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Les limites du pouvoir de l’élite du Welfare : les contraintes du politique.

Les logiques d’institutionnalisation d’une elite du Welfare ? William Genieys (CEPEL)

2. La prétention à l’autonomie politique de l’élite du Welfare.

2.3. Les limites du pouvoir de l’élite du Welfare : les contraintes du politique.

Si, comme nous venons de le démontrer, l’élite du Welfare se trouve dotée d’une certaine autonomie, il convient d’en souligner ses limites actuelles. Il nous semble que cette élite est soumise à une double contrainte du pouvoir politique. La première relève des logiques propres à l’institutionnalisation dans la structure du pouvoir de ce type d’acteurs. Tout

232 Entretien directeur des Hôpitaux. 233 Entretien sous-directeur Sécurité sociale. 234 Entretien directeur des Hôpitaux.

d’abord, en l’absence d’une formation spécialisée sur l’administration sectorielle, l’ENA joue comme mode de sélection par défaut235. Par ailleurs, malgré une capacité affichée pour la maîtrise du processus d’intégration dans la carrière au niveau du secteur, via les corps ou encore par le passage dans certaines filières administratives comme la DSS ou encore le budget, le choix discrétionnaire du politique reste une étape incontournable. Il va de soi que le développement chronique de l’alternance politique entraîne ce que l’on pourrait appeler le nouveau paradoxe du haut fonctionnaire. En effet, face au changement politique, pour certains chercheurs, le milieu des hauts fonctionnaires doit légitimer le type de comportement qui consiste à dire : “ Il est exact que j’ai été nommé à ce poste par les socialistes, mais je ne suis pas socialiste ? Je suis avant tout attaché au service de l’Etat et je fais mon travail comme technicien (vice versa avec quelqu’un de droite) ”236

. Dans cette perspective, on assisterait à un retour de la référence à la défense de l’intérêt général que les nombreux passages dans le secteur privé ont eu tendance à faire oublier. Dans le cas précis de l’élite du Welfare, c’est plus la volonté de continuer à défendre un aspect singulier d’un mode d’action sectoriel de l’Etat qui semble être le critère de justification. Cependant, une telle conception paraît un peu trop idéalisée dans la mesure où elle sous-entend que cette élite partage une vision du devenir du secteur très homogène. Cela reviendrait alors à dire que le référentiel dominant dans le secteur n’est plus seulement une vision communément partagée, mais un véritable déterminant dans l’action des élites. Or l’étude empirique des représentations véhiculées dans le secteur sanitaire et social montre au contraire que s’il existe un fond commun de nombreuses divergences subsistent (voir le chapitre suivant). Dans un même sens, l’analyse des processus décisionnels, notamment dans le cadre des politiques de la famille, montre les limites de la logique d’action collective de l’élite du

Welfare. En effet, certains de ses membres développent souvent des visions et des stratégies

personnalisées comme s’il s’agissait d’imposer leur leadership sur la politique en question. Bertrand Fragonard pour la famille et, plus récemment, Gilles Johanet pour le système de

235 On peut noter ici une spécificité du système de formation des élites. En Espagne par exemple, les

administrateurs civils, les hauts fonctionnaires territoriaux et ceux de l’audiovisuel suivent une formation généraliste au sein de l’Instituto Nacional de Administracion Publica (INAP). Les autres sont formés au sein de leur ministère d’affectation, cf., S. Parrado Diez, Las élites de la administracion estatal

(1982-1991), Sevilla, Junta de Andalucia, 1996.

236 E. Suleiman, “ Les élites de l’administration et de la politique dans la France de la V° République :

homogénéité, puissance et permanence ”, in E. Suleiman, H. Mendras, Le recrutement des élites en

protection sociale en fournissent de bons exemples. Il est alors intéressant de voir si ce type de tentative d’établir un leadership sectoriel peut être de nature à remettre en question la cohérence de l’élite sectorielle. Enfin, pour finir, s’il nous semble indéniable que l’élite du

Welfare est dotée de ressources qui la prédisposent à l’innovation en matière de fabrication

de policy, elle demeure soumise à l’arbitrage de la décision politique qui bien souvent repose sur des paramètres dépassant le cadre des enjeux sectoriels.

A partir d’une mise en perspective des entrecroisements complexes entre la sociologie des élites et l’analyse des politiques publiques, nous avons montré que l’étude sectorielle et longitudinale des sommets de l’Etat sanitaire et social s’avère être de première importance. Dans cette perspective, une approche néo-élitiste permet d’établir l’émergence d’une élite du Welfare. Bien entendu, un tel résultat n’est possible que si l’on accepte, ou du moins si l’on tente d’intégrer les apports théoriques et méthodologiques qui ont été pensées, souvent à tort, comme antinomiques (analyse positionnelle, réputationnelle et décisionnelle). En effet, aujourd’hui, il est tout autant nécessaire d’avoir un éclairage sur les modes de recrutement que de l’implication dans les processus décisionnels, afin d’éviter le développement d’une rhétorique fondée sur la délégitimation des élites. Les historiens se sont récemment clairement positionnés sur la question par la voix de Christophe Charle qui écrit : “ Je reconnais les inconvénients de l’emploi de l’expression les élites en raison de l’héritage “ parétien ” et de son usage empirique vague dans certains travaux de sociologie ou de science politique. Deux avantages expliquent malgré tout que j’y recoure : d’une part le syntagme permet d’embrasser, sous un concept plus abstrait, les divers types de groupes dirigeants ou dominants qui se sont succédés en France depuis deux siècles et dont les appellations historiques datées ont changé au fil des régimes (notables, aristocrates, etc.) ; d’autre part la forme plurielle rappelle deux traits affirmés des groupes dirigeants : la pluralité des groupes en lutte dans le champ du pouvoir et leur légitimité en permanence contestée ”237. L’analyse de l’élite du Welfare illustre pleinement ce deuxième point dans la mesure où sa logique de constitution relève d’une légitimité qui historiquement était

237 Ch. Charle, “ Légitimité en péril. Eléments pour une histoire comparée des élites et de l’Etat en France et

en Europe occidentale (XIXe-XXe siècles) ”, Actes de la recherche en sciences sociales, n° 116/117 mars 1997, pp. 39-52.

contestée. De plus, la différenciation sectorielle des élites politico-administratives est une hypothèse qui mériterait d’être étendue à d’autres secteurs de l’activité de l’Etat. De même, si l’on souhaite aujourd’hui développer la compréhension de la dynamique des régimes politiques contemporains, il faudra analyser l’implication de l’élite du Welfare dans la parlementarisation du budget social de la nation.

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