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III. 2A Remplissage d’une plaque multi-puits

IV.3. D Limitation de la méthode

Notre méthode d’évaluation de la diversité au sein d’une métapopulation bactérienne présente quelques limites. En dehors de la difficulté de mesurer précisément la réponse diversifiée des populations, nous notons les existences d’une incertitude sur le stress imposé et d’un biais causé par les échanges entre gouttes.

La forte disparité de ces concentrations pourrait expliquer le plus grand bruit des réponses des populations stressées avec coalescence et nous laisse penser que certaines populations réussissent à croître dans le cas des concentrations supérieures au MIC car certaines gouttes présentent statistiquement une plus faible concentration en antibiotique. En réalité, l’incertitude sur les concentrations n’est pas suffisante pour expliquer la distribution observée, elle va élargir le pic de réponse attendue de manière asymétrique. D’après l’évaluation de la biomasse en fonction de la concentration en gentamicine et de l’inoculum effectué au début de ce chapitre, nous devrions observer un élargissement du pic de réponse vers les valeurs inférieures de signal de fluorescence lorsque le stress est supérieur à 2.0 mg/L. Cette valeur est à peu de chose près la concentration pour laquelle la courbe donnant la biomasse finale en fonction de la concentration en antibiotique s’infléchit, pour un inoculum de 106 bactéries/gouttes (voir la figure IV-4). De même nous devrions observer un élargissement du pic de réponse vers les valeurs supérieures pour un stress inférieur à 2.0mg/L. Non seulement ce phénomène n’est pas observé, mais la disparité des signaux finaux mesurés est sans comparaison avec celle attendue du fait de l’incertitude sur les concentrations.

Compte tenu de notre connaissance des échanges entre populations dans notre système millifluidique, nous pouvons aussi nous demander si ces derniers peuvent avoir biaisé nos résultats. Ces échanges sont trop faibles pour que les populations aient subi un stress suffisant avant coalescence, et ne permettent pas non plus d’affecter significativement la distribution des réponses. Néanmoins, il y a lieu de se demander si les populations présentant une troisième croissance n’auraient pas été contaminées par d’autres populations résistantes. Si une telle possibilité semble très probable dans le cas d’une métapopulation présentant une biomasse globale très importante, cela semble peu probable dans le cas contraire. Or, le nombre de telles populations varie peu avec le stress et donc avec la taille de la métapopulation, c’est pourquoi ces échanges ne nous semblent pas biaiser nos résultats. De plus, nous avons observé que la probabilité de succès pour une colonie de résister à un stress augmente avec sa taille, une contamination correspondant à l’arrivée d’une bactérie résistante seule a donc très peu de chance de former une nouvelle population, à moins de présenter une résistance particulière à l’antibiotique, tout en étant très abondant, ce qui a peu de chances de se produire.

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Nous avons donc voulu chercher une explication à la forte diversification des réponses observées. Le stress physique imposé aux gouttes pour les faire fusionner (une pression de 5 bar pendant 10 minutes) n’affecterait-il pas la résistance des bactéries à la gentamicine ? Nous avons donc cultivé en tube à essai deux échantillons de E. coli Δflu, et avons appliqué une pression de 5 bar sous agitation à l’un d’entre eux. Nous avons ensuite mesuré le MIC de ces échantillons pour la gentamicine sur plaque 96 puits (figure IV-15). Nous avons observé une forme de diversification de la réponse des bactéries à l’antibiotique. Il est clair que la pression impacte le métabolisme des bactéries (à commencer par les bactéries extrêmophiles), mais c’est la première fois que nous constatons ce type de comportement face à la pression. Il est donc possible que la diversité que nous avons observée avec notre protocole de fusion en gouttes soit biaisée par la pression que nous avons imposée.

(a) (b)

Figure IV-15 : Mesure de MIC de deux échantillons d’une culture de E. coli Δflu, l’une ayant été exposée à 5bar de pression.

