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CHAPITRE 3 : LA JURIDISATION ET SES CONSÉQUENCES

3.2. LA JURIDISATION

3.2.2. La loi de 2002

LA SANCTION

Est passible d’une sanction disciplinaire tout salarié ayant procédé à des actes de harcèlement moral (article L.122-50 du Code du travail). L’article L.122-49 sanctionne de nullité toute rupture du contrat de travail, toute sanction, toute mesure discriminatoire à l’égard d’un salarié qui a subi ou refusé de subir des faits de harcèlement moral. Les personnes ayant témoigné de faits de harcèlement bénéficient d’une protection identique. La nullité implique la remise en l’état, c’est-à-dire la réintégration du salarié dans l’entreprise. Néanmoins, elle ne s’impose pas au salarié qui peut refuser la réintégration et réclamer des dommages et intérêts. Concernant les sanctions pénales, le harcèlement moral est puni d’un an d’emprisonnement et / ou d’une amende de 3 750 € (article L.152-1-1). En plus de cette référence dans le Code du travail, la loi en a inséré une autre dans le Code pénal (un an d’emprisonnement et 15 000 € d’amende, article L. 222-33-2).

LA PRÉVENTION

L’article L. 122-51 du Code du travail oblige le chef d’entreprise à prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement. Le règlement intérieur de l’entreprise doit rappeler les dispositions des articles L.122-49 et L.122-50 du

Code du travail. De nombreux employeurs ont d’ailleurs mis en place des procédures d’information des salariés et de l’encadrement sur ce sujet et sur les moyens d’y faire face, ainsi que des procédures de traitement des plaintes. Ces textes sont complétés par l’article L.230-2 du Code du travail intégré aux dispositions « hygiène et sécurité » qui oblige l’employeur à protéger la santé physique et mentale des salariés. La santé n’était pas spécifiée auparavant.

LE RENFORCEMENT DES POUVOIRS DES INSTITUTIONS

L’article L. 240-10-1 du Code du travail a été modifié afin de permettre au médecin du travail de proposer au salarié des mesures telles que la mutation ou les transformations de poste au vu de son état de santé physique et mentale. Les CHSCT voient également leur rôle renforcé grâce à l’article L. 236-2 du Code du travail qui leur confère dorénavant la mission de protéger non seulement la santé physique, mais aussi la santé mentale des salariés, avec en prime la possibilité de proposer des actions de prévention en la matière.

De la même façon, de nouvelles attributions sont octroyées aux délégués du personnel. L’article L. 422-1-1 dispose que « si un délégué du personnel constate, notamment par l’intermédiaire d’un salarié, qu’il existe une atteinte au droit des personnes, à leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles dans l’entreprise qui ne serait pas justifiée par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnée au but recherché, il en saisit immédiatement l’employeur ». Les délégués du personnel ont ainsi la possibilité nouvelle d’exercer, en cas de harcèlement, le « droit d’alerte » qui était jusque là réservé aux atteintes aux droits ou aux libertés du salarié. En cas de mise en œuvre de ce droit d’alerte, l’employeur est tenu de diligenter une enquête avec le délégué et de remédier à la situation.

L’article L. 122-53 reconnaît aux syndicats le droit d’agir en justice au nom d’un salarié victime de harcèlement : « les organisations syndicales représentatives dans l’entreprise peuvent exercer en justice, dans les conditions prévues par l’article L. 122-52, toutes les actions qui naissent de l’article L. 122-46 et de l’article L. 122-49 en faveur d’un salarié de l’entreprise, sous réserve qu’elles justifient d’un accord écrit de l’intéressé. L’intéressé peut toujours intervenir à l’instance engagée par le syndicat et y mettre fin à tout moment ».

LA MÉDIATION

Dès lors qu’un salarié s’estime victime d’un harcèlement moral, il peut recourir à une procédure de médiation. Le médiateur est choisi en dehors de l’entreprise sur une liste de personnalités choisies par le préfet. Il appartient au médiateur de s’informer des relations entre les parties, de tenter de les concilier et de leur soumettre des propositions écrites. En cas d’échec de la conciliation, il informe les parties des éventuelles sanctions encourues et des garanties procédurales prévues pour les victimes.

Adoptée définitivement le 19 décembre 2001, l’entrée en vigueur de la loi a été retardée par le recours déposé devant le Conseil constitutionnel contre plusieurs de ses dispositions. En effet, étant donné que la loi renversait la charge de la preuve sur le défendeur, les sénateurs ont demandé un éclaircissement quant à la protection de la présomption d’innocence en vigueur en matière pénale. Dans sa décision du 12 janvier 2002, le Conseil constitutionnel a levé toute ambiguïté. Ces règles ne sont pas applicables en matière pénale et ne sauraient, en conséquence, avoir pour objet ou pour effet de porter atteinte au principe de présomption d’innocence tel qu’édicté par l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. De plus, les sénateurs requérants voyaient dans la double incrimination pénale une violation du principe de la nécessité des peines. Conformément à la règle « non bis in

idem », seule la peine de même nature la plus élevée doit être retenue, comme l’a rappelé le

Conseil constitutionnel au titre des réserves d’interprétation.

La définition donnée par le législateur permet une large application du harcèlement moral. La nature des agissements incriminés n’étant pas définie, il peut donc s’agir, a priori, de tous types de comportements, dès lors qu’ils sont susceptibles de porter atteinte à la dignité du salarié, d’altérer sa santé physique ou mentale, ou de compromettre son avenir professionnel. Il peut y avoir harcèlement dans des actes non intentionnels. La volonté de nuire n’est pas obligatoire, la constatation de la dégradation des conditions de travail apparaît comme l’élément objectif essentiel du contrôle de la motivation de la décision judiciaire. De même, le terme « susceptible » laisse à penser qu’il n’est pas nécessaire que le dommage soit avéré.

La loi révèle également quelques imprécisions. Le concept de dignité, par exemple, bien que défini juridiquement, dépend du ressenti de chacun. Quant à la compromission de l’avenir professionnel, cela veut-il dire qu’il y a harcèlement moral toutes les fois que le

maintien du lien contractuel est menacé ou que la promotion professionnelle du salarié est entravée ?

Pour toutes ces raisons, il a été reproché au législateur de ne pas assez circonscrire le phénomène du harcèlement. Cette imprécision ne doit cependant pas être jugée hâtivement. Donner une définition juridique détaillée d’un phénomène risque de réduire son champ d’application, et ainsi, de ne permettre à la justice de statuer que sur une partie des cas portés à sa connaissance. Le législateur a donné toute latitude aux juges de définir la notion, signe d’une certaine américanisation du droit français : c’est la jurisprudence, en jouant son rôle d’interprétation, qui va faire émerger une norme aux contours plus précis.