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Chapitre 1 - Polyphénols et interactions polyphénol-protéine

5. De la protéomique à la protéomique chimique

5.2. La protéomique chimique

5.2.5. Limitations et évolution de l’ABPP

La méthodologie ABPP est bien adaptée à l’identification des cibles biologiques d’un ligand donné. Néanmoins, certains verrous techniques doivent encore être levés. Un des défis majeurs reste l’enrichissement de protéines ou de peptides en quantités très minoritaires au sein de mélanges complexes. Cet enrichissement, qui en général s'appuie sur la très forte interaction non covalente biotine-(strept)avidine (KD = 10-15 M),183,184 constitue le système le plus utilisé en protéomique. Si cette très forte interaction est un atout indéniable pour isoler et donc enrichir

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la sonde liée à la protéine ou au peptide ciblé, elle pose en revanche un problème lors de la récupération de cette protéine ou de ce peptide pour réaliser son analyse. Cette étape nécessite en effet des conditions drastiques (solution 8 M guanidine.HCl tamponnée à pH = 1.5190,191 ou une solution bouillante de SDS192 par exemple), qui peuvent conduire à une dénaturation des protéines ou des peptides récupérés et à une contamination de l’échantillon final par des monomères de (strept)avidine provenant du support d’affinité.193 De plus, malgré plusieurs lavages préalables, les échantillons récupérés après dénaturation sont très souvent pollués par de nombreuses protéines ou peptides non ciblés ayant des interactions avec la (strept)avidine (protéines nativement biotinylés ou en concentration très importante par exemple).194 La présence de ces différentes protéines ou peptides parasites perturbe l'analyse en masse. Cette contrainte liée à la présence du motif biotine au sein des sondes moléculaires d’affinité a récemment été souligné par Kim et al.,195 mais également par Bai et al.196

Afin de répondre à cette problématique, différentes stratégies peuvent être envisagées, comme par exemple l’utilisation d’analogues de biotine moins affins197,198 ou encore l’emploi de mutants de la (strept)avidine.199–201 Cependant, si l’affinité n’est pas assez importante, il y a un risque de perdre une quantité importante de protéines capturées, lors des séquences de lavage. Une autre alternative consiste à incorporer dans la sonde une fonction clivable située entre la fonction de purification (biotine) et la fonction d’affinité (Figure 22).

Figure 22. Sonde possédant une fonction clivable

Cette stratégie permet, d'une part, de conserver tous les avantages du support d’affinité biotine-(strep)avidine pour l’enrichissement et d'autre part, elle permet de couper sélectivement l’espaceur portant la biotine dans des conditions douces et biocompatibles conduisant uniquement à la libération de la ou des protéines capturées et facilitant de ce fait l’analyse protéomique (Figure 23).202,203

Figure 23. Principe d'utilisation d'une sonde protéomique portant une fonction clivable +

Coupure du lien clivable Capture par les billes de

streptavidine

Protéine cible Sonde protéomique Billes de streptavidine

Protéine cible captée par la sonde activée

Protéine nativement biotinylé Protéine à interactions non spécifiques Protéine nativement biotinylé Protéine à interactions non spécifiques

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Il existe actuellement dans la littérature un grand nombre de liens clivables pouvant être utilisés en protéomique chimique. Ils peuvent généralement être classés en trois groupes selon les stimuli de clivage utilisés : enzymatiques, chimiques ou photochimiques. Parmi tous ces liens, nous présenterons, dans la liste ci-après, quelques exemples non exhaustifs ayant montré des résultats probants (Tableau 1).194,202,204

Entrée Lien clivable Réactif Produits Référence

1 Weerapana et al.205 2 Szychowski et al.194 3 Leriche et al.206 Felicetta et al.207 Szychowski et al.194 4 Szychowski et al.194 5 Park et al.208 Dirksen et al.209 6 Kim et al.195 7 Olejnik et al.210–214 Bai et al.196 Szychowski et al.194 Handwerger et Diamond215 Wang et al.216

