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Chapitre 3 : Étude des indicateurs de l’impact de la mondialisation

3.5 Le mécénat

Le quatrième indicateur que nous allons maintenant étudier limite son champ à l’espace libanais, il s’agira d’étudier le mécénat exercé localement par des chefs d’entreprises. Selon Bertrand Barthelot, « le mécénat se distingue généralement du sponsoring ou du parrainage par la nature des actions soutenues et par le fait qu’il n’y a normalement pas de contreparties contractuelles publicitaires au soutien du

mé-cène ».92

Tout soutien d’un mécène n’est pas éternel. La concurrence est forte, et à chaque ins-tant son appui peut cesser. Dans un entretien avec Ghayas Dibra, commentateur et présentateur sur la chaîne LBCI qui diffuse la ligue libanaise de basket-ball, nous

91 Le commerce du Levant P.H.B., mai, 2015.

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prenons que lors de la première saison du championnat en 1993, les clubs libanais n’étaient pas encore dotés des terrains en parquet, on jouait sur du béton peint, dans des terrains qui appartenaient aux écoles ou aux universités et non aux équipes elles-mêmes.

L‘année 1994 marque l’arrivée d’Antoine Choueiri dans le sport. Il est le parrain du basket-ball libanais et « patriarche des médias au Moyen-Orient » : naît en 1939 à Beyrouth, d’une famille chrétienne originaire du nord du Liban, il a étudié au Collège de La Sagesse des Pères Maronites. Il arrête l’école à 15 ans, par manque de moyens financiers et entame des cours du soir de comptabilité et obtient son diplôme. Il se marie avec Rose Salameh en 1961, deux enfants naissent de cette union : Pierre et Lena, qui ont pris le relais dans le groupe Choueiri (Choueirigroup, 2010).

Élu président du club de La Sagesse en 1992 son équipe remporte vingt titres en huit ans : huit fois consécutivement championne de la ligue libanaise de basket-ball (de 1997 à 2004), cinq fois vainqueur de la Coupe du Liban (de 1999 à 2003), elle a rem-porté trois fois la Coupe d'Asie des clubs champions (1999, 2000, 2004) et deux fois

la coupe Champion d'Asie de l'Ouest (2002, 2004)93 et enfin deux fois la Coupe arabe

des clubs champions (1998, 1999).

Il publie entre autres l’hebdomadaire francophone « Magazine ». En 1971 à 32 ans, il décide de créer sa propre régie publicitaire au Liban, la Régie Générale de Presse. Quatre ans plus tard, la guerre civile le pousse à se réfugier à Paris, où il pose les fon-dations de son groupe en développant en Europe les ventes des titres arabes tels que « Al Watan al’Arabi ».

En 1994, la chaîne libanaise LBCI diffuseur du basket-ball libanais, au bord de la fail-lite, en raison de la situation politique, était devenue insolvable. Antoine Choueiri grâce à ses soutiens dans le Golfe, redresse la situation financière de la chaine. Son soutien était dicté par son esprit communautariste et son implication dans le sport. Il était proche des « forces libanaises » parti politique propriétaire de la chaine à l’époque.

Agissant en stratège et en fin politique, il a bien perçu que le mécénat représentait un atout à son profit et de celui du basket-ball, alors aux prises avec la corruption. Il uti-lise ses compétences en publicité et en commercialisation pour créer l’affiche « Sa-gesse vs Sporting -Chrétiens vs Musulmans », le « classico » libanais.

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L’affiche remporte un réel succès pour toute la chaîne sportive, celle des acteurs de la mondialisation du basket-ball libanais en fut la première bénéficiaire. Antoine Choueiri a joué sur la fibre sensible du public provoquant chez lui une véritable exal-tation émotionnelle au point de faire du basket-ball une addiction chez les libanais concrétisé par une augmentation du nombre des licenciés.

