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Chapitre 3 : Méthode

3.2 Devis de recherche : Choix et justification

3.2.1 Méthodes de collecte de données

En fonction de l’approche qualitative et des objectifs de l’étude poursuivis, le recours à diverses sources de collecte de données afin de mieux cerner le phénomène étudié et ses composantes dans son contexte s’impose à nous. Dans le cadre de notre étude de cas multiples, nous allons combiner trois différentes méthodes à savoir : la méthode d’entrevue, la méthode documentaire et la méthode d’observation pour explorer et comprendre en profondeur comment les soins infirmiers sont donnés en contexte d’épidémie de fièvre Lassa.

3.2.1.1 Méthode d’entrevue

Pour répondre aux trois premiers objectifs de l’étude visant à explorer les perceptions des patients, des prestataires de soins et des autorités et partenaires au développement, nous avons opté pour la méthode d’entrevue de type narratif. En effet, la nécessité d'expliquer comment les infirmières s’occupent des patients présente un défi pour les chercheurs de la discipline (McCance, McKenna et Boore, 2001). Il en est de même pour l’application de l’approche des soins infirmiers centrés sur la personne en pratique professionnelle (McCormack et McCance, 2016). Par conséquent, McCance. (1997) expliquent que les tentatives pour mesurer l’acte de prendre soin des patients en utilisant des méthodes de recherches traditionnelles pourraient s'avérer difficiles (McCance, 1997). Face à ces difficultés, les auteurs soutiennent que l'utilisation de la méthode qualitative avec une variété d’approches reste la méthode de choix pour l'exploration des soins infirmiers, en particulier l'utilisation des histoires comme moyen principal pour donner un sens à une expérience de santé (McCance et al., 2001). L’utilisation des récits (histoires) a conduit à ce que la méthode

narrative soit perçue comme une opportunité pour exploiter les expériences des patients (McCormack et McCance, 2016). À en croire McCance, Slater et McCormack (2009), l'opinion des auteurs de la discipline infirmière est que l’exploration des soins infirmiers en particulier le « caring » peut faire l'objet d'une meilleure enquête à travers les expériences des patients (McCance et al., 2009). Bien que McCormack et McCance (2016) ont réalisé la théorie des soins centrés sur la personne à partir des récits recueillis des expériences de personnes âgées en soins de longue durée, bon nombre de chercheurs soutiennent que le récit d’un problème de santé ne dépend pas de la durée de l’expérience de santé vécue, mais de la perception de la personne et des circonstances d’apparition et de déroulement de la maladie (Bridges et al., 2013; Kitson, Robertson‐Malt et Conroy, 2013). De ce fait, des récits peuvent être recueillis auprès des patients hospitalisés en soins aigus pour une courte durée (Agarwal, Miller, Yaxley et Isenring, 2013). Mais existe-t-il une relation entre l’approche narrative (récits) et les soins centrés sur la personne?

McCormack et McCance (2016) postulent que le récit ne se rattache pas seulement à la sociologie, la littérature et l'histoire, mais est aussi relié à la pratique et, par extension, aux soins centrés sur la personne (McCormack et McCance, 2016). Selon les auteurs, le récit est un moyen de créer et de maintenir de l'ordre dans les expériences humaines. Il relie l'individu à son contexte et traite des significations et des perspectives, ce qui est semblable au cadre des soins centrés sur la personne qui permet la même compréhension. En outre, le récit privilégie une approche centrée sur la personne en faisant de la personne et de son histoire un élément central de l'événement (McCormack et McCance, 2016).

3.2.1.2 Choix d’une approche narrative

Parmi les méthodes narratives explorées, quatre ont retenu notre attention. Il s’agit de l’approche d'interprétation narrative biographique (Wengraf, 2008) utilisée par Corbally (2011); la recherche narrative basée sur les arts avec un accent particulier sur le travail d’image (Morin, 2004) utilisée par Casey (2009); l’approche narrative expérimentale et structurée fondée sur le cadre narratif de utilisée par Proudfoot (2014) et l’approche développée par Polkinghorne (1995). Bien que les deux dernières soient beaucoup plus centrées sur les expériences des personnes, nous avons retenu celle développée par