Tableau 1. Exemples de liens clivables utilisés en protéomique chimique

Parmi ces différentes stratégies de coupure, l’utilisation de groupements photoclivables de la famille des 2-nitrobenzyles (Figure 24)217–222 s’est avérée particulièrement efficace dans de nombreuses applications en synthèse organique et en biochimie. Initialement décrits par Barltrop et al. dans les années 1960,223 puis développés par Patchornik et al.,224 ces motifs font désormais référence en tant que groupements protecteurs photolabiles. Plusieurs fonctions, telles que les fonctions hydroxyles (alcool, phénol), thiol, acide carboxylique, phosphate, peuvent en effet être protégées par le groupement o-nitrobenzyle (NB, R=H) ou nitrophényléthyle (NPE, R=CH3).220,225 A partir de ces molécules, Cameron et Fréchet ont

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développé des dérivés d'alcool o-nitrobenzylique comme le 2-nitrobenzyloxycarbonyl (NBOC, R=H) et α-méthyl-2-nitrobenzyloxycarbonyl (MeNBOC, R=CH3) notamment pour la protection des amines (Figure 25).226

Figure 25. Structure de NB, NPE, NBOC, MeNBOC et leurs dérivés

Le mécanisme de photolyse des groupements NB ou NPE a récemment été étudié par Wirz et al.227,228 Le processus photochimique primaire consiste en une abstraction intramoléculaire d’un proton par le groupement nitro à l’état excité, suivie de la formation d'un intermédiaire de type aci-nitro (schéma 3). Celui-ci subit un réarrangement conduisant au dérivé nitroso. Dans le cas de composés de type NBOC, le même mécanisme est impliqué et le produit libéré subit une décarboxylation rapide pour donner le composé final déprotégé. La photolyse d’un carbamate de 2-nitrobenzyle permet de récupérer l'amine et simultanément de libérer le dérivé 2-nitrosobenzaldéhyde (R=H) et du dioxyde de carbone. La formation non souhaitée d’imines entre l'amine générée et l'aldéhyde du dérivé nitroso peut être limitée par l'utilisation de substituant alkyle ou aryle (R=CH3, Ph) en position benzylique de l'alcool du 2-nitrobenzyle (Schéma 3).225

Schéma 3. Mécanisme de photolyse de carbamates de 2-nitrobenzyle

Parmi les groupements photoclivables, les dérivés d'alcool 2-nitrobenzyle et en particulier leurs carbamates (Tableau 1, entrée 7) ont largement été utilisés en biologie structurale et en protéomique chimique au cours de ces dernières années. Leurs stabilités dans des conditions oxydo/réductrices et acido/basiques en font des groupes protecteurs de choix. De plus, leur mode de clivage orthogonal par irradiation à une longueur d’onde dans le proche UV à 330-365 nm reste compatible à la fois avec la sauvegarde du matériel biologique mais également vis à vis des supports solides (pas de dégagement de chaleur, profil d'émission étroit).215,217,229 Ce

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type de groupement à structure modulable a par ailleurs déjà montré son efficacité en protéomique chimique pour la détermination de peptides.195,210,211,216,230 Les premiers travaux réalisés dans ce domaine ont été décrits par Senter et al. en 1985.231 Il s'agit de la préparation d’un espaceur comportant un alcool o-nitrobenzylique lié à une toxine et un anticorps. L'irradiation sous UV de cet ensemble moléculaire à basse énergie provoque la libération de la toxine sous forme totalement active.

Depuis 1995, plusieurs sondes possédant un lien photoclivable dérivé du 1-(5-(aminométhyl)-2-nitrophényl)éthanol ont été développées par le groupe de K. J. Rothschild.210–

214 Le groupement hydroxyle sert à installer, via un carbamate, un ester de N-hydroxysuccinimidyl (NHS) comme fonction réactive en vue de fixer spécifiquement ce groupement hydroxyle à des peptides, amines primaires ou des oligonucléotides. Le groupement amino est lui couplé, via un espaceur à chaînes alkyles ou PEG plus ou moins longues, à une biotine. Après les étapes de fixation et d'enrichissement faisant appel à un support solide à base de strep(avidine), les cibles biologiques sont relarguées lors d'une irradiation sous UV à 365 nm (Schéma 4).

Schéma 4. Exemple de sonde développée par le groupe de K. J. Rothschild

Handwerger et Diamond215 mais également Bai et al.196 ont récemment conçu et synthétisé des sondes similaires permettant d’isoler des acides nucléiques, en ajoutant respectivement soit un espaceur biocompatible de type polyéthylènimine, soit un analogue nucléotidique comme fonction réactive.

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