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Etienne Lecroart, memore de l'Oubapo, (Ouvroìr de Bande Dessinée Po-tentielle), est connu pour ses bandes dessinées palindromes, dont « Cercle Vicieux ». Comment devient-on memore de l'Oubapo ? Quelle est la for-mation d'Etienne et quelles filiations revendìque-t-il ? Les contraintes que s'imposent les oubapiens ont-elles quelque chose à voìr avec celles des oulipiens ? C'est ce que Philippe Bruhat, amateur éclairé de bandes dessinées et Elisabeth Chamontin, journaliste, sont allés lui demander pour Formules.

Formules : Auteur de bandes dessinées, est-ce un métier ?

Etienne Lecroart : Je dessine professionnellement depuis 1986 - mais je n'en vis reellement que depuis dix ans... et ce n'est pas en tant qu'auteur de bandes dessinées. Je suis en effet journaliste, et plus précisément dessi-nateur de presse : je crée des « dessins d'humour » pour plusieurs jour-naux. Les bandes dessinées, surtout les oubapiennes, ne suffiraient pas à me nourrir. Ceci dit, les dessins d'humour ont leurs contraintes aussi...

Formules : Quel est le lien de l'ensemble de votre travail ?

EL : C'est l'humour. J'aime les contraintes, les structures nouvelles dans la mesure où elles amènent quelque chose de dròle, de surprenant et permet-tent de sortir du déjà vu.

Formules : Quelles sont les oeuvres qui jalonnent votre parcours ?

EL : Mon premier recueil de dessins d'humour, L'ère du Cornichon, date de 1992. Quant à ma première « vraie » bande dessinée, intitulée Perven-che et Victor, elle date de 19941. Elle part déjà d'une contrainte : en effet, les pages se plient Fune sur l'autre et le pliage révèle des textes et des dessins différents de ceux que Con peut lire avant la manipulation. Dans la première édition, le titre Pervenche et Victor devenait par exemple Perverse et

Vicieux quand on pliait le rabat sur la première de couverture. Le procède avait déjà été utilisé sur des images uniques par Al Jaffee2 pour Mad, ce que j'ignorais à l'epoque.

J'ai ensuite publié d'autres bandes dessinées dont deux au Seuil : Et e'est comme ca queje me suis enrhumée, et Ratatouille, qui sont toutes deux basées sur des structures formelles assez fortes. Puis Cercle vicieux, et bientót Le Cycle3 à l'Association.

Auparavant j'avais fait quelques travaux «pré-oubapiens », comme Pat et Tic (éditions Hors-Gabarit), un flip book avec deux personnages indépen-dants qui se font des papouilles ou se tapent dessus, selon l'endroit où Fon met le pouce pour feuilleter les pages.

Ou encore La Vìe exemplaire de Saint Sinus (éditions Cornélius) dans lequel j'avais détourné des gravures de Diirer pour créer la vie imaginaire de Saint Sinus. L'éditeur avait trouvé des techniques pour vieillir le papier de manière à faire ressembler ce livre à un vrai manuscrit ancien.

Ces bouquins ont été faits avant que l'Oubapo n'existe, mème si certains ont été publiés après sa naissance. L'Astrophago-typologie à la portée de tous, lui, n'a jamais été publié. Les pages sont découpées en trois dans la hauteur ; le lecteur affiche les signes du zodiaque occidental et chinois qui lui correspondent ainsi que son plat préféré, et son portrait apparaìt, avec un texte décrivant son caractère et le conseil de l'astrophago-typologue. C'est exacte-ment le mème principe que « mille milliards de poèmes ».

C'est seulement après ces premières réalisations que plusieurs personnes m'ont fait découvrir le travail de Raymond Queneau et de POulipo, ce que je connaissais fort mal à l'epoque. Je croyais nai'vement avoir tout décou-vert, mais malheureusement on n'invente que rarement. Il y a toujours quelque chose qui ressemble à ce qu'on a fait et qui a été fait avant.

Formules : Quelle est votre formation et comment ètes vous entré à l'Oubapo ? EL : J'ai fait les Arts Déco à Paris, section Presse-édition. Mais ce n'est pas aux Arts Déco que j ' a i eu des cours de bande dessinée.

