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L’affirmation de la présence des hauts fonctionnaires

Claude MARTIN (CNRS-CRAP)

2. L'élite du Welfare porteuse de la continuité des politiques ?

2.1. L’affirmation de la présence des hauts fonctionnaires

Parmi les idées reçues sur la Haute fonction publique, on invoque le plus souvent la technocratisation du pouvoir, l’existence d’une énarchie qui aurait détrôné le pouvoir politique lui-même. L’administration serait-elle parvenue à retirer le pouvoir au politique ? La confrontation des travaux sur la technocratie (voir chapitre 1) nous invite à rompre avec cette distinction trop rapide entre administration et politique et à penser leur enchevêtrement, au risque de voir s’évanouir le fameux apolitisme des fonctionnaires, dont le noyau idéologique et identitaire devrait correspondre à l’intérêt général. C’est particulièrement le cas, nous l’allons voir, dans le champ des politiques de protection maladie et des politiques familiales.

Mais au-delà de ce constat général, plusieurs tendances se dessinent néanmoins sur la longue durée, selon la littérature sur le sujet :

- d’une part, un processus continu de technocratisation, via la professionnalisation et la normalisation des modes de recrutement des élites, c’est-à-dire un rôle croissant joué par les grands corps de l’Etat dans la définition de l’action publique au cours du 19ème

et du 20ème siècle, avec une accentuation de ce processus durant la 5ème République ;

- de l’autre, une tendance récurrente à la politisation des fonctionnaires, avec tout particulièrement l’épisode de l’alternance de 1981, qui aurait modifié la donne des rapports entre politiques, militants et fonctionnaires402. Cette politisation n’aurait fait par la suite que s’amplifier du fait des alternances et cohabitations qui se succèdent depuis 1986.

Cette technocratisation des politiques publiques françaises est clairement identifiable dès la fin de la IVe République pour un certain nombre de secteurs. Dans le domaine de la protection sociale, le phénomène apparaît plus récent, en particulier pour la protection maladie. Nous allons donc dans un premier temps essayer de voir en quoi on peut parler d’une continuité de la présence de l’élite du Welfare dans les deux branches considérées ici, ce qui nous amènera dans un second temps à mettre en évidence la politisation limitée de ce groupe. C’est par ces deux aspects que ces hauts fonctionnaires peuvent être considérés comme les porteurs des tendances continues repérées précédemment.

2.1.1. Une communauté épistémique de hauts fonctionnaires dans le champ de la protection maladie

Cette continuité est clairement assumée par les hauts fonctionnaires faisant partie de l'élite du Welfare en charge de la politique de protection maladie : ils la mettent eux-mêmes clairement en avant. C'est en particulier le cas pour le plan Juppé qui concentre en quelque sorte, en les renforçant nettement, les tendances que nous avons synthétisées dans la première partie du chapitre : “ Les ordonnances de 1996, en particulier l'ordonnance sur la maîtrise médicalisée sont les enfants des idées de 1990-1991 qui, hélas, sont reparties en arrière en 1993 (...). Je rigole quand on dit le plan Juppé : le plan Juppé ce n'est pas de la génération spontanée, une réforme ne naît jamais de rien. C'est une continuité : que ce soit la gauche ou la droite vous remarquerez une continuité dans les réformes avec parfois des freins ou des coups d'accélérateur. (...). C'est extraordinaire : je relisais ce qu'il y avait dans un protocole signé en 1991 : on y trouvait tout, le codage des actes, le carnet médical, la formation continue des médecins, les sanctions, tout y est ”403. Cette forte continuité est

mise en rapport avec le poids déterminant de la contrainte financière : c'est clairement la prise en charge de cette contrainte qui génère un continuum dans l'action publique derrière

402 . Voir P. Birnbaum (sous la direction de ) : Les élites socialistes au pouvoir. 1981-1985. Paris. PUF. 1985 et L.

