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Elvio Zagghi (Attilio Rezzaghi), fils d'un petit notable de Quistello, près de Mantoue, naquit en 1890. Étudiant, il mena une vie de bohème à Rome, où il participa au mouvement futuriste. Il réalisa alors des tableaux à l'huile et une sèrie de poèmes-affiches, Carceri d'Invenzione, non réunis en volume. Il épousa une monégasque, Félicie Saulnier, dont il géra avec succès la fortune. Peintre et graveur à ses heures, il fut collectionneur de tableaux de Lhote, La Fresnaye, Matisse, Valmier, Carrà, De Chirico, de Pisis, Morandi et Oppi ; Tamara de Lempicka fit son portrait, ainsi que celui de Félicie. Quoique fixé à Monaco, il devint, comme beaucoup de ses anciens camarades, un admirateur de Mussolini.

Il écrivit en francais la partie la plus importante de ses poèmes, publiés hors-commerce et ornés de gravures de sa main. Deux brefs recueils néo-classiques, en vers blancs, Symposion et Jardins à lafrangaìse, parurent sous le pseudonyme d'Elvio Zagghi en 1929 et en 1931. Il rencontra peu après une peintre russe récemment exilée, Olga Abramova, mariée à un fmancier nicois. Sa relation secrète avec Olga, qui était restée proche des avant-gardes russes, influenca probablement les demières productions de Zagghi.

Il concut vers 1932 le projet des Métamorphoses, une sèrie de gravu-res faisant pendant à des poèmes, ensembles construits selon un modèle ternaire : une première version (d'inspiration assez académique) est suivie d'une autre qui montre des repentirs et des corrections, pour aboutir à la dernière, très dépouillée, où les références classiques sont transformées et presque entièrement effacées.

La mort d'Olga et d'Elvio, survenue dans un accident de voiture près de Blois, suscita un bref scandale mondain. Tant qu'elle vécut, Félicie Rezzaghi s'opposa à la publication des ceuvres de son mari infidèle. Le manuscrit et les gravures de Métamorphoses sont restés inédits jusqu'à ce jour.

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Écho

Dans ce miroir tu vois une statue,

son marbré prend la forme d'un jeune homme agenouillé sur le bord d'un étang,

le cou penché, le visage tendu

vers ce pian d'eau transparent et serein où son reflet miroite. Sur la fine

bande qui ceint ses cheveux, le sculpteur a dessiné des lettres à l'envers

pour te donner à lire un nom dans l'eau, pour que ta voix secrètement répète la voix d'Écho, la nymphe, l'amoureuse qui se tient là, tout près de son aimé si seul en soi, plus dédaigneux et sourd que ne le fut jamais nulle statue en ce jardin où nos voix se répètent

quand pour un temps, pour quelques brefs moments, elles s'en vont, nous oubliant déjà.

Reflets et échos

Dans ce miroir ce n'estpas un miroii;

mais une page ancienne oùje corrige ces quelques vers tu vois une statue,

son marbré prend la forme d'un jeune homme,

TAISONS TOUJOURS LE VIEUX NOM DE NARCISSE agenouillé sur le bord d'un étang

mais laissons sourdre une allusion légère OUI, qu 'il revienne encore à sa fontaine tout cornine moiie reviens à ces mes mots le cou penché, le visage tendu meduse vers ce pian d'eau transparent et serein où son ton reflet miroite. Arrétons là.

Ne parlons pas d'un sculpteur ni d'Echo car elle était, n 'est-ce pas, condamnée à répéter les voix, les voix des autres, tout cornine toi tu fais s'éteindre encore tout camme toi. moti amour, tu reprends tout camme toi tu fais revivre

MA VOIX EN ME LISANT Sur la fine bande qui ceint ton front, confusément, vois-tu trembler ce nom qui fut le mien ?

Échos

Dans ce miroir tu vois une statue, son marbré prend la forme de ton corps agenouillé sur le bord d'un étang, ton cou penché, ton visage tendu vers ce pian d'eau transparent et serein où des reflets miroitent. Sur la fine bande qui ceint ton front, confusément, tu lis ton nom, à moins qu'une autre voix ne le répète, encore, encore, encore pour aveugler dans tes yeux fascinés ce vieux regard qui te charge la tète de maint serpent, te transmuant en pierre si dédaigneuse et sourde et seule en soi.

Le style d'epoque comme contrainte

L'unite du goùt d'une epoque, son esprit et son style, peuvent se retrouver de manière transversale dans les mceurs, la philosophie, l'archi-tecture, la musique, les lettres et les arts, mais aussi dans les arts appliqués et décoratifs, dans le costume : on était renaissant, maniériste, baroque, rococò, romantique, depuis les chaussures jusqu'aux pensées.

Y a-t-il un style 2000 ? Peut-ètre pas. Il y a un tutti frutti de styles et, comme dans le monde fugace de la mode, c'est du déjà vu. Nos lettres et nos arts me semblent èrre passéistes : tournés, soit vers un passe éclecti-que chez les post-modernes, soit vers le passe vingtiémiste de nos amis néo-modernes. Les textes et dessins signés du nom de Zagghi pourraient appartenir sans doute à je ne sais quel renouveau lyrique, si je les datais d'aujourd'hui. Il me semble plus honnète de les siruer autrement.

Zagghi est, bien entendu, un auteur fictif, un hétéronyme. A la diffé-rence des auteurs imaginaires, dont les oeuvres ne sont que des simples titres ou des vagues résumés, les hétéronymes sont des personnages qui écrivent des textes réels et possèdent une biographie. Ils ne diffèrent des auteurs « réels » que par leur inexistence. Dans les deux cas, réels ou fic-tifs, ils créent à partir d'une « personalité » préalable, les uns gràce une expression vitale, les autres gràce à une expression dramaturgique.

Dans le cas des Métamorphoses de Zagghi, bien au contraire, ce sont les textes et les dessins qui ont créé la «personalité » du poète-plasticien.

Elvio Zagghi est issu d'un style d'epoque utilisé comme contrainte : le néo-classicisme de l'entre-deux guerres. Ce style a déterminé un thème, nécessairement néo-classique : les mythes des Métamorphoses. Le titre mème de l'oeuvre d'Ovide a suggéré la construction d'une forme picturale et poé-tique particulière, certe suite de reprises et de corrections (les métamorpho-ses poético-plastiques) qui aboutissent à la transformation du thème classi-que en thème « contemporain » (d'alors).

L'occultation progressive du goùt néo-classique de l'auteur et son retour a une disposition plus iconoclaste correspondent en apparence à une donnée « biographique », sa relation avec Olga mais, plus exactement, cela personnifie une donnée de l'histoire de l'art.

Zagghi est certes mort depuis plus d'un demi-siècle, mais ses oeuvres n'ont pas fini d'éclore. Il est un style personnel teinté d'un style d'epoque : choses reproductibles. D'autres mains que la sienne peuvent désormais dessiner ses images et écrire ses textes. Non pas des pastiches ou des faux, mais bien ses véritables oeuvres. Elles restent, pour l'instant, simplement non encore trouvées.

Note : une version differente des trois poèmes de Zagghi, sans les gravures, a été publiée dans la revue Poesie 2002, «Autres hétéronymes », n° 91, p 35-36.