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Robert Desnos a compose des dessins en utilisant les lettres de noms propres comme éléments graphiques.

Pour les designer, Marie-Claire Dumas a propose le terme de «dessins calligraphiques», en suivant l'emploi que Desnos avait fait de ce qualificatif dans un passage de La liberti ou l'amour1 ! Si ce terme a l'avantage d'évo-quer les calligrammes d'Apollinare, qui fot un des modèles du jeune Desnos, il présente un caractère pléonastique : graphique peut se rapporter aussi bien au dessin qu'à reclinare, et il ne degagé pas assez la spécificité de ce jeu.

C'est pourquoi nous proposerons pour décrire le mème référent le terme voisin de «dessin anagrammatique». Desnos part en effet des lettres d'un

«texte», un nom de famille, et les permute, comme dans l'anagramme, mais c'est pour aboutir non pas à un nouveau mot, mais à une «image», un dessin.

Comme ils relèvent à la fois du texte et de l'image, ces dessins anagrammatiques peuvent ètre aussi bien ètre décrits analytiquement, comme des «dessins en lettres», que génétiquement, comme des «lettres formant un dessin».

Analyse morphologique du corpus

Passons d'abord en revue tous ces dessins, en tàchant de reconsti-tuer le mode de formation de chacun. En partant des lettres du nom qui est à son origine, nous montrerons comment chaque lettre se retrouve dans le dessin, et comment elle contribue à sa composition.

Les solutions que nous avons trouvées pour ces devinettes présen-tent divers degrés de vraisemblance, qui vont de la certitude à Pindécidabilité.

Mais la plupart sont très faciles, le but de l'auteur n'ayant pas été de propo-ser des énigmes.

Pour décrire la structure des lettres, nous utiliserons des termes ty-pographiques par pure commodité : il ne s'agit pas de «divertissements typographiques», mais bien d'écriture manuscrite et de dessin.

1. Le premier exemple est l'un des deux dessins à la piume figurant sur un feuillet manuscrit qui se présente comme une couverture, «Le Se-cret de l'étoile, drame en 9 tableaux», portant les dates 18 décembre

1927-5 janvier 19282. C'est un projet pour La Place de l'étoile, une pièce qui paraìtra en feuilleton dans Le Soir à partir du 20 aoùt 1928, et qui porte une dédicace à André Breton. Ce dessin se trouve en bas de cette page, qui est le papier bleu d'une lettre à en-tète de Paris-Matìn, date du 27 mars 1927.

Le D renversé d'un quart de tour vers la droite forme la coque du navire. Les deux segments qui prolongent l'are du D au delà de sa hampe, joints à celle-ci, figurent les deux traverses, supérieure et inférieure, d'un E renversé d'un quart de tour vers la droite, dont la traverse centrale, étirée, dessine le màt, tandis que sa hampe se confond avec celle du D pour for-mer le pont. Le deux S, còte à còte et joints par leurs extrémités supérieu-res et inférieusupérieu-res, figurent la voile. Le N incline, inverse à gauche et re-tourné d'un quart de tour, aux hampes un peu ondulées, dessine le pavillon flottant en haut du màt. A droite du màt, le o forme le disque du soleil (ou de la pleine lune) dans le ciel.

On connaìt également une sèrie de 9 dessins à la piume, chacun sur une page faite du méme papier bleu au dos d'une lettre à en-tète de Paris-Matin et datés du 18 décembre 1927-janvier 1928.

Tous ces documents, en provenance de Youki Desnos, se trouvent au fonds Desnos de la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet. Ils ont été pu-bliés pour la première fois dans les Ecrits sur les peintres (1985)3, et on peut les consulter dans la catalogue Desnos. Des images et des mots, paru lors d'une exposition à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris ( 1999)4.

2. Breton

Ste/i

OH.

Un B, ouvert vers la gauche, forme le ballon d'un dirigeable incline.

Sa hampe est déformée en une courbe ouverte vers la droite. Cette courbe est coupée par un segment de droite, qui sert de hampe à un E légèrement incline vers la gauche, dont les traverses horizontales supérieure et infé-rieure résultent de la déformation en une courbe de la hampe du B. Jointe à la traverse centrale, ces deux traverses du E figurent les cordages reliant la nacelle au ballon. L'are délimité par la hampe du E sur la courbe de la hampe du B dessine la nacelle. La hampe du E se confond avec la hampe du R inverse à gauche, dont la diagonale est constituée par la hampe du T, retourné à 45°. La hampe du T délimité maladroitement la pansé du R dans la courbe de la hampe du B. La traverse du T forme l'ancre accrochée au bout du filin. Le N après rotation d'un quart de tour vers la droite, et étire-ment des ses hampes, figure le zigzag d'un éclair. Le O dessine la pleine lune. Un segment de droite (un filet ?) ajouté forme la ligne d'horizon.

