises mes analyses tout en intégrant leurs bémols et approfondissements.

À la lumière de la démarche méthodologique derrière ce mémoire, la revue de littérature qui suit fait état de l’utilisation des catégories conceptuelles au cœur de ma question de recherche et de mon cadre théorique: l’identité collective, les rapports de pouvoir entre femmes et entre féministes et le backlash.