Polkinghorne (1995). En effet, l’approche narrative développée par Polkinghorne a été utilisée par McCance et al. (2001) pour explorer le concept de prendre soin (caring) à partir des expériences de soin des patients et des infirmières en soins médicaux aigus dans les hôpitaux généraux en Irlande du Nord (McCance et al., 2001). Les résultats de leur étude ont confirmé que la recherche narrative en particulier l’approche de Polkinghorne (1995, 1983) est une méthode de choix en recherches infirmières (McCance et al., 2001). Puisque les soins en contexte d’épidémie sont des soins infirmiers et médicaux aigus (soins d’urgence et infectieux), nous ne doutons point de l’utilisation de cette approche retenue pour notre recherche.

Polkinghorne (1991), déclare que «les êtres humains existent dans trois mondes: le

monde matériel, le monde organique et le monde de sens» (p. 183). Le monde de sens

correspond au domaine des sciences humaines et cherche à comprendre et à interpréter les comportements humains, tandis que les deux premiers mondes (matériel et organique) suivent la logique formelle de la science exacte, celle des mathématiques. À en croire Polkinghorne, les clés de la compréhension des comportements humains sont fournies par le récit. Il définit le « récit » comme une histoire reliant une série d'événements vrais ou faux. Il s’est inspiré des philosophes de l'histoire, en particulier de Ricœur pour asseoir les éléments de sa propre conception de la façon dont le récit doit fonctionner comme instrument fondamental des sciences humaines (Polkinghorne, 1991).

L’auteur croit que les scientifiques doivent apprendre à lire à travers les personnes comme ils le font dans un texte. Ainsi, il déclare qu’« agir est comme écrire une histoire, et

la compréhension de l'action est comme arriver à interpréter une histoire" (p. 142). Pour lui,

ce serait une erreur d'essayer d'expliquer le comportement humain au moyen des lois générales, qu'il s'agisse de lois physiques, biologiques, psychologiques ou sociales, car le mouvement corporel est guidé par le sens (pensée) à exprimer (Polkinghorne, 1991, p. 142).

En s’inspirant de Bruner (1990), Polkinghorne (1991) a distingué deux modes ou types d’enquêtes narratives. Le mode d’enquête paradigmatique et le mode d’enquête narrative. Ces deux façons d’explorer les expériences et de construire la réalité humaine ont des principes de fonctionnement distincts et des critères de réalisation qui diffèrent radicalement

dans leurs procédures de vérification (p. 11). Le type paradigmatique et le type narratif génèrent tous deux des connaissances utiles et valides. Ils font partie du répertoire cognitif humain et fournissent des raisonnements pour interpréter les expressions humaines et les artefacts culturels (Polkinghorne, 1991, p. 11).

Parlant de l’enquête narrative de type narratif, elle vise spécifiquement la compréhension de l'action humaine. L'action humaine étant le résultat de l'interaction de l'apprentissage et des expériences antérieures d'une personne avec son environnement (Polkinghorne, 1995). Le raisonnement narratif fonctionne en notant les différences et la diversité comportementale des individus. Il s'attaque au contexte temporel et à l'interaction complexe des éléments qui rendent cette situation remarquable (p. 11). Le type narratif permet de configurer les divers éléments d'une action particulière dans un tout unifié dans lequel chaque élément est relié à l'objectif central de l'action. L'écoute d'une description détaillée des expériences d'une personne à travers un épisode de vie nous touche de manière à évoquer des émotions telles que la sympathie, la colère ou la tristesse (Polkinghorne, 1995).

Quant à l’enquête narrative de type paradigmatique, l’auteur explique qu’elle vise à classer une instance (requête) particulière comme appartenant à une catégorie ou à un concept. Il définit un concept comme un ensemble d'attributs communs partagés par ses membres. Chaque concept se distingue des autres par la possession d'un attribut particulier ou d'un groupe d'attributs, appelé différence spécifique. Un concept général peut inclure des concepts ou des catégories subordonnées. Par exemple, le concept de mobilier contient des catégories subordonnées telles que chaise, table ou bureau (Strauss et Corbin, 1990).

