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Des indicateurs à l’esquisse d’une définition opérationnelle.

Les logiques d’institutionnalisation d’une elite du Welfare ? William Genieys (CEPEL)

1. Description et identification de l’élite du Welfare.

1.1. Des indicateurs à l’esquisse d’une définition opérationnelle.

La définition de cette population d’élite du Welfare découle de l’analyse de l’échantillon global177. La méthode réputationnelle nous permet de préciser les contours de ce groupe d’élite à partir du croisement de leurs représentations et à partir de la prise en considération de leurs modalités d'intervention sur les décisions prises au cours de la période. Comme la question de la réputation dans le secteur a déjà été préalablement abordée à partir des lieux de socialisation interne et externe ainsi que des réseaux, nous considérerons cela comme un acquis. Dès lors, il s’agit d’appréhender la réputation de ces élites au regard de leur implication dans les politiques du secteur. Autrement dit, il s’agit de comprendre leur légitimité à partir d’une analyse des élites en action. Les entretiens nous ont permis d’évaluer qualitativement la réputation qu’ont les acteurs qui forment notre sous-groupe d’élite dans le secteur. De plus en effectuant une mise à plat quantitative (le comptage de la fréquence de citations de ces acteurs), on peut noter que ces acteurs sont capables de citer en moyenne quatre à cinq personnes avec lesquelles elles ont “ travaillé ” mais aussi de situer dans le même ordre de grandeur les acteurs ayant une réputation dans le secteur des politiques sanitaires et sociales178. Concrètement, un haut fonctionnaire du secteur avance une définition l’élite du Welfare “ comme une communauté assez forte entre les personnes. Un noyau de personnes qui partagent ces principes et ces valeurs. Je pense par exemple à quelqu’un comme Fragonard qui est un grand ancien du social et auquel on a demandé de replonger, de repartir à la CNAM. Bon, je me situe dans la même démarche intellectuelle et administrative. Ce sont des gens qui ont choisi de servir l’Etat et de le faire dans le secteur social pour des raisons qui tiennent à leurs affinités personnelles et à la question de se dire

177 Nous rappelons ici au lecteur les deux temps de notre démarche analytique. D'une part, du point de vue

quantitatif, nous avons précisé les caractéristiques sociologiques majeures de l’ensemble de la population. D'autre part, un traitement qualitatif à été réalisé, sur la base d'entretiens (43 au total) et de la constitution d'un corpus de textes produit par les hauts fonctionnaires faisant partie de notre échantillon (rapports officiels, articles, ouvrages, …).

178 En raison de la nature de notre échantillon d’interviewés, c’est-à-dire une représentativité par période et

par positions, notre estimation oscille autour de un tiers de notre échantillon total comme ayant une réputation dans le secteur.

dans l’Etat, où puis-je être le plus utile ”179

. Il y a dans ces propos deux éléments assez forts permettant de comprendre comment se définit une élite à l’intérieur même d’un secteur de l’activité étatique. Le premier relève de l’idée de l’existence d’une “ communauté assez forte ” entre les individus qui interagissent dans le secteur. Dans ce sens, on perçoit bien les éléments de clôture sociale de ce sous-groupe de hauts fonctionnaires dont la caractéristique majeure est de partager les mêmes principes et les mêmes valeurs. Enfin, l’attachement au groupe s’effectue par le biais d’une référence filiale aux “ grands anciens ”. Rappelons que dans un même sens, un interviewé déclare à propos de son passage à la Ve chambre de la Cour des comptes : “ Il y avait une collection de conseillers maître tous avec des personnalités plus fortes les unes que les autres, qui avaient tous été des grands hommes du social ”180. Par ailleurs, un autre indicateur de l’autonomie de l’élite du Welfare provient de la maîtrise indirecte de son propre recrutement181. Un haut fonctionnaire du secteur mentionne à propos de son intégration dans un cabinet ministériel : “ On cherche quelqu’un de la DSS parce que ça peut faciliter les contacts entre le cabinet et une grande direction, un peu comme cela se fait aux Finances, etc. Ainsi, Jean François Chandelat qui m’a bien connu à l’ACOSS, cite mon nom je crois à Antoine Durrleman à Matignon comme étant dans le vivier des gens à recruter... (en fin d’entretien nous revenons sur la question des interconnaissances)... Elle n’est pas formalisée cette famille. Il n’y a pas une enveloppe qui réunit ces gens là, ils se reconnaissent, ils ont un feeling, ils ont un contact. Tous ça c’est un peu la famille DSS, ça n’exclut ni les divergences politiques, ni éventuellement les inimitiés personnelles, mais c’est un peu quand même ce creuset des hauts fonctionnaires de la protection sociale qui passe forcément par la DSS ”182. Un autre conseiller technique prolonge la réflexion en parlant plutôt de milieu que de communauté, à propos des affinités qu’entretiennent les élites dans le secteur : “ D’ailleurs dans ces milieux-là on se connaît tous plus ou moins, on s’est tous croisés, on s’est tous plus ou moins rencontrés, on lit les

179 D’un point de vue méthodologique, il convient de préciser que la question de l’existence ou de

l’appartenance à une élite du Welfare n’a pas été posée directement aux interviewés. C’est à travers des questions sur les liens personnels, les affinités intellectuelles, la participation à certains lieux de réflexion ou de décision que le sujet a été indirectement abordé.

