CHAPITRE II Réactions Multi-électroniques avec Formation et Rupture de Liaisons C-C sur
II.1 Bibliographie
II.1.5 Complexes de lanthanides trivalents à ligands rédox-actifs
II.1.5.5 Ligands base de Schiff
Le caractère rédox-actif des ligands base de Schiff a déjà été démontré dans la chimie des métaux de transition. Les exemples présentés dans cette partie sont les seuls travaux présents dans la littérature concernant l’utilisation de ligands base de Schiff tétra ou tridentate rédox-actif avec des lanthanides et l’uranium. Ils témoignent du fort potentiel que possèdent ces ligands pour la synthèse de complexes de lanthanides riches en électrons. Gambarotta et al. ont étudié la chimie rédox du samarium divalent avec un ligand pyrrolique base de Schiff tétradentate (Figure 27). 121 Le ligand a été modifié subtilement pour modifier substantiellement le comportement rédox des complexes synthétisés. Alors que le ligand avec le pont phénylène diimine permet un transfert électronique du samarium vers le ligand traduit par l’oxydation en samarium trivalent et le couplage réductif du ligand, l’introduction de deux substituants méthyles en positions 3,4 de ce même pont, entraine la dismutation du samarium divalent en samarium trivalent sans réduction du ligand. La modification du pont phénylène en pont éthylène avec protection des fonctions imines entraine un comportement rédox radicalement différent, à savoir la stabilisation du complexe de samarium divalent. Ce travail est le parfait exemple que de très faibles changements
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électroniques ou stériques dans la structure du ligand, peuvent entrainer d’importantes modifications du comportement rédox des complexes.
Figure 27: Chimie rédox du samarium avec un ligand base de Schiff tétradentate pyrrole. 121
Gambarotta et al. ont également synthétisé le complexe dinucléaire de Sm(III) [Sm2(bis- tBu
salophen)] par réaction du sel de tBusalophen sodium avec un précurseur de Sm(II) dans un ratio 1:1 (Figure 28). 158 Cette réaction met en évidence un transfert électronique du samarium divalent vers le ligand pour permettre la formation d’une liaison C-C intermoléculaire qui conduit à la synthèse du ligand octadentate hexaanionique bis-
tBu
salophen6-. Le complexe [Sm2(bis-tBusalophen)] peut également être synthétisé par
réduction du complexe [SmCl(tBusalophen)(Et2O)] par un excès de lithium. Les auteurs
affirment que le complexe [Sm2(bis-tBusalophen)] ne peut plus être réduit malgré la présence
de deux fonctions imines encore intactes. D’après cette étude, le ligand tBusalophen n’est pas capable de stabiliser le Sm(II).
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Figure 28: Réduction et formation de la liaison C-C sur le ligand tBusalophen coordiné au samarium. 158
La chimie de coordination de l’uranium est un sujet très vaste puisque cet élément présente un nombre élevé de degrés d’oxydation accessibles. Alors qu’il est stable en solution aqueuse au degré d’oxydation +VI, seul des conditions anhydres et anaérobiques permettent de synthétiser des espèces stables contenant des atomes d’uranium au degré d’oxydation +V, +IV et +III, les complexes d’U(V) et d’U(III) étant extrêmement réactifs. Au laboratoire le complexe dinucléaire d’U(IV) [U2(cyclo-salophen)] a été synthétisé par réaction du sel de
ligand salophen potassium avec un précurseur d’U(III) dans un ration 1:1 (Figure 29). 159 Cette réaction nécessite l’introduction d’un électron supplémentaire dans le système afin de former le ligand cyclo-salophen qui n’avait pas pu être obtenu dans le cas du système au samarium. Le ligand macrocyclique octadentate octaanionique cyclosalophen8- est formé par couplage des deux fonctions imines restantes. Les quatre électrons stockés au sein des deux
liaisons C-C peuvent être restitués par clivage des liaisons C-C pour réduire quatre équivalents de triflate d’argent.
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Conjointement, la réduction d’un mélange de sel de salophen potassium avec un précurseur d’U(IV) dans un ratio 2:1 a permis la synthèse du complexe mononucléaire d’U(IV) Na2[U(bis-
salophen)] (Figure 30). 159 Dans ces deux exemples, le degré d’oxydation de l’uranium est toujours +IV ce qui prouve que le ligand salophen n’est pas capable de stabiliser l’U(III). Le complexe Na2[U(bis-salophen)] présente une réactivité similaire et est capable de restituer
les deux électrons stockés dans la liaison C-C pour réduire deux équivalents de triflate d’argent ou un équivalent de 9,10-phénantrènequinone en diolate correspondant.
