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Ludovic Mevel, Université Paris 10, UMR 7055 –Préhistoire et technologie

Résumé

Malgré plus d’un siècle de recherche archéologique dans les Alpes du Nord françaises, le Paléolithique supérieur final reste mal connu, faute de synthèse effectuée à partir de la documentation archéologique. Notre travail de thèse à pour objectif de remédier à ce manque, en rediscutant : 1) du peuplement des Alpes à partir d’une approche archéo-stratigraphique de certai- nes séquences tardiglaciaires, et 2) de l’analyse techno-économique des industries lithiques magdaléniennes et aziliennes. Les modèles proposés pour le Bassin parisien pourront être confrontés aux évolutions constatées dans cette région montagneuse où s’opère une des « recolonisations » tardiglaciaires.

Si les premières incursions de l’homme moderne dans les Alpes du Nord dateraient de l’Aurignacien (Malenfant, 1998), la véritable reco- lonisation du milieu alpin durant le Paléolithique supérieur est véritablement marquée par la présence durable de groupes humains magdaléniens pendant le Bølling, puis aziliens durant l’Allerød. L’accès aux massifs préalpins et alpins à la toute fin de la déglaciation wurmienne, a permis à l’Homme une installation durable dans un milieu environnemental riche et diversifié. Mais ce repeuplement d’un es- pace aussi contrasté que les Alpes, conjugué à la rapidité avec laquelle les hommes se sont réappro- priés cet espace nouvellement accessible, soulève un certain nombre de question sur la provenance des premiers occupants et sur leur évolution dans ce milieu. En effet, peut-on démontrer une occupation permanente de ce vaste territoire dès le Magdalé- nien supérieur ? Existe-t-il des éléments nous per- mettant de distinguer une évolution culturelle parti- culières aux populations Alpines ? Quelles sont les relations qui ont pu exister entre les occupations d’altitudes et celles connues en plaine, dans la val- lée du Rhône en particulier ? Enfin quelle place

tiennent ces groupes magdaléniens et aziliens dans le vaste panorama des sociétés du Tardiglaciaire ? Quelles affinités, par exemple, avec celles du Bas- sin parisien ?

La découverte de gisements datés de la fin du Paléolithique supérieur est relativement ancienne dans ces régions, puisqu’une très grande majorité des gisements magdaléniens et aziliens est connue depuis le milieu du XXème siècle. Malheureusement, seuls quelques gisements ont pu être fouillés à par- tir des années 1960-70. Pour la plupart d’entre eux, soit ils avaient été partiellement « fouillés » dans la première moitié du siècle, soit les conditions de conservation des gisements n’avaient pas permis aux fouilleurs d’en exploiter la totalité du potentiel (voir la situation des grottes Jean-Pierre 1 et 2 à Saint-Thibaud-de-Couz lors des fouilles de sauve- tage - Bintz et al., 1994).

Par ailleurs, la majorité des sites décou- verts n’ont fait l’objet que d’assez courtes publica- tions, développant essentiellement des aspects d’ordre typologique sur les industries lithiques. Il faudra attendre le milieu des années 1990 pour voir paraître des publications plus conséquentes, pré-

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sentant les gisements dans un cadre plus large, en s’attachant notamment à une définition plus fine des environnements auxquels les groupes étaient confrontés (animal, végétal et minéral).

Concernant les industries lithiques, on constate une implication importante des chercheurs dans la recherche des gîtes de matières première siliceuses, et dans la diffusion des matériaux. Mais les résultats de ces travaux ont pour le moment surtout été appliqués aux séries mésolithiques et néolithiques (Bressy, 2003 ; Riche 1998 ; Feblot- Augustin, 2002 ; Affolter, 2002). De plus les études de séries lithiques magdaléniennes et aziliennes n’ont que très peu été abordées sous l’angle de l’approche technologique, à l’exception de quelques travaux (Gauchet, 1993 ; Monin, 2000).