Rouban :La fin des technocrates ?. Paris ; Presses de sciences po. 1998.

la bannière de l'objectif de maîtrise des dépenses de protection sociale : “ En fait c'est un mouvement continu, c'est une progression. On ne passe pas d'un système blanc à un système noir ou l'inverse. Chaque ministre est obligé de chausser un peu les bottes de son prédécesseur, même s’il n'est pas de la même couleur politique, parce que la protection sociale est entièrement conditionnée par la situation économique, qu'on le veuille ou non. Comment s'en abstraire pour un secteur qui pèse 2000 milliards de Francs ? Les faits économiques sont têtus, un ministre qui arrive est contraint par ces réalités économiques, il n'a pas le choix. Il peut faire en quelque sorte des "sous choix", mais il n'a pas le choix de la trajectoire, il ne peut pas changer de trajectoire ”404. C'est de cette trajectoire dont est

porteuse l'élite du Welfare.

Cette forte continuité de la politique de protection maladie ne se lit pas seulement au niveau des mesures adoptées mais aussi dans les multiples rapports publiés au cours de la période sur l'assurance maladie. Elle est particulièrement marquée quand on examine les rapports publiés ces dix dernières années, correspondant à la période des mesures les plus importantes et les plus nombreuses dans ce domaine405. Il s'agit en particulier des rapports

suivants :

- rapport du sous-groupe santé de la Commission protection sociale du Xe Plan (présidé par Jean de Kervasdoué)-1989-

- rapport pour le Premier Ministre : "Dépenses de santé : un regard international" (Yannick Moreau)-1991-

- rapport du groupe "Prospective du système de santé" du Commissariat général au Plan : "Santé 2010" (présidé par R. Soubie)-1992-

- "Livre blanc sur le système de santé et d'assurance maladie" (Raymond Soubie, Jean-Louis Portos, Christian Prieur)-1994-

On peut y ajouter des rapports plus spécialisés, tels le rapport Lazar sur la médecine générale (1992) et les rapports Peigné (1990) et Dewulder sur l'hôpital (1995).

404

Entretien, Directeur de la Sécurité sociale.

405 Sur l'importance des changements intervenus dans les années 1990 on se reportera à Patrick Hassenteufel

Le lien entre ces rapports, auxquels ont participé des membres importants de "l'élite du

Welfare" (outre leurs présidents, parmi les participants on peut mentionner Raoul Briet,

Anne-Marie Brocas, Christian Rollet …) et la politique suivie sont multiples. On peut d'abord souligner que le rapport du Plan de 1989 met fortement l'accent sur la responsabilisation des acteurs et prône le développement des procédures de contractualisation, notamment la mise en place des SROS qui seront inscrits dans la réforme hospitalière de 1991406. Ce rapport, tout comme le rapport Moreau, soulignent

aussi la nécessité de développer des objectifs sanitaires articulés aux objectifs financiers, ce qui passe notamment par le développement des outils et des systèmes d'information. Ces principes vont se traduire en particulier dans la loi Teulade sur la maîtrise médicalisée. On les trouve également dans la réforme hospitalière de 1991 et dans le plan Juppé.

Le plus frappant est la très forte proximité entre le rapport "Santé 2010" (et dans une moindre mesure le livre Blanc, également rédigé en partie par Raymond Soubie) et le plan Juppé : “ Dans le plan Juppé on trouve nombre d'éléments contenus dans le rapport Santé 2010 (...). Il ne faut pas s'illusionner sur la capacité programmatique et réflexive en profondeur des décideurs politiques. Ils arrivent pour une période donnée, avec un programme politique au sens large, ils n'ont pas les dispositifs clés en main. Ce qui se passe alors, c'est que les ministres, leur entourage, cherchent à puiser dans la nappe phréatique, c'est-à-dire dans la masse des idées, des orientations contenues dans tel et tel rapport. Après il y a une phase de consolidation : on pèse politiquement le pour et le contre, on s'inspire de plusieurs documents ou lignes de réflexion existants. Tout ça fait un paquet et, en l'espèce, le paquet s'appelle le plan Juppé. (...). Il y a une forte continuité entre "Santé 2010" et le plan Juppé. L'essentiel c'est l'idée d'une assurance maladie universelle, le financement par la CSG, le vote du Parlement, une gestion régionalisée. Si vous ne prenez que ces quatre éléments qui sont visibles dans le discours du 15 novembre, ils font partie des caractéristiques du scénario de Santé 2010. Il y a des liens de parenté évidents entre cette réflexion et la manière dont les questions de santé ont été traitées dans le plan Juppé, même

européenne (Allemagne, France, Grande-Bretagne", Revue Internationale de Politique Comparée, vol. 5, n°2, 1998, p.315-341.

