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Vers un dépassement du clivage politique entre la droite et la gauche ?

Les logiques d’institutionnalisation d’une elite du Welfare ? William Genieys (CEPEL)

2. La prétention à l’autonomie politique de l’élite du Welfare.

2.2. Vers un dépassement du clivage politique entre la droite et la gauche ?

L’hypothèse de l’affaiblissement du clivage droite/gauche n’est pas nouvelle du point de vue de l’analyse des élites. En France, certains travaux d’inspiration “ bourdieusienne ” ont avancé la thèse selon laquelle suite à l’adoption par les élites “ du néolibéralisme comme rhétorique économique et mode d’action publique ” le clivage droite-gauche s’efface pour laisser place “ à une fracture entre la finance et le social ”231

. Pour ces auteurs, l’affaiblissement de la différenciation droite/gauche n’entraîne pas l’unanimisme et l’unité des élites politico-administratives, mais cette tendance correspondrait au développement d’une nouvelle fracture en leur sein qui traverse la droite comme la gauche, les élites financières insérées dans le réseau cosmopolite de la finance internationale dominant

230 Entretien sous-directeur administration centrale.

231 Pour Bruno Thèret : “ il s’agit de défendre l’idée que le néolibéralisme dans le cas de la France a été un

des facteurs de perte de sens de la traditionnelle distinction gauche/droite et de son remplacement par un éclatement des élites politico-administratives, transversal aux partis gouvernementaux de droite comme de gauche, entre d’un côté, le pôle financier international et, de l’autre, le social local, fracture déstabilisatrice de l’ordre politique national que l’idéologie néo-libérale se révèle incapable de réduire et de plâtrer ”, cf., B. Thèret, “ Rhétorique économique et action politique. Le néolibéralisme comme fracture entre la finance et le social ”, in P. Perrineau (dir.), L’engagement politique. Déclin ou mutation ?, Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sciences politiques, 1994, p. 314.

désormais unilatéralement celles qui restent prioritairement soucieuses du maintien de la cohésion sociale nationale.

Si nous partageons avec ces auteurs le constat de l’affaiblissement de la division entre la droite et la gauche, notamment au sein des sommets administratifs de l’Etat sanitaire et social, nous avons du mal à percevoir en quoi et surtout comment les élites sur lesquelles nous avons effectuées notre recherche s’inscrivent dans les réseaux de la finance internationale. Cela nous paraît être une interprétation un peu rapide. Il est indéniable que la financiarisation des politiques sociales a entraîné des changements sur l’élite de ce secteur (voir notre développement précédent). Elle a plutôt favorisé l’émergence d’une élite du

Welfare qui s’est dotée depuis d’une autonomie politique et qui défend un référentiel

sectoriel peu orienté vers le néolibéralisme (voir le chapitre 3). Dans notre perspective, l’affaiblissement du clivage droite/gauche relève du processus d’autonomisation politique propre à l’élite du secteur. De plus, les affinités qui permettent un dépassement relatif de ce clivage politique proviennent tout autant d’une collaboration professionnelle qui s’établit dans la durée qu’à travers la défense d’une certaine vision du devenir global du système de protection sociale à la française (la continuité dans les politiques). Sur le premier point, certaines trajectoires montrent bien que “ l’étiquette ” politique n’est pas toujours déterminante pour accéder à un poste de direction dans une administration centrale. Ainsi, un ancien directeur des Hôpitaux ayant un sensibilité politique plutôt à gauche raconte la nomination suivante: “ La nomination de P. Gautier comme directeur de l’Action sociale est parfaitement justifiée : énarque, chef de bureau au ministère, il a été chef de cabinet d’un ministre socialiste, je crois, Nicole Questiaux, il a été DDASS deux fois, il a été DRASS, c’est moi qui suis allé le chercher quand j’étais directeur des hôpitaux, je lui ai téléphoné pour lui dire : est-ce que vous ne voulez pas venir à Paris ? Il m’a dit : oh Paris, je n’ai pas envie de revenir. Je l’ai convaincu et je l’ai eu comme chef de service pendant quatre ans à la DH et puis un jour Mme Veil me dit : est-ce que ça vous chagrine beaucoup si je vous l’enlève pour le nommer directeur de l’Action sociale ? J’ai dit : ça me chagrine beaucoup mais c’est une excellente idée. Il réussit parfaitement. Alors que politiquement il est marqué

à gauche, il a une très grosse côte auprès de Jacques Barrot et il aura une très grosse côte auprès de nouveau ministre parce que c’est un pro, il sait de quoi il parle ”232

.

Un autre haut fonctionnaire de la DSS, plutôt à droite, qui travaille actuellement avec un gouvernement de gauche reconnaît : “ Non moi je vois bien les contacts que j’ai avec les actuels conseillers, je n’ai pas l’impression de faire l’objet d’un ostracisme, j’ai une complicité intellectuelle. Les gens qui sont là, les trois conseillers auxquels j’ai affaire sont des gens avec qui je me sens tout à fait en climat de proximité, nonobstant leur engagement plus à gauche. Je pense que j’aurais pu accepter d’entrer dans un cabinet comme celui de M. Rocard ou de C. Evin ”233.

On peut tout d’abord interpréter cette évolution comme une volonté d’exprimer une continuité dans les politiques sectorielles dans laquelle se reconnaît l’élite du Welfare face aux effets répétés de l’alternance. Les rapports de travail que nous avons déjà souligné entre Raoul Briet et Anne -Marie Brocas, tant au sein du Plan que de la DSS, en constitue un bon exemple. De plus, il semble que la “ complicité intellectuelle ” relève surtout d’une pratique et d’une compétence affichées dans le secteur plutôt que d’une proximité partisane partagée. Dans la même logique, un membre de la génération 81 admet aujourd’hui : “ Il se trouve que moi je connais l’ensemble des ministres de la santé depuis 20 ans et que je suis toujours consulté, qu’il soit de droite ou de gauche ”234

. Bien entendu, cela ne veut pas dire que l’on assiste en France à la fin du XX° siècle à l’avènement d’une “ élite du pouvoir ” chère à Wright Mills dont l’originalité résiderait précisément dans la forte autonomie de son personnel politico-administratif à l’égard de tous les intrus de la société et en particulier à l’égard des élites politiques.