La mesure du MIC est une méthode par dilution successive sur plaque : les puits des diagonales sont à la même concentration et la concentration gentamicine est divisée par 2 à chaque fois que l’on s’éloigne de 1 puits du puits A1 (en haut à gauche). Les cultures ont été mélangées avec de la résazurine qui reste bleue en cas de non croissance biologique. Les photographies ont été prises 48h après préparation des plaques. Les traits noirs continus représentent la limite entre croissance/non croissance à 24h. Les traits noirs discontinus encadrent les puits présentant une croissance détectée après 24h. Le trait vert sur (b) est identique au trait noir sur (a) pour les comparer. (a) Mesure de MIC sur des bactéries cultivées normalement. (b) Mesure de MIC sur des bactéries ayant subis 10 min de pression à 5 bar. Nous observons que le MIC est augmenté, presque doublé, dans le second cas et que les réponses des bactéries sont moins tranchées que pour la plaque (a). Une diversification apportant une certaine résistance est donc observée.

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IV.4 Conclusion

Malgré cette difficulté à quantifier la probabilité de mutation bénéficiaire en réponse à un stress antibiotique, ces résultats confirment la validité de notre méthode pour faire apparaitre la diversité acquise par une communauté de micro-organismes, mais montrent aussi les comportements de résistance de nos souches aux antibiotiques testés. En déterminant la proportion de populations ne survivant pas au stress, nous pouvons estimer le nombre de mutants apparus dans la métapopulation et ainsi en déduire le taux de « mutation » d’un couple donné bactérie-antibiotique.

Nous avons donc pu établir une méthode permettant de sonder la diversité acquise par une population de bactéries sur un faible nombre de générations. Ce protocole demeure en pratique compliqué à réaliser et peut difficilement être utilisé dans nos expériences de sélection artificielle sur le long terme, d’autant que cette technique présente quelques limitations. Les nombreuses difficultés que nous rencontrons pour effectuer notre sélection avec notre instrument tient à la manière dont nous inoculons un nouveau train de gouttes à partir du précédent, méthode longue et causant de forts échanges entre gouttes et avec le milieu extérieur à la métapopulation.

La limitation principale, liée au bruit sur le stress appliqué, pourrait être relativisée en évaluant goutte à goutte leurs volumes et donc en calculant le stress appliqué. Si la complexification de l’analyse des données permet de mieux interpréter nos résultats, le stress par coalescence de gouttes générées initialement ne permet pas d’imposer un stress unique et d’effectuer robustement une sélection sur les gouttes. L’élaboration d’un nouveau module technologique permettant de résoudre certains de ces problèmes et d’automatiser le processus de sélection artificielle, fera l’objet du dernier chapitre. Ce module permettra de réaliser ces expériences de fluctuation de manière plus robuste qu’en exploitant la coalescence des gouttes, et permettra de tester a posteriori la résistance effective des populations afin de déterminer si leur croissance relève de la mutation, de l’organisation de la population ou du simple artefact.

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Chapitre V

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V Une Nouvelle approche technologique pour l’évolution dirigée

Notre étude de l’évaluation de la diversification nous a confirmé que la taille de nos cultures serait bien adaptée pour faire de la sélection artificielle. Il est clair que la sélection des communautés de micro-organismes est la bonne stratégie pour diriger l’évolution de ces populations. Il n’existe pourtant pas d’outil automatisé qui permette aujourd’hui de le faire, cela relève de défis technologiques très importants. Depuis plus de dix ans, le laboratoire fait progresser sa technologie millifluidique pour lui permettre de faire évoluer des organismes et nous nous en approchons peu à peu, mais, comme nous l’avons vu, nous atteignons les limites de ses performances et il est peut-être temps d’être disruptif.

Le dispositif millifluidique exploité jusqu’à maintenant n’est pas optimal pour cultiver un grand nombre de populations en parallèles en les transférant en séries. Sa principale limitation tient au transfert (et à la sélection) des cultures d’un train de gouttes vers un autre. En effet, le transfert consiste à sortir l’ensemble des gouttes de la machine en les triant sur une plaque multi-puits, à diluer ces cultures et à former un nouveau train à partir des cultures diluées que nous avons sélectionnées, ceci manuellement. Pour un train de 1000 gouttes, ce transfert dure 3h et cette durée sera d’autant plus longue que le train contiendra un nombre important de réacteurs. Enfin, ces opérations sont toutes difficiles à automatiser.