406 Il est à noter que cette réforme a été précédée par une mission d'expertise confiée à un

si le scénario n'était pas un scénario clés en mains ”407.

En effet, on trouve dans ce rapport le principe d'une assurance maladie universelle sur la base de la résidence (annoncée dans le discours d'Alain Juppé devant l'Assemblée nationale mais seulement discutée au Parlement au printemps 1999, soit près de trois ans et demi après) ; celui de la définition des objectifs de santé publique et la fixation des objectifs de dépenses par le Parlement (qui figure dans la réforme constitutionnelle de janvier 1996) ; l'idée d'une régionalisation des enveloppes gérées par des agences régionales (les ordonnances d'avril 1996 créent des agences régionales d'hospitalisation). Une partie de ces éléments sont d'ailleurs présents dans le livre blanc de 1994. Celui-ci préconise également la détermination d'objectifs sanitaires et de dépenses par l'État, l'accroissement du rôle du Parlement et la création de missions régionales de l'hospitalisation permettant d'unifier la gestion de l'hospitalisation publique et privée. Le rapport prône enfin la mise en place d'expérimentation, ce qui se traduit dans le plan Juppé par la promotion, sous une forme expérimentale, des filières et des réseaux de soins.

La permanence de la présence des élites du Welfare dans la définition des politiques de protection maladie n’est donc pas seulement lié à une présence dans des positions décisionnelles (en particulier au sein des cabinets), mais aussi dans les principaux lieux d’expertise. L’affirmation d’un pouvoir expert des hauts fonctionnaires est également net dans le domaine des politiques familiales où se donne à voir un véritable processus de technocratisation.

2.1.2. Un processus de technocratisation dans le champ des politiques familiales Le choix que nous avons fait d’analyser le rôle des hauts fonctionnaires dans la définition des politiques familiales en nous centrant sur la période 1981-1997 ne va pas de soi comme on l’a vu précédemment. Sauf à considérer que l’alternance politique de 1981 ait, à elle seule, produit une rupture nette aussi bien au niveau des acteurs impliqués dans la décision politique, et notamment dans ce secteur, qu’à celui des logiques d’action publique ou des référentiels d’action. Pouvons-nous, sans plus de précaution, considérer qu’il y a là une unité temporelle indépendante des périodes antérieures ?

Dans le champ des politiques familiales, il importe de repérer la manière dont s’est structurée l’élite décisionnelle, dans la mesure où le processus de technocratisation a connu plusieurs phases, depuis la période fondatrice, sachant qu’au départ cette élite n’est pas administrative, mais scientifico-administrative, avant de se technocratiser, voire de se bureaucratiser. Il est, nous semble-t-il difficile de comprendre la période étudiée sans revenir à ces prémices et à ce processus long de fabrication et de transformation des élites dans ce secteur.

Les travaux de Rémi Lenoir408 sont particulièrement éclairants pour rendre compte en termes socio-politiques de la période qui va du début du siècle (période de formulation et d’expérimentation de ce qui deviendra la politique familiale) au milieu des années 1980. Ces travaux permettent de repérer un certain nombre de facteurs qui peuvent être utilisés et mis à l’épreuve sur notre période. La thèse qu’il défend est celle d’un changement fondamental d’acteurs et de référentiels au tournant des années 1970, avec un processus de technocratisation de la décision et un “ effondrement des bases sociales du familialisme ”, qui avaient marqué la période fondatrice. Qu’en est-il de ce processus dans la période contemporaine ? La substitution des acteurs et des logiques d’action a-t-elle eu lieu ? Assiste-t-on dans le secteur famille à un “ tournant néo-libéral ” analogue à celui qui a été diagnostiqué dans d’autres secteurs de l’action publique depuis le milieu des années 80 ?

