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Chapitre 3 – Adsorption et étalement de l’ADN sur le mica

D. Méthode des cations divalents

Commençons par présenter la méthode des cations divalents, actuellement la plus utilisée pour visualiser par AFM l’ADN et les complexes ADN-protéines sur une surface de mica.

1. Données principales sur l’adsorption.

La première utilisation de cations divalents dans la préparation d’un échantillon d’ADN pour l’AFM remonte au début des années 1990 (9). Bezanilla et al (10) ont ensuite montré en 1995 que l’utilisation de cations divalents ou multivalents augmente la quantité d’ADN qui s’adsorbe sur le mica, tandis que l’utilisation de cations monovalents diminue cette quantité. En 1996, Hansma et al (11) ont examiné l’effet de la nature du cation divalent utilisé et suggéré que le rayon cationique et l’enthalpie d’hydratation sont déterminants dans l’interaction du cation avec le mica. En particulier, le nickel, de rayon ionique (0,73 Å) proche de celui du magnésium (0,65 Å), a une enthalpie d’hydratation particulièrement élevée qui pourrait justifier une interaction plus forte du nickel avec le mica, donc une meilleure adsorption de l’ADN en présence de ce cation.

Les résultats obtenus au laboratoire confirment une interaction plus importante du nickel avec la surface. Nos observations en XPS (X-ray Photoelectron Spectroscopy) montrent que les ions Mg2+ ne s’échangent pas significativement avec les ions K+ à la surface du mica. Par contre, nous avons mis en évidence un échange entre Ni2+ et K+. Le nickel se présente sous deux formes sur la surface de mica : NiOH+ et Ni2+ ; la deuxième forme indique qu’il est possible d’avoir une inversion locale de la charge du mica.

La nature du tampon a aussi une influence sur l’interaction ADN-surface : l’étalement obtenu est différent avec le Tris (qui porte une charge positive) et avec l’Hepes (qui porte une charge négative et deux charges positives) (1).

Le travail fondamental sur la caractérisation de l’étalement en AFM a été abordé par Rivetti et al (12) en s’inspirant des méthodes développées au laboratoire pour la MET (6-8,13,14). Ce groupe a examiné, sur la base de l’étude des longueur de persistance, avec des mesures de distance bout à bout des molécules d’ADN si la conformation globale des molécules d’ADN adsorbées sur le mica reflétait leur conformation en solution, en fonction

notamment du traitement de la surface de mica et de la longueur des fragments d’ADN. Quand la surface du mica n’est pas traitée les molécules adoptent sur la surface une conformation bien décrite par un modèle de Worm-Like Chain à deux dimensions (« équilibration 2D ») ; pour les fragments longs (>2700 paires de bases) il faut de plus prendre en compte les effets de volume exclu dans la modélisation. Avec certains traitements de surface l’adsorption est plus brutale et le piégeage rapide des molécules sur la surface donne plutôt des conformations du type « projection 3DÆ 2D » de la chaîne d’ADN. Par la suite, les méthodes de caractérisation de la conformation locale de l’ADN par des cartes de courbure, développées pour la MET, ont aussi été reprises et appliquées en AFM (15,16). Cette approche est plus fine que la seule caractérisation de la distance bout à bout des molécules, même si les résultats obtenus au laboratoire montrent une bien meilleure fiabilité en MET qu’en AFM dans les conditions d’étalement actuellement utilisées.

Aucune étude systématique n’a encore été entreprise pour analyser ces aspects en fonction des conditions ioniques d’adsorption. Depuis les études pionnières évoquées ci-dessus, la plupart des observations à l’air ou en milieu liquide menées sur l’ADN et les complexes ADN-protéines utilisent de manière empirique des solutions avec des cations divalents (en général Mg2+, figure I-2) à une concentration dans la gamme 1-10 mM, et des cations monovalents (en général Na+) à une concentration dans la gamme 1-20 mM (bien inférieure à la concentration physiologique en NaCl ~ 150 mM) ou même sans cations monovalents. Il n’est pas étonnant que les gammes de concentrations soient semblables pour les observations à l’air ou en milieu liquide puisque les interactions avec la surface ont lieu en milieu liquide dans les deux cas.

Figure I-2 : Principe de la méthode des cations divalents. Les cations divalents (ici le magnésium) génèrent une attraction électrostatique entre l’ADN et la surface de mica.

Il existe une exigence supplémentaire spécifique pour l’observation en milieu liquide : l’obtention impérative d’une adsorption des molécules suffisamment stable pour permettre l’imagerie, mais suffisamment lâche pour ne pas empêcher les interactions dynamiques. Chaque équipe applique sa propre recette, dans le cadre des gammes de concentrations évoquées ci-dessus ; deux résultats semblent cependant de portée plus générale :

- Bezanilla et al mettent en évidence l’intérêt de prétraiter la surface du mica avec des ions nickel (17) : sur mica prétraité magnésium ou sur mica non prétraité l’adsorption est trop faible tandis que le prétraitement nickel combiné à l’utilisation du mode contact intermittent permet d’observer des molécules d’ADN mobiles sur la surface.

