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Franz Josef Czernin, poète et essayiste autrichien1, est l'auteur de deux recueils de sonnets expérimentaux qui valent la peine d'ètre examinés de près et d'ètre présentés dans une revue de littérature à contraintes. Le premier recueil « die kunst des sonetts2 » (« l'art du sonnet ») contient 196 sonnets. A partir d'un sonnet de base qu'il appelle « le tronc », Czernin a crée 14 couronnes de sonnets ; la couronne de base n'est publiée dans sa forme originale que dans l'appendice où Czernin explique ses procédés.

Certes, « 14x14 = 196 » convainc par sa simplicité, et c'est sans doute une raison pour la décision de l'auteur de ne pas y ajouter les 1 4 + 1 sonnets de base ; mais c'est un autre concept un des concepts majeurs du projet -qui y a sans doute joué un plus grand ròle: l'idée de la potentialité. Il est évident que les vers du sonnet-maìtre se retrouvent dans les 14 couronnes rattachés au « tronc ». En plus Czernin l'a coupé en petits morceaux et en a fait des titres - qui doivent surprendre si on se penche sur un sonnet particulier sans connaìtre cet aspect du procède. Ainsi les 196 sonnets contiennent la couronne de base, mais non plus dans leur forme originale - et le sonnet de base, en faisant pousser les autres, ne « disparaìt » pas vraiment.

Comme une grande partie des sonnets, le sonnet-maìtre n'est pas lisible de facon habituelle : il comprend trop de motifs, trop d'idées, trop d'éléments différents, et ses structures grammaticales, ses conjonctions, vont, vers par vers, dans tous les sens. Meme un germanophone aurait du mal à « comprendre » ce texte, tant Pemploi du langage est déconstructif du point de vue du rapport entre les éléments. Il me semble que ce sonnet n'est pas fait pour ètre lu ou interprete en tant que sonnet indépendant, mais je pense qu'il est quand mème intéressant d'y jeter un regard :

was baume seien dem wald, sei laub den blattern, wo wind bestiegen worden war, der sturm erklettern:

wenn sprossen leitern waren, spane pfostenhaft, die frucht auch schale wird gewesen sein und saft?

zum beil die axt gehaut ist worden und zu hacken, sobald, was keimt, der trieb wird, triebe, bliiten wachsen:

- womit als feuer funken, flammen werden glilhn, so, wie das schwanken kahl war und das rauschen griin?

das angebaute nicht gekreuzt wird mit gesatem, weil nicht das roden knickte, was das brechen mante?

ob mit den asten, zweiten wurzeln wurden stamine?

die nàgel waren schraubendes, das nageln hà'mmer;

- obwohl, was morscht, das durre wird, welken verfault?

damit vom baum gepflanzt wird dies gewàchs als kraut?3

ce que les arbres seraient à laforèt, lefeuillage le serait auxfeuilles, où le vent avait été monte, la tempète grimper:

si les barreaux étaient des échelles, des copeaux, des poteaux lefruit, aura-t-il été aussi pelure etjus ?

la hache a été fagonnée en merlin, pour hacker

des que, ce qui germe, estpoussée, poussent despoussées, des bourgeons:

avec quoi brùleront, en tant que feu, des étincelles, des flammes, comme le balancement dénudé et le bruissement vert ?

ce qui est cultivé n 'est pas croisé avec ce qui est seme

cor l'essartement n 'a pas brìsé ce que le brisement a fauché ? si, avec des branches, de secondes racines, devenaient des troncs ? les clous étaient vissant, le clouage, des marteaux ;

bien que, ce qui pourrit, s'assèche, ce qui se fané, se gate ? pour que cette piante soìt plantée par l'arbre comme tige ?

En regardant le sonnet de base on constate que tous les motifs qu'il contient sont liés à l'arbre : à part les éléments constitutifs de l'arbre mème (le tronc, les racines, les branches, le feuillage) les processus de croissance (11,2) et de pourrissement, le faconnage du bois par des outils (11,1 et IV, 1), des actions autour de l'arbre : monter, grimper (1,2/3), déboiser (111,2), semer, planter ((111,1 et IV,3), le feu de bois (11,3) - et ce n'est pas un hasard. Non seulement le « tronc », mais tous les 196 sonnets se reposent presque sur un seul champ sémantique et lexical, comme l'explique Czernin:

« il s'agit de plantes, surtout d'arbres, leurs parties, de ce qu'on leur fait et qu'on fait avec eux, des outils qui servent à les faconner, des choses que l'on peut en faire etc. ; à part ca on y trouvera encore quelques mots qui se réfèrent à l'acte de l'écriture, surtout au fait que ce sont des sonnets qui sont écrits4 ». Les outils à travailler le bois sont un sujet récurrent du re-cueil ; ce motif est souvent repris comme métaphore du « matériau » de la poesie et de ce que le poète en fait.