Coté littéraire, je n'ai pas vraiment de formation. Je me suis bien sur inte-resse à l'Oulipo, mais je suis un lecteur modeste. Je consacre déjà une grande partie de mon temps de lecture à lire la presse pour mon travail.

Le lien avec l'Association4 s'est fait quand Jean-Christophe Menu m'a été présente par un ami, Charles Berbérian5. J'y ai réalisé ma première bande dessinée en 1992 à l'epoque mème où ils étaient en train de créer l'Oubapo.

Si je n'étais pas à la première réunion de l'Oubapo, j'étais présent à la deuxième et depuis je crois que j ' a i assistè à toutes.

Formules : Pourtant vous vous différenciez de la majeure partie des créa-tions publiées par 1' Association, comme les BD autobiographiques.

EL : Effectivement, ma facture est certainement plus classique que la plu-part des livres de l'Association mais je m'y sens bien. J'aime leur style, je trouve certaines de ces bandes dessinées magnifiques. L'autobiographie ne

m'a pas tenté pour l'instant... J'aime jouer avec les strucrures narratives, ce qui m'amène à autre chose.

Formules : Écrivez-vous tous vos textes ? Avez vous déjà travaillé en tandem ? EL : J'écris tous mes textes et je ne travaillé quasiment pas en tandem. Si je le faisais, ce serait d'ailleurs plutót avec un dessinateur qu'avec un scéna-riste ! En effet si j'adore dessiner, c'est surtout la création de l'histoire qui m'intéresse. Lewis Trondheim, en voyant un petit palindrome de 3 pages que j'avais fait dans la revue Lapin de l'Association, m'a un jour propose d'écrire pour lui un livre palindrome, qu'il aurait dessiné. Mais le projet m'avait pam à l'epoque impossible. Puis j ' y ai réfléchi posément et j ' a i décide de le faire tout seul, peut-ètre par crainte de m'en sentir dépossédé.

Et c'est ainsi qu'est né Cercle vicieux.

Formules : Avec Cercle vicieux, vous avez été le premier à utiliser la struc-ture du palindrome en bandes dessinées ?

EL : Non, j ' a i eu quelques précurseurs. Je pense notamment à « Nogegon » de Schuitten (prononcez skeuiterì), qui a une structure de palindrome. Cer-tes, elle n'est pas aussi stricte que la mietine, dans la mesure où seules les images se répondent en miroir.

Il y a eu aussi les fameux Upside down de Gustave Verbeek6 : il s'agit d'une bande dessinée qu'il faut retourner pour en continuer la lecture . On peut voir de lui un épisode assez fabuleux, reproduit dans « l'Oupus 1 » de l'Oubapo.

Une image d'un coté représente un homme qui apporte un poisson sur une ile, de l'autre une mouette qui mange une enfant7. Et ca date de 1904 !

Formules : Quelles sont les difficultés à surmonter pour faire une bande dessinée palindrome ?

EL : Il y a en a beaucoup ! Je prends un exemple trivial : si vous représen-tez des gens qui mangent, ou boivent un verre, vous ne pouvez pas les faire régurgiter ! De mème s'ils meurent ou recoivent un coup, la situation ne peut pas ètre la mème avant et après. Certe dernière difficulté a d'ailleurs été le point de départ de mon histoire Cercle vicieux. J'ai voulu travailler à la résolution d'une situation de ce type tout en conservant la cohérence de l'histoire. Ceci afin d'éviter d'obtenir une histoire un peu piate, qui se morde la queue, ce que gènere souvent certe contrainte. Je pouvais certes jouer sur l'ambigui'té de certains mots ou de certaines situations, mais dans ce cas je voulais qu'il se passe aussi quelque chose au niveau visuel.

Un étudiant en video m'a propose d'adapter certe bande dessinée en film.

Chaque case pouvant ètre en effet considéree comme une scène, il s'agirait donc d'un palindrome de scènes. A ma connaissance il n'y a pas encore de

fìlms entièrement palindromes, ou peut étre des courts métrages