Polkinghorne estime que contrairement aux objets, dont la connaissance de l'un peut être remplacée par une autre sans perte d'information (comme pour remplacer une bougie d'allumage par une autre), les actions humaines sont uniques et ne peuvent pas être entièrement remplacées. Ainsi, le raisonnement paradigmatique est axé sur ce qui est commun entre les actions, alors que le raisonnement narratif se concentre sur les caractéristiques particulières de chaque action (Polkinghorne, 1995). L’auteur s'appuie sur cette distinction pour définir deux modes dans lesquels les récits peuvent être analysés: l’analyse narrative, qui tente d'embrasser la position épistémologique des intrigues (séries

d’actions et d’évènements) dont l'analyse produit des histoires (par exemple biographies, histoires, études de cas) et l'analyse des récits (histoires), qui se déroulent dans le mode scientifique et qui tentent d'identifier des thèmes (concepts) communs à travers une série d’histoires dont l'analyse produit des typologies ou des catégories paradigmatiques (Polkinghorne, 1983). C'est ce dernier mode qui est adopté dans la présente thèse car il s’adapte bien à la finalité de cette recherche qui vise à comprendre comment les soins infirmiers sont administrés en contexte d’épidémies de fièvre Lassa afin de contribuer à la réduction du taux de mortalité des patients et des professionnels soignants en particulier des infirmières au Bénin.

3.2.1.3 Méthode d’observation

La réalisation du quatrième objectif de l’étude repose sur la méthode d’observation. Cet objectif vise à examiner avec des yeux des moyens de prévention et de lutte contre la fièvre Lassa dans les populations et dans les deux structures sanitaires sondées. La méthode d’observation est une excellente méthode de triangulation des données provenant des entretiens et d’analyse documentaire. Elle présente l’avantage majeur de recueillir des évènements, des activités et des pratiques au moment où ils se produisent sans l’intermédiaire d’un document ou d’un témoignage (Glaser et Strauss, 2017). Cependant, dans le cadre de notre recherche, cette observation s’est déroulée après les épidémies et ne vise pas à observer les soignants en pleine pratique (ce qui serait idéal) mais à constater visuellement les équipements, les infrastructures, les affiches et tous les moyens utilisés pour lutter contre les épidémies de fièvre Lassa dans la communauté et dans les centres de traitement de fièvre Lassa. Il s’agit donc d’une observation rétrospective transversale et post épidémique. 3.2.1.4 Méthode documentaire

La méthode documentaire est l’examen des documents et écrits en relation avec un phénomène étudié. Elle s’intéresse à l’atteinte du cinquième objectif qui vise l’analyse des documents de lutte et de prise en charge des cas de FHV au Bénin. L’étude documentaire a pour but de faire l’état de la pluralité des documents dans le domaine et de rendre compte des différentes informations que ces documents apportent sur le phénomène (Kivits et al., 2016). L’analyse documentaire a porté sur la consultation des documents de gestion des épidémies

de FHV au Bénin (ex. politiques, normes, plans d’action, guides de pratiques, rapports et procès-verbaux de rencontres). Le dépouillement de cette documentation nous a permis de mettre en perspective ce qui est prévu d’être fait par rapport à ce qui est réellement fait. Les raisons qui sous-tendent cet écart seront recherchées. Les normes de prévention et de lutte contre les FHV en général et celles de la FHV Lassa élaborées par l’OMS et le CDC nous serviront de références pour le cadre d’analyse.

En résumé, la collecte des données de cette étude repose sur trois méthodes à savoir : l’entrevue, l’observation et l’étude documentaire. Les notes de terrains (journal de bord) visent à consigner les gestes, les impressions, les constats et les circonstances du déroulement de la collecte des données et ne constituent pas en tant que tel, une source d’informations à part entière. Les évènements imprévus tels que : perte de portable pour l’enregistrement des récits, non-respect des rendez-vous, arrêt de l’entretien par une urgence du service…, y sont consignés au fur et à mesure que l’enquête évoluait. Le journal de bord a été utilisé comme un compte rendu pour retracer le déroulement des différentes méthodes.

Les différentes méthodes de collectes des données, une fois expliquées, un aperçu du cadre d’étude suivra afin de permettre de mieux situer le lieu de l’étude.