Notre objectif est bien ici de comprendre dans quelle mesure certains hauts fonctionnaires sont parvenus à imposer leur “ vision du monde ”, leur logique pour faire adopter de nouvelles mesures. Si, nous l’avons vu, quelques tendances nous semblent s’affirmer sur la période étudiée en termes de référentiels d’action, d’objectifs poursuivis lors des décisions politiques ou si les “ plans famille ” de la période étudiée permettent de repérer ces

408

. Voir Rémi Lenoir : “ L’effondrement des bases sociales du familialisme ”, Actes de la recherche en

sciences sociales, n° 57/58, juin, 1985. “ Transformation du familialisme et reconversions morales ”, Actes de la recherche en sciences sociales, n°59, septembre 1985. “ Groupes de pression et groupes consensuels.

Contribution à une analyse de la formation du droit ”, Actes de la recherche en sciences sociales, n°64, septembre 1986. “ Politique et famille en France ”, Revue internationale d’action communautaire, n° 18, automne 1987. “ Politique familiale et construction sociale de la famille ”, Revue française de sciences

politiques, Vol. 41, n°6, 1991. “ L’Etat et la construction de la famille ”, Actes de la recherche en sciences sociales, n°91-92, mars 1992. “ L’invention de la démographie et la formation de l’Etat ”, Actes de la recherche en sciences sociales, n°108, juin 1995. “ La famille, une affaire d’Etat ”, Actes de la recherche en sciences sociales, n°113, juin 1996.

continuités de logiques d’action, reste à établir que nous avons affaire également à une continuité des instances de pilotage ou des acteurs de la décision.

Il ne faut pas pour autant trop nous illusionner sur la possibilité de démontrer l’influence de cette élite du Welfare. D’autres groupes d’acteurs participent au processus de “ framing ” ou de formatage de l’action publique : les représentants des intérêts familiaux ; les acteurs politiques ; les experts (juristes, démographes, sociologues, économistes), mais aussi les médias, qui contribuent largement à relayer ces enjeux de la vie privée sous la forme d’un débat qu’ils veulent public. Nous ne pourrons ici qu’avancer un certain nombre d’hypothèses, en les étayant sur d’autres travaux menés sur ce secteur409

.

Dans ses travaux portant sur les politiques familiales410, Rémi Lenoir conforte cette hypothèse d’une technocratisation du secteur et présente la manière dont la famille a été construite comme une catégorie d’action publique, à travers un processus continu d’institutionnalisation d’un champ d’agents spécialisés, surtout à partir de la Libération et dans les premières années de la 4ème République. Ce processus met en scène une série d’acteurs et de champs :

- le champ politique (avec les positions adoptées par les partis politiques sur ces questions de vie privée et de famille) ;

- le champ administratif avec l’arrivée d’un certain nombre de hauts fonctionnaires spécialisés sur les questions économiques et sociales ;

- le champ juridique (un champ complexe, au sens où il comprend à la fois des magistrats, des notaires et des professeurs de droit de la famille, civilistes, mais aussi des juristes, spécialisées sur la Sécurité sociale) ;

- le champ religieux (avec les éléments de doctrine proposés en particulier par l’Eglise catholique) ;

- le champ médical (essentiellement constitué par des spécialistes de la santé et de l’hygiène publiques, des pédiatres, des pédopsychiatres) ;

409 . Voir D. Le Gall et C. Martin (sous la direction de) : Familles et politiques sociales. Paris, L’Harmattan. 1996 ;

C. Martin et P. Hassenteufel (sous la direction de) : La représentation des intérêts familiaux en Europe. Commission Européenne. 1997 et J. Commaille et C. Martin : Les enjeux politiques de la famille. Paris. Bayard éditions. 1998.

- le champ des sciences sociales (qui regroupe en fait des disciplines dont le discours et le type de contribution à la définition de l’action publique varient selon qu’il s’agit de la démographie, de la psychologie, de la sociologie ou de l’économie) ;

- et le champ médiatique (dont le rôle s’est nettement accentué au fil des ans et qui semble avoir joué un rôle non négligeable dans le tournant des années 60 et 70).