Le lecteur constaterà de mème que Czernin fait un usage très libre de la langue allemande en ne respectant pas les normes de cohérence au niveau syntaxique et sémantique. Et quant à la forme du sonnet, il ne suit pas un des modèles traditionnels du sonnet ; e'est surtout la suite de deux quatrains et de deux tercets qui semble constituer la forme du sonnet pour lui (parfois ce sont juste les quatorze vers ou encore d'autres répartitions strophiques). Ces contours visuels, il les « remplit ». Ce ne sont pas des textes dans le sens étymologique du mot, qui prennent la forme du sonnet, mais le sonnet pris comme moule. Un moule que Czernin comble d'élé-ments textuels, de sorte que « ce qui se trouve dedans » rend davantage l'idée de chaos que d'ordre, l'idée du protoplasme bouillonnant que d'un cristal - ou d'un poème parfait. Je dis « davantage » parce qu'il ne s'agit pas — dans le sonnet de base comme dans les autres - d'un chaos pur où des mots, des « vers » se suivent n'importe comment ; il est évident que, sans suivre l'ordre habituel de la pensée et de la parole, l'agencement des mots, des syntagmes, des phrases, est bien réfléchi et obéit à des concepts qui dominent les différentes couronnes. Dans le chaos langagier émergent déjà des structures, des éléments qui communiquent entre eux et qui créent la force interne d'un texte poétique.

Le chemin à parcourir de la littéralité à la littérature, le besoin du poète de prendre conscience des éléments de base de l'écriture, du maté-riau et du principe de la forme littéraire est un concept qui empreint tout le recueil mais qui se manifeste le plus nettement dans une sèrie de « son-nets » matiéristes ou lettristes qui, sans mème employer des mots, parlent un langage assez clair :

die axt des sturms?

63

des hàmmerns Darùber?

(gehacktes) Eines

WéliiiliìiPi^^lililliilMliMiSfftt^»»^-Une autre sèrie de sonnets peut ètre lue comme une réflexion sur le rythme et sa fonction dans un texte poétique : de facon explicite comme dans «die funfundsechzigste knospe» (n° 177, p. 65), de facon implicite dans plusieurs autres, comme par exemple dans le sonnet n°73 (p. 4) où Czernin met des accents prosodiques qui ne correspondent pas ou pas toujours avec la structure prosodique d'une lecture normale (ce sonnet se caractérise, par contre, par une syntaxe conventionnelle) :

u —

73 wérdén kérnè, schàlèn, wèrdèn frùchté (sàftènd), dànn wìrd àuch éin kérn, èiné schàlé, éiné frùcht:

dénn ùm dén kérn hérùrh, dà Ist die schàlé ùnd kérn ùnd schàlé zùsàmmén, sìnd die èiné frùcht vón vìelén friichtèn, ùnd vielé frùchté zùsàmmén sìnd óft òbst ùnd mànchès òbst dàs ist dànn àuch sàftig bèzlehùngswéisè hàt vìel sàft ùntér dèr schàlé; - dénn wò die schàlé ist, dà ist nìcht vìel sàft, vlellèicht nóch wénigèr sàft hàt dér kérn bèzlehùngswéisè die kérné, dénn wò dèr kefn ist bèzlehùngswéisè die kérné sìnd, dà Ist wédèr dèr sàft nóch die safté nóch die schàlé bèzlehùngswéisè die schàlén. - Ist àbér, wó dér kérn bèzlehùngswéisè die kérné sìnd, das óbst?

Ou bien de facon purement visuelle, comme dans le sonnet n° 61 (p. 1731 aui évoaue le Fisches Nachteesam de Christian Morgenstern :

61

<J v

U— v - u

v — u — ^>

V ~ U — \j —• u

\s — ty — L/ ~ V

D'autres sonnets traitent des rimes, de la phrase, de la strophe ou bien du sonnet en tant que genre littérarre. Dix pages restent vides, à part des titres parfois étranges sous lesquelles on découvre toujours la mème numérotation : 196 ( pflanze (p. 2), gesaftet hier? nichts sei die biute des geschàlten? (p. 21), zum beil die axt gehaut ist worden undzu hacken (p. 69),

der kern der blàtter (p. 75), die saaten des treibens der nàgel? (p. 98), die osche des hundertsiebenten (p. 107), weil nicht das roden knickte, was das brechen mahte (p. 139), des rauschens nebensàtze (p. 151), wort (158), die hacken des kahlen? (p. 190) ). Pourquoi pas toute une « couronne » ? Je ne saurais le dire. Mais ces pages vides qui se réfèrent au dernier « poème » du projet créent l'impression que les sonnets qui ont « poussé » à partir du premier sonnet ont produit des graines, des germes qui, pour l'instant, demeurent dans leur état « parfaitement potentiel ».