Ce laps de temps est problématique car nous ne maîtrisons pas ce qu’il advient des populations pendant cette durée : les conditions de température, d’évaporation, de croissance, d’exposition à la lumière ainsi que les échanges biologiques ou chimiques, ne sont ni parfaitement contrôlés ni mesurables avec précision pour chaque population. Une pression aléatoire de sélection va donc biaiser le comportement des populations à chaque transfert. Le risque de contamination biologique provenant de l’extérieur est lui aussi critique car un seul individu extérieur peut modifier l’issue de l’évolution de la métapopulation.

Enfin, si nous souhaitons faire évoluer rapidement une métapopulation, nous avons intérêt à maintenir au maximum sa croissance en phase exponentielle. Or, nous souhaitons aussi maintenir une grande taille de bottle necks, ce qui implique un faible facteur de dilution lors du transfert et donc un faible nombre de générations en phase exponentielle. Le temps séparant deux transferts devrait être de l’ordre de ce nombre de générations multiplié par le temps de division. Par exemple, dans le cas d’une dilution par 1000 (ce qui est une dilution assez forte, puisque le bottle neck correspondant pour des gouttes de 10µL serait de 104 bactéries), le temps d’incubation pour que les cultures soient à saturation serait de moins de 4h, dans le cas d’une dilution par 10 (plus doux, avec un bottle neck de 106 bactéries), l’incubation durerait un peu plus d’une heure, et déjà un nouveau transfert devrait être effectué. La durée du transfert est donc une sérieuse limite dans le maintien des populations en phase de croissance exponentielle.

La durée du transfert tient à une approche trop globale que nous avons de la métapopulation : nous sortons toutes les gouttes de l’instrument, puis nous trions toutes les gouttes, nous diluons toutes les gouttes, nous formons toutes les gouttes du nouveau train, et enfin seulement l’incubation de toutes les gouttes est redémarrée. Chaque étape est appliquée à toutes les gouttes, en somme chaque population doit attendre que toutes les autres aient été reproduites pour pouvoir être incubée, ce qui n’est ni optimal ni naturel. L’échelle à laquelle nous cultivons nos communautés est définitivement la bonne pour les sélectionner, mais une rupture technologique est nécessaire. Il faudrait donc aborder la question d’une manière différente. Du point de vue d’une population, le transfert le plus efficace et le plus simple serait de former une nouvelle goutte de milieu, sélectionner un bioréacteur, lui prélever un volume correspondant au bottle neck voulu et l’injecter dans la nouvelle goutte ; cette opération serait répétée jusqu’à ce qu’un nouveau train de gouttes soit formé. C’est en voulant répondre à cette problématique que nous avons finalement abouti à une solution technologique adaptée.

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Ce dernier chapitre présente une méthode de préparation d’échantillons biologiques ou chimiques en gouttes à partir d’autres échantillons en goutte préexistants, et qui est particulièrement adapté à la culture de communautés de bactéries. Le chemin a été long avant d’aboutir à cette solution complète et nous n’en détaillerons que l’aboutissement fructueux, mais qui nous met encore face à de nombreux défis technologiques. Nous introduirons cette méthode sous l’angle particulier de l’évolution dirigée durable de métapopulations en millifluidique. Si nous n’avons pas pu finaliser une expérience de sélection artificielle sur une longue durée pour mener à l’évolution d’une population, nous avons néanmoins abouti à la conception d’un instrument complet, et réalisé avec Ankur Chaurasia, post-doctorant depuis fin 2016 sur ce projet.

Dans un premier temps, nous présenterons le module-cœur de cette technologie. Nous l’intégrerons ensuite dans un instrument complet permettant de cultiver des communautés de bactéries. Enfin nous proposerons quelques modes opératoires utilisant cette technologie.