Tableau n°19 : L’évolution du nombre de téléspectateurs et de licenciés dans la FLBB

depuis 199294

Année 1992 1995 2000 2005 2010 2015

Téléspectateurs95 10 000 50 000 2 100 000 1 800 000 1 000 000 500 000

Licenciés 500 5 000 10 000 14 500 15 000 14 000

Ce tableau nous montre l’évolution du nombre des licenciés et des téléspectateurs de 1992 à 2015. Le nombre des téléspectateurs a atteint son pic entre les années 2000 et 2005 qui ont connu une domination des équipes libanaises de basket-ball au Moyen-Orient. Il s’est imposé le rival numéro 1 de la Chine.

a- Le communautarisme déforme l’image du basket-ball libanais dans le monde

Comme le reconnait Ghayath Dibra, les libanais ont été attirés également par la quali-té du jeu et des bons résultats obtenus. Cette affiche a créé un lien fusionnel entre les équipes et leurs supporters au point de faire dégénérer la moitié des matchs, en ba-garres généralisées.

Lea Boukhater dans son article, évoque le sujet du confessionnalisme sportif dans le basket-ball libanais. Il existe quatre divisions de basket-ball qui sont réparties en fonction des districts. Comme les régions « mixtes », ne sont pas nombreuses, la plu-part des équipes sélectionnées sont formées de joueurs à 80% de même religion. Ce phénomène confessionnel a encore été ravivé par la guerre. Elle rapporte ses

observa-tions des matchs opposant les équipes de Sagesse et du Sporting qui se disputent la

plupart du temps la première place au classement national. L’équipe « Sagesse » ras-semble principalement des chrétiens d’Achrafieh (Beyrouth) ; la deuxième réunit pour l’essentiel des musulmans sunnites de Manara (Boukhater, 2004).

Les rencontres sportives vont de plus en plus donner lieu au spectacle lamentable de supporters jetant des projectiles sur les joueurs adversaires, lançant des insultes et des chants religieux sur les terrains. Les bagarres dans les tribunes et les rues, vont

94 Entretien avec Ghayath Dibra 2015. Flbb : fédération libanaise de basket-ball.

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donner lieu à des affrontements de plus en plus préoccupants détériorant l’image du sport au Liban.

Les matchs sont souvent placés sous surveillance policière voire militaire. « Malgré la fin de la guerre civile, il y a 25 ans, les troubles confessionnels se durcissent dans les stades libanais. De violentes échauffourées ont éclaté dernièrement lors de la finale

du championnat national de basket-ball, »96 publie la journaliste marocaine Khadija

Ben Hayyan en 2014.

Dans une interview avec le magazine libanais en ligne sports-961.com, le fameux joueur de la NBA Hassan Whiteside décrit la saison qu’il a passé au Liban comme la pire de toute sa carrière, il se déclare consterné par ce qu’il a vu sur le terrain lors de son deuxième match à l’étranger.

Source : Naharnet97

Hassan Whiteside quitte le Liban sur des impressions détestables et non à cause de la médiocrité de son jeu comme le prétendent ses coéquipiers libanais.

Ce type de mécénat a permis l’établissement d’une ligue nationale de basket-ball. Il a révélé aussi l’envers de la médaille et mis au grand jour l’existence d’un pays en proie à des conflits inter-religieux dont la mondialisation actuelle permet d’en mesurer l’ampleur.

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Au Liban, le sport victime des tensions confessionnelles. Publié en 2014 sur :

http://geopolis.francetvinfo.fr/les-tensions-confessionnelles-empoisonnent-le-sport-au-liban-37821

97 Le texte en Anglais “They got up on the announcers table,” Whiteside said. “This is my second game overseas. I’m like, ‘What’s going on?’ The crowd was trying to rush the floor. We’ve got military guys at our game. It’s not like here where they’ve got a couple cops with a couple pistols. They got riot gear on with the shields and AKs, holding the people back. We all had to run into the locker room.” Tiré de : “From Forgotten to Coveted Hassan Whiteside’s NBA Journey” de Jonathan Abrams, le 28 Juin 2016.

