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- Des individus-acteurs qui permettent la réalisation des initiatives

Notre premier exemple concerne des initiatives se rattachant à l’action d’une communauté de communes (31% des initiatives relatives à l’action publique). Certains acteurs disposent d’un tel ancrage dans le territoire qu’ils permettent une appropriation particulière des projets. Dans notre exemple, le technicien du service de développement agricole connaît bien les lieux (il y vit depuis plusieurs années), ses habitants et il est surtout bien connu des agriculteurs : cela lui permet d’organiser de nombreuses initiatives, d’après un acteur extérieur au territoire.

Les services de la chambre d’agriculture l’ont bien compris et « passent par lui » quand il s’agit de mener une initiative sur le territoire. A un tel point que le conseiller désigné de la chambre d’agriculture sur ce territoire ne cherche pas à faire doublon, et laisse souvent la place au technicien de la communauté de communes (ou le consulte avant de lancer une initiative), qui connaît mieux les lieux par sa longévité et son ancrage au sein du territoire. Ce technicien porte ou soutient de nombreuses initiatives sociales et solidaires en lien avec le milieu agricole local : pratiques d’animations avec des fêtes rurales traditionnelles, pratiques de sociabilités avec des actions pour favoriser la rencontre entre agriculteurs, pratiques de solidarités en œuvrant à la consolidation locale des CUMA. Il soutient également une association de réinsertion qui œuvre à la préservation de l’environnement dans le canton (plantation de fascines).

Un second exemple est celui d’une agricultrice qui est à la tête d’une entreprise de travaux agricoles. Elle représente les agriculteurs dans de nombreuses organismes : la chambre d’agriculture, le syndicat agricole, la communauté de communes. Elle porte notamment (avec d’autres, même si elle reste la principale personne porteuse des pratiques) une initiative sociale et solidaire développant des pratiques de réinsertion en réponse au chômage local et au manque de main d’œuvre qualifiée auquel se confrontent les agriculteurs : c’est ainsi qu’elle est présidente d’un groupement d’employeurs de qualification et de réinsertion.

« Elle fait partie des gens qui se bougent pour Bapaume. Comme sa mère avant elle… Elle fait partie de ces gens qui n’ont pas peur de monter sur le clocher de l’église avec leur drapeau pour crier haut et fort ce qu’ils pensent »

Entretien avec un commerçant, 11/05/2015, Bapaume L’extrait met en évidence des caractéristiques personnelles et familiales : le fait de « se bouger », les liens de filiation suggérant une reproduction d’un modèle familial, et le caractère de quelqu’un qui n’a pas peur de dire ce qu’elle pense. Malgré quelques tensions ou désaccords occasionnels, les acteurs institutionnels du territoire reconnaissent aussi la place particulière de l’agricultrice.

Amélie Lefebvre Chapitre 4 « C’est l’intercommunalité qui en est à l’initiative, elle l’oublie un peu. Mais je la remercie quand même, car si elle n’avait pas été là, ça n’aurait pas marché. »

Entretien avec une élue, 11/05/2015, Biefvillers les Bapaume Il est intéressant de remarquer les liens presque indissociables entre ces individus remarqués et les initiatives qu’ils portent. Car c’est ce qui nous intéresse ici : certaines initiatives – peut-être les plus osées, les plus complexes ? – n’auraient pas pu exister sans ces acteurs particuliers.

- La place particulière des habitants historiques

Enfin, pour conclure ce point, relevons des personnalités qui nous ont été citées au sein de l’enquête de terrain pour leur historicité vis-à-vis des lieux et la place particulière qu’ils prenaient sur cette question des socio systèmes locaux. Nous avons identifié 22 personnes remarquées au sein de notre enquête, qui peuvent prendre plusieurs initiatives sociales et solidaires différentes. Ces 22 individus prennent des initiatives sans en être toujours les exclusifs porteurs : ils peuvent s’inscrire dans des collectifs ou dans des partenariats.

Nous avons choisi deux exemples pour illustrer ce point.

- Une association de réinsertion était sur le point de fermer ses portes quand « un gars du coin est revenu sur le territoire et a pris les choses en main » (entretien, 16/03/2015, Hucqueliers). Au moment de l’entretien, l’association (qui a vu le jour suite au constat des difficultés à trouver un emploi en milieu rural, avec des situations d’exclusion et de marginalisation) avait su se développer et créer de nouvelles antennes. Au cours de l’entretien, était souligné le fait que celui qui avait fait changer les choses était « un gars du coin », comme si le fait de connaître (et d’être connu ?) conférait un avantage supplémentaire.

- Un atelier a été organisé autour d’une personne âgée, Gisèle Houriez, qui est une figure locale dans sa commune. L’idée est de conserver les savoirs et les poèmes écrits par cette personne grâce à la mise en place d’un journal disponible dans les bibliothèques de la communauté de communes. Et c’est grâce à une autre initiative que les talents de cette personne âgée ont été révélés ; un service de lecture à domicile a été mis en place par une jeune personne en contrat d’avenir. C’est Laura, la personne en charge de ces lectures, qui a trouvé le contact de la personne âgée, ne pouvant plus se déplacer. Dans ce cas, les initiatives sociales et solidaires sont également un moyen de révéler des personnalités locales et de les associer à d’autres initiatives : elles mettent en lumière les individus et les transforment en acteurs des territoires. Elles sont également un moyen de mieux vivre pour ces personnes âgées : le poème présenté ci-après (Encadré 2) en témoigne.

