• Aucun résultat trouvé

La mémoire familiale 36

1.   CHAPITRE 1 : Cadre de référence 21

1.3.   La mémoire familiale 36

Le film de famille est un support médiatique pour la mémoire familiale qui a recours à l’oralité pour bien fonctionner au sein de l’institution familiale. Il serait donc logique de penser que la mémoire familiale fait également appel à la parole pour s’extérioriser et se transmettre entre les membres d’une même famille et de génération en génération. Ainsi, il est nécessaire de définir en quoi consiste la mémoire familiale

afin de déterminer dans les prochaines pages, si vraiment, elle fait appel à l’oralité. Il faut découvrir également de quelle façon cette verbalisation entre dans le processus de réactivation des souvenirs. La définition générale de la mémoire familiale à partir de laquelle nous bâtirons notre hypothèse sera reprise de l'ouvrage de Josette Coenen- Huther, intitulé La mémoire familiale73.

Selon l’auteur, toute mémoire est munie d’une « double nature » : « ensemble de

souvenirs, d’images, mais aussi de représentations associées à des valeurs et des normes de comportement (…) et, « le passage du premier niveau au second n’est cependant pas toujours automatique. »74 Afin que ces images, ces valeurs, ces normes, ces traces du souvenir gardées quelque part au creux de la mémoire puissent redevenir intelligibles pour l’individu qui les sollicite, une organisation, ou plutôt une réorganisation logique de ces éléments est indispensable. Car comme le dit Joëlle Candau, professeur et chercheur travaillant spécifiquement sur l’anthropologie de la Memoire, l'identité et cognition sociale, et son prédécesseur, Maurice Halbwachs, sociologue et philosophe connu comme le grand spécialiste de la mémoire collective, le processus de la mémoire humaine n’est pas réplicatif, mais dynamique : « Elle n’est pas

réplicative comme une mémoire électronique d’ordinateur mais dynamique : de ce fait imprécise, elle n’est jamais la copie conforme de l’objet mémorisé, elle modifie à chaque nouvelle expérience son propre schéma d’organisation, elle procède par association, généralisation et de manière probabiliste. »75

Dans le processus de remémoration, le langage est un élément indispensable et c’est seulement par le langage que cette reconstruction d’un souvenir en un tout cohérent est possible. Mais avant d’arriver à la compréhension d’un souvenir, il faut, dans un premier temps que le langage fasse son premier travail. Celui d’associer des schèmes, des significations et des conventions aux objets, aux images et aux concepts afin « de les

distinguer les uns des autres au moyen de leurs noms »76 et ensuite seulement, il pourra joindre ces signifiants les uns aux autres et permettre à l’ensemble d’être le véhicule de

73 COENEN-HUTHER, Josette, La mémoire familiale, L’Harmattan, Paris, France, 1994, 268 pages. 74 COENEN-HUTHER, ibid, op.cit., p.15.

75 CANDAU, Joël, Anthropologie de la mémoire, Presses universitaires de France, Collection encyclopédique Que sais-je ?, Paris, France, 1996, 127 pages, op.cit., p.10.

76HALBWACHS, Maurice, La mémoire collective, publié en 1950. Paris : Les Presses universitaires de

la communication humaine. « Les conventions verbales constituent donc le cadre à la

fois le plus élémentaire et le plus stable de la mémoire collective. »77

La mémoire collective qui caractérise plus précisément celle à laquelle la famille fait appel pour perpétuer la tradition de sa lignée, se divise en plusieurs catégories. En fait, Joël Candau, professeur et chercheur travaillant spécifiquement sur l’Anthropologie

de la Mémoire, Identite et Cognition sociale a distingué trois formes de la mémoire de

groupes familiaux dans son livre Anthropologie de la mémoire78 : la mémoire généalogique (verticale), la mémoire générationnelle (horizontale) et la mémoire familiale (« la mémorisation tangible de la mémoire domestique »79de la famille).

La première forme mémorielle représenterait une mémoire en profondeur qui veut se rappeler l’ascendance familiale afin d’attester le niveau social de la famille. Elle couvre plusieurs générations d’ancêtres, et, quoiqu’elle semble disparaître de plus en plus dans les sociétés modernes, elle est encore suscitée chez les familles aristocratiques qui définissent leurs valeurs et caractéristiques familiales selon leur lignée d’ancêtres fortunés ou héroïques. La seconde catégorie, qui tend à remplacer la première, se dit horizontale car l’étendue de sa mémoire est longitudinale. C’est-à-dire que la mémoire générationnelle va privilégier l’étendue des alliances familiales (« filiation paternelle, maternelle ou indifférenciée, importance respective des alliés et des consanguins »80). Candau affirme que ce type de généalogie est plutôt favorisé chez les peuples nomades d’une même région qui vont « compenser l’absence d’ancrage dans un terroir »81 pour retrouver un sentiment d’appartenance à un groupe et afin de s’assurer des alliés en cas de litige. La troisième catégorie, la mémoire familiale, est présente, quant à elle, chez les classes moyennes et ouvrières. Il mentionne d’ailleurs une enquête sur la mémoire familiale des Parisiens effectuée par Béatrix Le Wita82 à Paris dans les années 80 :

77

HALBWACHS, Maurice, Les cadres sociaux de la mémoire (1925), Librairie Félix Alcan, Première édition, 1925. Collection: Les travaux de l'Année sociologique, Paris, Les Presses universitaires de France: Nouvelle édition, Paris, 1952, 299 pages, op.cit., p.82

78 CANDAU, Joël, Anthropologie de la mémoire, Presses universitaires de France, Collection encyclopédique Que sais-je ?, Paris, France, 1996, 127 pages.

79 CANDAU, op.cit., p.52 80 CANDAU, op.cit., p.52 81 CANDAU, op.cit., p.52

82 LE WITA, Béatrix, Ethnologie française, La mémoire familiale des Parisiens appartenant aux classes moyennes, XIV, 1984, 1, p.57-66.

« Les familles du XIIIe arrondissement interrogées par l’ethnologue n’ont pas une mémoire généalogique « foisonnante », ni en profondeur ni, dans une moindre mesure, en étendue. En revanche, leur mémoire familiale est privilégiée : morts tragiques, vie au village, vie professionnelle, album de photographie, mobilier et bibelots représentant la « mémorisation tangible » de l’histoire domestique. C’est dans la vie quotidienne que s’ancre la mémoire familiale de cette population, moins intéressée par la reconstitution d’arbres de Jessé que les classes plus favorisées. »83

Or, la majorité de la population occidentale et nord-américaine qui fait des films de famille ou qui a réalisé des films de famille depuis l’apparition des caméras amateurs « super 8 » de Kodak se situe généralement dans cette catégorie (voir chapitre 3, p.77).