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Interactions des polyphénols avec les protéines

Chapitre 1 - Polyphénols et interactions polyphénol-protéine

3. Interactions des polyphénols avec les protéines

La capacité des polyphénols à interagir avec des protéines de façon spécifique ou non, dépend de leurs caractéristiques structurales ainsi que de leurs propriétés physico-chimiques. Etant donné la grande variété de structures des polyphénols, ces composés constituent de bons candidats pour interagir avec des protéines de manière ciblée. Dans cette partie, nous allons présenter brièvement dans un premier temps les protéines et leurs classifications selon leurs structures et leurs fonctions, ainsi que les interactions polyphénol-protéine. Nous aborderons dans un second temps les méthodes utilisées pour étudier ces interactions polyphénol-protéine en s’attardant plus spécifiquement sur deux techniques utilisées dans nos travaux : la protéomique chimique et la technique SPR.

3.1. Généralité sur les protéines

Le terme protéine vient du grec ancien prôtos qui signifie premier ou essentiel et fait probablement référence au fait que les protéines sont indispensables à la vie et qu'elles constituent souvent la part majoritaire du poids sec des cellules (environ 60%). Les protéines sont des macromolécules caractérisées par un enchaînement d’acides aminés reliés de manière covalente par des liaisons peptidiques. Cette organisation linéaire appelée structure primaire est constituée d’une séquence d'acides aminés (il en existe vingt différents) dont l'assemblage est contrôlé par le code génétique (Figure 15, A). Selon la séquence des résidus constituant cette structure primaire, la protéine peut adopter différentes structures secondaires, les principales étant les hélices α, les feuillets β ou les coudes. La structure secondaire résulte d’un repliement local de la protéine créé par des interactions stériques et électrostatiques et stabilisée par des liaisons hydrogène entre les acides aminés. Il en existe plusieurs variétés, et il est courant qu'une protéine possède globalement plusieurs types de structures secondaires (Figure 15, B). Après une succession de repliements locaux, la protéine subit un repliement à l'échelle de la molécule toute entière qui lui donne sa structure tertiaire et son activité biologique. Ce repliement est stabilisé par tout un ensemble d'interactions conduisant le plus souvent à l'enfouissement des acides aminés hydrophobes de la protéine, la formation d'éventuelles liaisons disulfures (entre

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deux résidus cystéines distantes), d’interactions ioniques, de liaisons hydrogènes (Figure 15, C). Finalement, l’interaction de plusieurs protéines (deux chaînes peptidiques ou plus), appelées dans ce cas sous-unités protéiques, conduit à une structure quaternaire. Cette structure concerne un petit nombre de protéines de grande taille issues de l’agrégation de plus petites. La structure quaternaire de ces super-protéines constituées de sous-unités protéiques incorpore parfois d’autres molécules organiques ou des atomes métalliques (Figure 15, D).69,70

Il existe différents types de représentations tridimensionnelle des protéines (Figure 15), deux d’entre elles parmi les plus fréquentes sont la représentation "diagramme de ruban" (ribbon diagram en anglais) permettant de faire apparaître les structures secondaires des protéines (Figure 15, B-D), et le modèle moléculaire "espace réellement occupé" de Corey-Pauling-Koltun (space-filling model en anglais), nommée d’après le nom de ses inventeurs : Robert Corey, Linus Pauling et Walter Koltun, permettant d’appréhender l’encombrement stérique de la molécule (Figure 15, E).71

A B C D E Structure primaire d'une molécule d'insuline correspondant au squelette carboné des acides aminés.

Structure secondaire présentée en "diagramme de ruban" révélant des arrangements hélices α (rouge), feuillets β (jaune) et coudes (blanc).

Structure tertiaire d'un monomère d'insuline.

Bâtons en jaune : les ponts disulfures reliant

entre eux les deux chaînes polypeptidiques.

Structure quaternaire d'un hexamère d'insuline. Des sphères violettes sont des

ions de zinc. Modèle moléculaire "espace réellement occupé" de Corey-Pauling-Koltun d'un monomère d'insuline.