- Guthold et al (18) indiquent que la concentration en cations monovalents dans la solution de dépôt doit être inférieure à environ 1/5 de la concentration en cations divalents,

- - - - -

MICA

-

- - - - - - - - - ADN

Mg2+ Mg2+ Mg2+ Mg2+ Mg2+ Mg2+

indépendamment de la valeur de ces concentrations - sinon les molécules d’ADN ne s’adsorbent pas suffisamment à la surface pour être observées correctement.

Le problème spécifique de la préparation pour l’observation en AFM à l’air est la nécessité d’une étape de séchage de la surface après l’étape d’adsorption, pendant laquelle les conditions d’interaction avec la surface ne sont plus vraiment maîtrisées. La reproductibilité dans l’étalement de l’ADN est considérablement améliorée en rinçant la surface à l’acétate d’uranyle à la fin de la phase d’adsorption, avant le séchage, sans que le mécanisme physico-chimique d’action de l’acétate d’uranyle soit encore compris.

2. Applications.

2.1. Observation à l’air.

L’observation à l’air associée à la méthode des cations divalents est essentiellement utilisée pour cartographier les complexes ADN-protéines immobilisés sur le mica. Le lecteur se réfèrera à la partie « Mapping DNA-protein complexes in air » de la note d’application rédigée pour Veeco Instruments (annexe C3-1) pour des exemples. De nombreux autres exemples sont décrits dans la littérature, et revus en particulier dans (19), dans (20) (complexes de l’ADN avec des protéines impliquées dans la réparation de l’ADN) et (21) (complexes avec des protéines impliquées dans la transcription). Dans une moindre mesure, l’observation à l’air est également utilisée pour étudier l’effet de la liaison à l’ADN de ligands non protéiques. Il s’agit par exemple de composés trop petits pour être visualisés directement mais dont l’effet est détectable car ils changent la longueur de contour des molécules d’ADN en s’intercalant entre les paires de bases (22-24). D’une manière générale, ces types d’utilisation de l’observation en AFM sont assez comparables à ceux de l’observation en MET, sans que l’AFM apporte à ce jour beaucoup d’informations vraiment nouvelles par rapport à la MET. Chaque groupe appliquant sa propre recette pour l’adsorption et l’étalement, le plus souvent sans caractérisation quantitative, il est de plus difficile de vraiment comparer les résultats obtenus dans les différentes études AFM.

2.2. Observation en milieu liquide.

L’observation en milieu liquide ouvre la possibilité de suivre l’évolution des systèmes avec une résolution spatiale de l’ordre du nanomètre et une fréquence d’acquisition des images de l’ordre de 20-30 secondes ou même de la minute. Cela doit permettre d’analyser la dynamique de structures particulières d’ADN ou de complexes ADN-protéines individuels, même si l’échelle de temps n’est actuellement pas encore compatible avec la cinétique biologique des phénomènes. Différents types d’ADN linéaires ou circulaires et différents complexes ADN-ligand (25,26), ADN-enzyme (18,27-29) ou ADN-facteur de transcription (30,31) ont été étudiés, dans les années qui ont suivi l’invention du mode d’imagerie contact intermittent et son application en milieu liquide (32).

Les travaux sur les complexes ADN-ARN polymérase (18,27,28) ont montré que l’enzyme est capable de se lier à l’ADN adsorbé (27) et que les complexes adsorbés sur le mica conservent une activité biologique (28). Cependant l’activité enzymatique (~40-50% des complexes actifs sur la surface) et la vitesse de trancription (~1 nucléotide/seconde) de l’ADN sur le mica sont moindres, comparées à l’activité (~70-80% des complexes actifs en solution) et la vitesse (~5 nucléotides/s) de la même réaction réalisée en solution (18). L’ADN adsorbé sur la surface est aussi sensible à la dégradation par la DNase I (17,33). Les autres études montrent simplement des événements de liaison ou de dissociation de protéines à l’ADN (29-31). En général les mobilités de l’ADN et des protéines sur la surface varient

considérablement d’une expérience à l’autre, dans des conditions identiques de tampon. Ce manque de reproductibilité est attribué à la variabilité des propriétés de surface du mica. De plus, au niveau d’une molécule unique d’ADN, certaines parties sont mobiles et certaines sont plus fortement attachées. Le mouvement des protéines sur l’ADN peut être affecté à la fois par cette adsorption plus ou moins forte des différentes parties de l’ADN (29) et par le balayage par la pointe (31).

Ces différents essais ont montré une certaine faisabilité, mais ce type d’observations est encore loin de répondre aux attentes de la biologie, en raison des limitations de l’instrumentation (fréquence d’acquisition des images) mais aussi et principalement en raison du manque de maîtrise des interactions biomolécules-surface. Il est actuellement moins difficile de réaliser les observations à l’air, les tests de différentes conditions d’adsorption pouvant servir à déterminer des conditions de faisabilité de l’observation en milieu liquide.