C’est à l’interface de ces différents champs que sont apparus un certain nombre de figures ou d’acteurs et que se sont structurées peu à peu une série d’institutions spécialisées chargées de réguler ces questions : Haut Conseil de la Population (créé en 1939), Conseil économique et social, Commissariat au Plan, commissions diverses et groupes d’experts. C’est dans ces instances consultatives et dans les différents cabinets ministériels qu’ont pris place les hauts fonctionnaires.

L’histoire de ce secteur est marquée pour Rémi Lenoir par un changement progressif de référentiels, lié aux transformations des comportements familiaux et à ce qu’il qualifie d’un “ effondrement des bases sociales du familialisme ”. Le recul de la conception de la famille comme institution de transmission du patrimoine matériel, notamment dans les professions d’indépendants des secteurs agricoles, de l’artisanat et du commerce ou de la petite entreprise a joué un rôle dans ce changement de référence. Cet effondrement est lié à la fois à l’affaissement du catholicisme comme référence morale dans ce secteur, mais aussi au processus de “ défamilialisation ” des femmes qui, avec la scolarisation et l’accès au capital scolaire, ont fait une entrée massive sur le marché du travail salarié. En termes de référentiels ou de logiques d’action, le “ familialisme ” a donc connu un sérieux repli depuis les années soixante-dix, sans pour autant disparaître totalement, comme nous l’avons mentionné dans le chapitre 3 de ce rapport411.

Une autre dimension du changement renvoie plus spécifiquement à ce qui nous intéresse ici, à savoir le changement des acteurs. Sans qu’il soit possible de rentrer dans les détails de la démonstration historique, qui dépasse de beaucoup la période qui nous occupe, Rémi Lenoir montre comment s’est construit dans ce secteur d’action publique un profil à l’interface de l’expertise, de la science et du politique : celui du démographe comme

411 . Cette lecture, disons traditionnelle, des rapports entre public et privé reste prégnante et se trouve re-convoquée

régulièrement pour structurer le discours politique, autant que de besoin pour s’allier les forces traditionnalistes (voir Commaille & Martin, op. cit.).

représentant de “ l’esprit d’Etat ”. “ La démographie a été dès l’origine, une science tournée vers l’action de l’Etat et subordonnée à des fins autant politiques qu’éthiques, donc à portée universelle. Ce travail d’universalisation s’est accompli notamment dans ces commissions qui réunissaient des personnalités investies par l’Etat d’une mission d’intérêt général puisqu’elles sont nommées par lui, et qui sont donc incitées de ce fait à dépasser leurs intérêts particuliers afin d’élaborer des propositions générales, ce qui n’est pas sans contribuer à donner à cette discipline cette apparence d’intemporalité, voire d’éternité”412.

L’enjeu de la natalité entre les deux guerres n’est évidemment pas pour rien dans l’affirmation du rôle de ces experts que sont les démographes. Les acteurs qui vont définir la mission de l’Etat dans ce domaine émerge à l’interface de plusieurs champs : celui des savants que sont les premiers démographes, issus bien souvent de la santé publique et de l’hygiène publique ; celui des hommes d’Etat ; et celui des militants de la cause démographique et de la natalité, voire de la question familiale, avec les premiers mouvements et associations familiaux. De nombreuses figures incarnent ce triple profil, en particulier celle d’Alfred Sauvy (démographe, directeur en 1938 de l’Institut de conjoncture au ministère de l’économie nationale, collaborateur de la Revue nationale contre la

dépopulation, puis fondateur et directeur de l’INED).

A côté de ces figures se renforce progressivement un pôle administratif, avec certains hauts fonctionnaires intéressés par les statistiques, comme Arthur Fontaine, polytechnicien, directeur du travail au ministère du Commerce, Léon Mirman, directeur de l’Assistance et de l’Hygiène publiques ou Alfred de Foville, conseiller maître à la Cour des comptes. Les commissions ou groupes de travail au sein de l’appareil d’Etat ou à ses côtés, avec la