180 Entretien directeur des Hôpitaux.

181 Rappelons ici qu’un poste dans un cabinet ministériel relève d’une pure logique de cooptation. Il en va de

même pour les directeurs d’administration centrale qui sont nommés en conseil des ministres, avec toutefois la recherche de personne “ consensuelle ” en période de cohabitation.

travaux des uns et des autres, alors il y a une sorte de fond commun ”183. Cela est d’autant plus vrai pour le secteur de la famille où le nombre global de hauts fonctionnaires moins élevé entraîne “ une très grande complicité qui est liée aussi au fait que sur la politique familiale, il y a quand même peu de gens. Je peux vous citer tous les gens qui ont participé à la décision depuis vingt ans ... Et on va en trouver 20 ”184.

Sans entrer dans une logique d’un classement de la réputation qui analytiquement poserait problème, on peut citer des extraits d’interviews mentionnant un nombre restreint d’acteurs : “ c’est un très petit nombre de personnes. Aujourd’hui, Choussat vient de mourir, vous avez Coudreau, Johanet, Briet, Durrleman qui a fait le plan Juppé, Marmot. Voilà ça fait cinq, alors je suis peut-être un peu sévère en disant ça, mais ça ne fait pas beaucoup plus ”185. Dans un registre proche et à propos du rôle de cette élite dans l’institution : “ c’est important le poids des hommes. Dans une administration faible quand vous avez une personnalité éclatante, quand vous avez un Fragonard qui est un garçon fin, quand vous avez un Johanet, un Raoul Briet, bon, et bien ça marche. Il est clair que ce sont des gens qui sortent un peu de l’ordinaire, dont l’autorité dépasse le champ strict de la fonction qui leur est attribuée ”186.

Si l’on rajoute à cela ceux dont la réputation c’est construite dans les institutions de prospective telle que le Plan comme le rappelle “ Briet compte tenu de toutes les réflexions auxquelles il a présidé au Plan est quand même un de ceux qui en connaît le plus sur le sujet, avec A-M Brocas. Mais c’est un tout petit cercle de gens ”187. La méthode réputationnelle telle que l’utilisons permet de dresser les contours fluides et incertains d’un sous-groupe au sein même des élites politico-administratives du secteur sanitaire et social. Certes, la qualification par les acteurs même de communauté au sens strict du terme nous paraît un peu forte. Il s’agit plutôt d’une epistemic community qui s’agrège sur des valeurs

182 Entretien conseiller technique. 183 Entretien conseiller technique. 184 Entretien directeur CNAF. 185 Entretien directeur CNAM. 186 Entretien conseiller technique. 187 Entretien directeur des Hôpitaux.

partagées dans le milieu institutionnalisé du Welfare188. Ces différents constats nous permettent d’avancer une définition opératoire de l’élite sectorielle.

On pourrait alors définir l’élite du Welfare comme un groupe de hauts fonctionnaires qui se caractérise d’abord par une bonne connaissance des enjeux sanitaires et/ou familiaux du fait de leur longévité dans le secteur de la protection sociale. Les acteurs qui la composent sont en règle générale dotés d'une capacité d'expertise qui leur permet d'être à l'origine de projets de politiques, dont on retrouve parfois la traduction dans les différentes mesures adoptées lors de la période. Cette élite a aussi une forte proximité au politique, ce qui ne signifie pas nécessairement une forte politisation mais plutôt le fait qu'ils ont des liens étroits avec des acteurs politiques qui se concrétisent le plus souvent par un (ou plusieurs) passages en cabinet. Enfin, les membres de l’élite sectorielle sont le plus souvent issus d'un grand corps ou “ petit corps ” fortement investi dans le secteur, en particulier la Cour des comptes et l’IGAS, et ont également occupé un (ou plusieurs) postes de direction administrative. C'est pour cela aussi qu'ils sont au cœur de réseaux d'affinité qui se structurent autour de quelques “ leaders ” administratifs, porteurs des projets les plus construits et les plus affirmés, pour agir sur les enjeux sélectionnés. Entre une “ bonne réputation ” et la participation au processus décisionnel, cette élite capte les ressources positionnelles majeures du secteur. La mise en perspective des trajectoires qui les caractérisent en atteste.