3. Aragon

Le O forme, par sa rondeur, le dessus d'une table de café. Le N figure les pieds de cette table. Les deux A renversés, dont la traverse résulte de l'intersection de ces deux angles avec la circonférence de la table, des-sinent deux verres à cocktails. Dans celui de droite, le R, à l'envers, semble former une paille par sa diagonale et une franche de citron (?) par sa pansé.

Le G figure un cendrier avec une cigarette sur son bord (ou une pomme avec sa queue ?).

4. Malkine

Md^sb^

Le A retourné d'un quart de tour vers la gauche forme l'étrave du navire. Le i, ultra-gras, figure la cheminée de ce bateau à vapeur, et le point sur le i un nuage de fumèe noire qui en sort. Le E retourné d'un quart de tour vers la droite dessine un habitacle sur le pont. Le N retourné d'un quart de tour vers la droite forme la poupe et, par une de ses hampes, en ligne ondulée, le sillage du navire. Le M retourné d'un quart de tour vers la droite figure la soie échancrée du pavillon à la poupe, dont le fùt du L incline dessine la hampe. Le K également retourné d'un quart de tour vers la droite forme le pont par sa hampe, et une vague par ses diagonales.

5. Tual

Le U agrandi forme un bocal. Le 1 en cursive, symétrisé, figure un poisson. Le t en cursive, renversé et agrandi, dessine la surface de l'eau par sa traverse, et, par sa hampe, la tige d'une piante (un roseau ?) Colle par son extrémité supérieure, le a en cursive, retourné d'un quart de tour vers la gauche, forme par sa boucle un rameau qui s'en détache, et son contrepoincon figure une feuille.

6. de la Rivière

/K^

Les deux i aux hampes très allongées forment les deux rives parallèles qui se rejoignent presque à l'horizon, selon la perspective. Les trois E re-tournés d'un quart de tour vers la droite, au corps de moins en moins gras au fur et à mesure que Fon s'éloigne du premier pian, figurent trois ponts avec leurs piliers. L'accent grave est laissé sur le E le plus proche, et

des-sine une dénivellation sur la rive située à droite. Le D retourné d'un quart de tour vers la droite forme la coque d'un petit bateau. La boucle du 1 figure sa voile, et le R, ouvert vers le bas, dessine un drapeau au bout de son fut. En avant, les deux branches obliques du V forment une mouette. Au fond, le A figure la Tour Eiffel par ses hampes inclinées et sa traverse, tandis que sur sa pointe le second R ouvert vers le bas dessine un second drapeau.

7. Leiris

Au premier pian, à gauche, un E retourné d'un quart de tour vers la gauche forme une table ou un autel. Les deux i figurent les deux bougies ou cierges : les flammes qui les surmontent sont un dessin surajouté. À l'ar-rière-plan, le L, retourné à 135°, dessine le triangle d'une pyramide. Le S, retourné d'un quart de tour vers la droite, contribue à former les pattes et la partie inférieure du torse d'un sphinx. Les points sur le i, non utilisés, à moins que ce ne soit deux points surajoutés, figurent ses yeux. Le R, ma-ladroitement trace, dessine sa crinière.

8. Baron

f%&w*

Le B est deforme : sa hampe est comme tirée vers l'extérieur pour former un cceur. Trois lertres : le a, retourné à - 170°, le o, et la pansé du R inverse vers la gauche, figurent les trois gouttes de sang de la blessure. La partie inférieure de la hampe du R et sa diagonale dessinent les barbillons qui dépassent de la tète de la fiòche enfoncée dans le cceur. Un segment de droite ajouté part de la pansé du R pour former le fùt de la fiòche. Il rejoint la traverse d'un N inverse vers la gauche qui figure le talon de la fiòche, tandis que les deux hampes de cette lettre dessinent les ailerons de Tem-perine, assez maladroitement car l'une d'entre elles est à contre-sens.

9. Merle

sM £R Le

t

Un premier dessin forme un visage de face. Le M figure le col de vètement dont il emerge. Les deux E, dont l'un inverse à gauche, placés face à face, dessinent au-dessus les maxillaires par leurs traverses inférieu-res, les cavités orbitaires par leurs traverses centrales, et le haut du front par leurs barres traverses supérieures qui se rejoignent. Le R, inverse à gauche et retourné d'un quart de tour vers la droite, et dont la pansé est ouverte forme la chevelure (ou un couvre-chef). Le L inverse à gauche figure Paréte du nez.

A coté, à gauche, les mèmes lettres forment un second dessin : un oiseau de profil. Le M, retourné d'un quart de tour vers la gauche, figure le bec. Le e, inverse à gauche, dessine le reste de la tète, et sa boucle l'ceil. Le R forme le corps de l'oiseau, et sa pansé non fermée forme son aile repliée.

Le L renversé figure une patte. Un E très incline et aplati forme les plumes