En mème temps on peut conclure, sans reconstruire toute la numéro-tation des sonnets, que celle-ci n'est pas tout à fait « fiable » - comme toute la conception formelle d'une couronne de sonnets amplifiée n'est pas une « contrainte » au sens strict du terme. Quant à la numérotation il faut dire qu'aux yeux de Pauteur elle n'a pas vraiment une importance, puisque Czernin a décide, après avoir rempli le schèma des 14 couronnes, de créer une suite nouvelle et indépendante de l'ordre premier, cette fois sans appli-quer un procède systématique quelconque. Pour Czernin l'idée de question-ner le genre du sonnet en 196 « spécimens » plus ou moins proches de la forme traditionnelle du poème définit les limites de ce projet ; dans ce cadre il lui reste beaucoup de jeu pour toute une gamme de sous-ensembles qui ont tous pour but de thématiser, d'une facon ou de l'autre, « l'art du sonnet ».

Un de ces sous-ensembles que je voudrais encore mentionner est la sèrie (toujours dispersée) des sonnets « mode d'emploi », comme « die hacke des unvergleìchbaren? » (n° 34, p. 26), dans lequel seul le dernier vers contient du vrai texte, tandis que les autres vers semblent indiquer au lecteur comment il pourrait composer un poème à partir du matériau des sonnets (ce qu'il ne fera probablement pas, vu qu'il prendrait trop long-temps pour retrouver les différents sonnets) :

die neunte zeile des achtundneunzigsten sonetts, die zweite zeile der siebenten seite,

die dritte zeile der siebenten seite,

die vierte zeile des dreiunddreissigsten sonetts;

die funfte zeile der siebenten seite,

die sechste zeile des dreiunddreissigsten sonetts, die siebente zeile des dreiunddreissigsten sonetts, die achte zeile der sechzigsten seite;

die neunte zeile der sechzehnten seite,

die zehnte zeile des vierunddreissigsten sonetts, die elfte zeile des vierundvierzigsten sonetts;

die zwòlfte zeile des neunundfunfzigsten sonetts, die dreizehnte zeile der funfunddreissigsten seite, damit, was neigte, bog sich als die glut hier rankte.

la neuvième lìgne du quatre-vingt dix-neuvième sonnet, la deuxième ligne de la septième page,

la troisième ligne de la septième page, la quatrième ligne du trente-troisìème sonnet, la cinquième ligne de la septième page, la sixième ligne du trente-troisième sonnet, la septième ligne du trente-troisième sonnet, la huitième ligne de la soixantième page, la neuvième ligne de la seizième page, la dixième ligne du trente-quatrième sonnet, la onzième lìgne du quarante-quatrième sonnet ; la douzième ligne du cinquante-neuvième sonnet, la treizième ligne de la trente-cinquième page,

pour que, ce qui s'inclinait, penchait, grimpe ici comme la braise.

Il est évident qu'un tei sonnet peut ètre lu aussi comme la description d'un des procédés combinatoires qui semblent se trouver souvent à la base de la production textuelle des sonnets. Il est évident aussi que Czernin joue avec l'autoréférentiel à plusieurs niveaux et parie ici de la suite des vers qui, dans certains sonnets, est sciemment hétérogène, comme si l'auteur avait essayé de choisir les sonnets les plus divergents comme base combinatoire du nouveau sonnet, comme dans « nageln », n° 57, p. 160:

57 zum b. die a. geha. ìst worden, alle ha.,

ow plauch sia niek achsgew red zraunken driw chiwacht;

s a f t , s a f t s a f t

r e i m

U ~ \ / ~ \J ~ u ~~ V ~ U ~~

auf dass satzgegenstande beigefiigter Hatte, 82 90 106 117 128 168 172 190 11 23 38 4.3 60 144 indem ein tei! des teilens sei geworden reim, 1;

war baid rauch stocke kahler stanne knospen sonetts asche ziehen erklettern haun sturine wachsen,

.kraut afe gewachs die wird gepflanzt bautn vom damit;

sobald, was keimt, der trieb ist, triebe blitten wachsen.

En y découvrant la ligne en bloc noir ou en vers illisibles, parce que superposés maintes fois, le lecteur aura reconnu les sonnets de source, et il