Figure 15. Quatre niveaux d'organisation de protéines (A-D) et différentes représentations tridimensionnelle de protéines

(Exemplifié par la molécule d'insuline constituée de 2 chaînes polypeptidiques A et B, possédant respectivement 21 et 30 acides aminés, reliées entre elles par 2 ponts disulfures et 1 pont disulfure intra-chaîne dans la chaîne A) Source : images obtenues avec le logiciel Jsmol (http://www.biotopics.co.uk/jsmol/insulin.html#) et Wikipedia

(https://en.wikipedia.org/wiki/Insulin#/media/File:InsulinMonomer.jpg).

Les protéines sont au coeur de quasiment tous les processus biologiques. Individuellement ou associées sous forme de complexes, elles représentent une part essentielle de tout organisme vivant. Les tâches qu'elles réalisent sont basées sur leurs structures et toute

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modification de ces structures ou séquences a une influence importante sur leurs activités biologiques. Trois grands groupes de protéines se distinguent en fonction de leurs structures tertiaires ou quaternaires : les protéines globulaires (protéines compactes), les protéines fibreuses (protéines allongées en forme de tiges) et les protéines membranaires. Presque toutes les protéines globulaires sont solubles et ce sont souvent des enzymes, qui catalysent des réactions biochimiques du métabolisme. Parmi ces protéines enzymatiques, on peut citer par exemple la trypsine, les ligases ou encore les ADN polymérases. Elles permettent aussi de réguler certains processus biologiques comme dans le cas de l’insuline, ou de jouer un rôle de transporteur comme dans le cas de l’hémoglobine et de la myoglobine responsables du transfert d’oxygène dans le sang et les muscles. Sous la forme de fibres ou d'autres associations contractiles, les protéines jouent souvent un rôle structural, à l'instar du tropocollagène, constituant principal des tissus conjonctifs, ou de la kératine, constituant protéique des poils et des ongles. Elles peuvent aussi gérer le mécanisme de nombreux processus de mouvement comme l’actine ou la myosine dans le muscle. Les protéines membranaires sont souvent des récepteurs ou des canaux permettant aux molécules polaires ou électriquement chargées de traverser la membrane. Les protéines ne sont cependant pas des molécules entièrement rigides. Elles sont susceptibles d'adopter plusieurs conformations apparentées en réalisant leurs fonctions biologiques. La transition d'une de ces conformations à une autre est appelée changement conformationnel. En solution, les protéines subissent également de nombreux changements conformationnels en raison de la vibration thermique et de la collision avec d'autres molécules.69

3.2. Interaction polyphénol-protéine

L'élucidation des mécanismes de formation et la nature des interactions polyphénol-protéine n'est pas un sujet d'étude récent. Les premières recherches effectuées sur les interactions entre les protéines et les polyphénols se sont axées sur la compréhension des modes d’association lors de la précipitation des protéines par les polyphénols (système de défense des plantes, propriété d’astringence ou pouvoir tannant). Des études ont aussi été réalisées sur les conséquences de telles associations aux protéines sur les activités biologiques des polyphénols, y compris leur pouvoir antioxydant et leur biodisponibilité. Il en est ressorti que les effets

hydrophobes (empilement ) du cycle phénolique et la stabilisation de ces associations par des liaisons hydrogène des groupements hydroxyles phénoliques sont généralement considérés comme les causes prédominantes de liaison avec les protéines et que la nature et la force des interactions entre polyphénols et protéines dépendent essentiellement de la structure et des propriétés physico-chimiques des polyphénols impliqués.1

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Quelques études ont montré que certaines protéines telles que la F1-ATPase bovine, la kinase B, la caséine kinase 2, le récepteur tumoral laminin, la topoisomérase II ou même l’actine du cytosquelette s’associent de manière sélective voire spécifique à des polyphénols (e.g., resvératrol, picéatannol, quercétine, myricétine, acide ellagique, l’épigallocatéchine-3-gallate (EGCG), vescaline ou vescalagine) avec, dans certains cas, des constantes de dissociation de l’ordre de l’échelle nanomolaire.13,68,72–77