L’objectif principal de notre étude est de recontextualiser le repeuplement des Alpes depuis la fin du Magdalénien jusqu’à la fin de l’azilien dans un cadre chronologique et géographique le plus large possible en utilisant une approche tech- no-économique des industries lithiques. Nous nous attacherons dans un premier temps à définir les caractéristiques techniques et économiques du Magdalénien et de l’Azilien des Alpes du Nord, et ceci à partir d’un corpus de sites le plus important possible. Les données acquises dans le domaine alpin serviront ensuite de cadre référentiel à une comparaison avec d’autres assemblages géographi- quement plus éloignés, notamment avec ceux du Bassin parisien, afin de conduire une réflexion sur les processus de mutation des cultures matérielles et de tenter leur modélisation dans un cadre plus glo- bal, celui des innovations marquant les sociétés humaines de la fin du Paléolithique supérieur. Dans cette perspective, les informations acquises par plus de 40 ans de recherches sur les sociétés tardiglaciai- res du Bassin parisien offrent un référentiel de comparaison privilégié.

Dans le cadre de cette recherche, l’abri de La Fru (Pion, 1990 ; 1997) constitue le principal gisement alpin de référence. Plusieurs raisons ont motivé ce choix. D’abord c’est un des rares gise- ments des Alpes du Nord à avoir été fouillé récem- ment, avec des méthodes modernes. De plus, l’abri présente en stratigraphie, une succession d’occupations humaines datées depuis le Magdalé- nien supérieur jusqu’au Mésolithique (seules les séries magdaléniennes et aziliennes sont prises en compte ici). Nous avons donc entrepris l’analyse de 8 niveaux archéologiques, répartis sur les trois locus fouillés de l’abri. La plupart des séries étu- diées ici sont inédites, puisque les principales pu- blications et travaux effectués sur le matériel lithi- que, concernaient le seul outillage de la couche 3 (Azilien ancien). Afin d’avoir une approche globale des industries en silex de ce site, et pour pouvoir les comparer entre elles, puis avec d’autres gisements, nous avons entrepris diverses approches. Tout d’abord une révision archéo-stratigraphique des deux principales séquences du gisement, afin de caractériser d’une part les éventuels problèmes de pollution des niveaux archéologiques, et éventuel- lement d’affiner les observations effectuées sur le terrain en proposant un redécoupage des stratigra- phies en s’appuyant essentiellement sur les données issues de l’approche technologique.

Cette étape importante nous permet de cla- rifier nos corpus et ainsi de pouvoir effectuer des comparaisons inter- et extra sites à partir de corpus lithiques fiabilisés.

Une attention particulière est portée à la signification économique des industries lithiques. En effet, les Alpes du Nord recèlent d’un fort po- tentiel en ressources siliceuses qui ont été abon- damment exploitées par les Préhistoriques. Une caractérisation précise, associée aux données tech-

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niques et aux modalités d’exploitations des matières premières locales et exogènes, nous a déjà ouvert de vastes champs de réflexion. Ils concernent autant la circulation des groupes humains dans les massifs alpins, que l’économie de l’outillage, qui, dans certains cas, atteste un souci évident de rentabilisa- tion des matières premières exploitées. L’acquisition de ce type de données, inédite pour ces périodes, nous permettra d’obtenir une vision dynamique des groupes ayant fréquenté les Alpes.

Les autres séries qui seront intégrées dans notre corpus dépendront des questions qui seront soulevées au fur et à mesure de l’étude, et bien sûr de l’accès aux collections. Au niveau « local », on peut d’ores et déjà citer les grottes de Saint- Thibaud-de-Couz, dont nous avons pu réexaminer (en collaboration avec Gilles Monin –UMR 6636) les niveaux Magdaléniens. Les séries magdalénien- nes et aziliennes de la grotte des Romains et de l’abri Gay seront également de bons candidats, puisque le premier site est situé dans la vallée du Rhône et le second dans le Jura. On ajoutera éven- tuellement les informations collectées sur les séries de Banges (Savoie) et de l’abri des Douattes (en cours de fouille en Savoie). D’un point de vue extra-régional, il nous semble intéressant de pou- voir intégrer à l’étude certaines séries aziliennes du sud-ouest de la France, déjà publiées (Bois-Ragot, Le Pont d’Ambon, abri Dufaure), ou inédites, et de confronter de manière serrée nos résultats avec ceux qui ont été acquis dans le Bassin parisien.