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Après la démission du président Choueiri, en été 2004, le club n’a plus rien gagné il était même en danger de disparition pour manque de financements et de bonne ges-tion. En 2016 c’est toujours le cas, il cherche à survivre. De même pour l’équipe na-tionale Libanaise qui depuis sa dernière participation en coupe du monde 2010, n’a plus connu de bons résultats.

b- Le mécénat comme promoteur de la marque café Najjar :

Un autre acteur a joué un rôle important dans le développement du mécénat dans le basket-ball libanais, et mérite une mention spéciale dans la description de notre indi-cateur : Le Café Najjar une entreprise de café créée en 1957 au Liban. Elle s’est déve-loppée en ouvrant des Maisons du Café dans 14 pays dans la région du Moyen-Orient. A la fin des années 90 et début des années 2000, le basket-ball libanais profitant de son succès en battant toutes les équipes de la région, a donné à travers la télévision le spectacle de sa réussite sportive montrant l’enthousiasme des foules et allant de vic-toire en vicvic-toire. Le pays avait trouvé son sport national et les mécènes se bouscu-laient en faveur des équipes.

Le propriétaire de Café Najjar, Michel Najjar, profitant de cette situation favorable, lance une équipe de basket-ball à son nom dans la quatrième division libanaise. Au Liban les équipes dotées d’argent peuvent passer de la quatrième division à la pre-mière dans un espace de deux ans, un type de gestion adopté par la fédération liba-naise de basket-ball visant à améliorer le niveau du jeu et à augmenter la compétition entre les équipes de la première division.

Michel Najjar a bien compris qu’une équipe portant le nom de son entreprise lui va-lait bien plus que tous les sponsorings. Il s’est inspiré de la stratégie commerciale uti-lisée par les clubs italiens de première division, tel que Emporio Armani Milano, et Benetton Treviso qui, en 2012, décident de se retirer complètement de la ligue… Le club libanais dès la première année en division une, atteint les phases finales et ter-mine quatrième, il représente le Liban l’année suivante en 2004 au championnat des clubs arabes et termine troisième perdant en demi-finale à un point de différence face aux champions du tournoi « Al Ittihad » Arabie-saoudite (Al Doussari, 2004). Juste après ce tournoi l’équipe a été résiliée, mission accomplie car l’entreprise de café ouvre sa filière « maison du café » aux Emirats, a étendu ses branches au Moyen-Orient et aux marchés internationaux, surtout dans le marché égyptien.

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Ce mécénat a rempli ses objectifs de communication et de mobilisation interne. Il a traduit en faveur de son intérêt personnel ce qui pouvait apparaitre comme une en-treprise philanthropique. Il ne faut pas l’oublier, le mécénat permet des déductions fiscales contrairement au sponsoring qui est considéré comme un investissement pu-blicitaire.

c- Le mécène principal financeur des équipes

Une étude menée sur la distribution de dépenses et de revenues de l’équipe libanaise de basket-ball « Riyadeh » révèle le poids financier du mécène sur une équipe de

première division. 98

1- Les revenus des terrains : 54000$ (46000 euros)99

2- Revenu des droits télévision : 36000$ (32000 euros)

3- Des publicités sur le sol et aux bords du terrain : 209000$ (182000 euros)

4- Revenus des ventes des équipements sportifs (tenue de l’équipe, brassard…) :

200000$ (174000 euros)

5- Des activités promotionnelles (diner, rencontres avec les fans…) : 250000$

(218000 euros)

Ces sources de revenus nous donnent un total annuel de : 713,000$ américains

(620,000 euros).

Le budget de l’équipe de « Riyadeh » durant la saison 2014-2015 a atteint les 5 mil-lions de dollars américains, (app : 4, 500,000 euros).

La différence entre les revenus et le budget est de : -4, 287,000$, la couverture de ces dépenses est assurée par le mécène, qui est souvent un homme politique appuyé par une communauté religieuse. Durant notre entretien avec Pascal Galantin (2015), di-recteur commercial du club Professionnel « Paris Levallois », il souligne que le budget de son club durant la saison 2014-2015 a atteint les 5,375 millions d’euros soit 800.000 euros de plus que le club libanais. Les charges de l’équipe « Paris Levallois » s’élèvent à 5,175,000 euros au moment où ses recettes ont atteint les 537,500,000 euros repartis de la manière suivante : 2 250 000 euros provenant des subventions publiques, 2 700 000 euros provenant des partenariats privés, 425 000 euros de re-cettes diverses (billetterie, boutique…). Nous constatons que le budget de cette équipe repose sur plusieurs entités.

98 Ces chiffres ont été fournis par Tony Khalil lors d’un entretien avec lui en septembre 2016.

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