Figure 30: Synthèse et réactivité rédox du complexe [U(salophen)2]. 159
Le ligand anionique (tBuPhquinolen)- est le seul exemple de ligand rédox-actif de type base de Schiff tridentate utilisé avec les lanthanides. Il est composé d’une partie phénol avec des substituants tert-butyles et d’une partie quinoléine. La réaction de deux équivalents de sel de sodium NatBuPhquinolen avec le précurseur de Sm(III) [SmCl3(THF)n] permet de
synthétiser le complexe hétéroleptique [Sm(tBuPhquinolen)2Cl]. En présence de deux
équivalents de sodium, ce complexe est réduit en complexe Na2[Sm(bis-tBuPhquinolen)3] où
le ligand pentaanionique (bis-tBuPhquinolen)3)5-est formé par couplage Cimine-Cimine et Cimine-
Cquinoléine de trois ligands (Figure 31). 160 Le complexe Na2[Sm(bis-tBuPhquinolen)3] a été
caractérisé par DRX, IR et analyse élémentaire et peut être isolé avec un rendement de 42%. La formation inattendue de la liaison Cimine-Cquinoléine entre le carbone de la fonction imine et
l’atome de carbone en position 2 de la quinoléine résulte d’un réarrangement déjà observé dans ce type de complexes. 161, 162 Une autre conséquence de ce réarrangement est la migration du proton initialement en position 2 de la quinoléine vers la fonction basique amidure. Bien que l’activation de liaison C-H par des complexes organométalliques de
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lanthanides divalents soit déjà reportée 163, 164 106, 165166, ce genre de réactivité est très peu documentée concernant les complexes de lanthanides à ligands N,O coordinants.
Figure 31: Réduction du complexe [Sm(tBuPhquinolen)2Cl] en complexe Na2[Sm(bis-tBuPhquinolen)3]. 160
Le ligand (tBuPhquinolen)- a inspiré les membres du laboratoire pour concevoir un ligand plus robuste. Ainsi, la position 2 de la quinoléine a été protégée par un groupement méthyle pour empêcher l’activation de la liaison C-H et prévenir le couplage Cimine-Cquinoléine inhérent à ce
type de ligand. 161, 162 Par la même occasion, la partie tBuphénol a été modifiée en naphtol pour accroître l’aromaticité du ligand, ce que nous pensons être un critère clé pour conserver le caractère rédox-actif d’un ligand base de Schiff. Ce nouveau ligand (Menaphtquinolen)- a ensuite été utilisé pour synthétiser un complexe d’uranium à ligand rédox-actif. Cette étude a été effectuée parallèlement aux travaux présentés dans cette partie et a été publiée par le laboratoire en 2013. 167 Il est présenté ici car particulièrement pertinent pour comprendre notre étude. Les complexes d’U(IV) [U(Menaphtquinolen)2Cl2] ou
[U(Menaphtquinolen)2I2] sont synthétisés par complexation de deux équivalents du sel de
potassium KMenaphtquinolen avec un équivalent de précurseur d’U(IV). Par la suite, ces deux complexes peuvent être réduits pour fournir le même complexe dimérique d’U(IV) à ligand réduit [U(µ-bis-Menaphtquinolen)]2 (Figure 32).
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Figure 32: Synthèse du complexe dimérique [U(µ-bis-Menaphtquinolen)]2. 167
La mesure du coefficient de diffusion et l’analyse du comportement du complexe U(µ-bis-
Menaphtquinolen)]
2 dans différents solvants a permis de déterminer que celui-ci conserve sa
nature dimérique dans les solvants non coordinants comme le toluène mais se transforme lentement et partiellement en composé monomérique [U(bis-Menaphtquinolen)] dans les solvants coordinants comme le THF et la pyridine (Figure 33). 167 Cet équilibre est réversible puisque le complexe dimérique [U(µ-bis-Menaphtquinolen)]2 peut être réobtenu pur si un
mélange dimère/monomère est remis en solution dans le toluène.
Figure 33: Equilibre de dimérisation du complexe [U(bis-Menaphtquinolen)L2] dans la pyridine et le THF. 167
Le complexe dimérique [U(µ-bis-Menaphtquinolen)]2 présente une réactivité rédox riche. Les
quatre électrons des deux liaisons C-C sont disponibles pour réduire deux équivalents de diiode en reformant deux équivalents du complexe original d’U(IV) [U(Menaphtquinolen)2I2].
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former deux équivalents du complexe d’U(IV) [U(Menaphtquinolen)2(9,10-
phénanthrènediol)]. De manière très intéressante, ces électrons peuvent aussi être utilisés en coopération avec des électrons stockés sur le métal lors de la réduction de deux équivalents d’oxygène moléculaire pour former deux équivalents du complexe d’U(VI) oxo [UO2(Menaphtquinolen)2], ce qui équivaut à un transfert de quatre électrons par atome
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