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Encadré 2 : Poème de Gisèle Hourriez Macarez

A l’abri des regards, c’est un endroit charmant Où l’on vient oublier, l’espace d’un instant, L’ennui, la solitude, et même le chagrin, C’est un lieu de détente qu’est le club de Vertain

Rencontres amicales pour nous les retraités, Où belotes et scrabble restent jeux animés ; Lectures attentives, simples conversations, Ces jeudis de rencontres, à chacun sa façon ! A l’heure de la pause : dégustation café, Et d’un petit gâteau, toujours très apprécié ;

Puis reprise des jeux, l’entracte est abrégé Offrant nouvelle chance aux perdants éplorés. Et jusqu’à dix-huit heures, défaites et victoires Se mêlent à nos rires, nos futiles histoires … C’est avec nostalgie que nous nous séparons. La quinzaine prochaine, nous nous retrouverons

Pour savourer encore, et durant quelques heures

Ces instants de la vie que l’on nomme « BONHEURS » …

Source : http://www.vertain.fr/spip.php?article63 Pour contrebalancer cette idée, notons qu’il n’y a pas que les habitants historiques des lieux qui sont porteurs d’initiatives sociales et solidaires fructueuses et appropriées. Pour le démontrer, citons l’exemple d’une habitante arrivée en 1995 sur le territoire, originaire du Sud de la France. Très impliquée dans le milieu associatif, elle a été à l’origine de la relance du foyer rural dans sa commune, des initiatives pour la bibliothèque, etc. Elle fait partie des individus investis localement, qui cherchent à faire de l’animation et créer des lieux de rencontres pour pallier aux nombreuses fermetures de cafés, des boulangeries… De fait, le fait « d’être du coin » (c’est-à-dire d’être né au sein du territoire) n’est pas une caractéristique indispensable à la mise en place d’initiatives sociales et solidaires.

C

ONCLUSION

:

DES INITIATIVES QUI EVOLUENT PAR LEURS PORTEURS

Les initiatives sociales et solidaires sont nées d’individus qui identifient des besoins, des problématiques ou des manques. Ainsi, elles se positionnent en parallèle des circuits classiques. Par ce positionnement, elles comblent ce qui n’est pas pris en charge par les procédures conventionnelles. Les porteurs mobilisent leurs vécus, et prennent des initiatives principalement dans un cadre privé, en collectif (majoritairement) ou de manière individuelle. Les initiatives présentent une belle persistance dans le temps. Enfin, elles mobilisent autour d’elles des individus, qui prennent part aux initiatives : voyons maintenant comment ces participants s’y trouvent investis.

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4.3.

LES PARTICIPANTS : DES INDIVIDUS QUI DEVIENNENT ACTEURS

Après avoir montré l’importance du vécu et des porteurs des initiatives sociales et solidaires, moteurs de leur impulsion, voyons maintenant qui prend part aux initiatives et comment la participation des individus à ces initiatives les transforme.

Nous traitons ici des individus qui prennent part aux initiatives en tant que participants. Nous nous attacherons à l’étude des porteurs des initiatives, qui sont au cœur de l’action, dans le point suivant.

4.3.1.C

ARACTERISER UNE DIVERSITE DE PARTICIPANTS

Ce point nous permet un premier panorama sur la participation des individus.

4.3.1.1.

D

E NOMBREUX INDIVIDUS CIBLES PAR LES INITIATIVES SOCIALES ET SOLIDAIRES

Individus ciblés Somme Part du total

Une tranche d’âge

Enfants et jeunes 36

24%

Personnes âgées + jeunes 4

Personnes âgées 26

Un état difficile Personnes en difficultés 26 9%

Un public très ciblé Passionnés 16 17%

Professionnels 30

Participation ouverte Tout public 36 13%

Public de proximité Habitants 103 37%

Total 277 initiatives

Tableau 47 : Les populations cibles des initiatives sociales et solidaires

Le Tableau 47 présente le panorama des individus ciblés par les initiatives. Nous remarquons d’emblée la part importante du public de proximité, à travers la mention des « habitants » : 37%. De plus, à travers la catégorie « tout public » (recouvrant 13% du total) sont aussi désignés les habitants, qui n’habitent pas l’espace mais qui pourraient être intéressés par les initiatives. Ces deux catégories recouvrent 50% du total : nous pouvons ainsi dire que la moitié des initiatives ciblent de manière ouverte tous les individus, avec une attention particulière pour un public de proximité.

L’autre moitié du recensement s’attache à une population ciblée et concerne principalement des pratiques destinées à une tranche d’âge particulière (jeunesse ou personnes âgées, pour 24%). Le reste se répartit entre attention aux personnes en difficultés (9%) et un public particulier de passionnés ou de professionnels (17%).

Il faut cependant noter que nous n’avons pris en compte dans notre tableau 24 que la cible principale des initiatives. En effet, une seule initiative peut cibler une diversité d’individus. Nous illustrerons ce fait par plusieurs exemples. La place qu’une école accorde aux divers individus prenant part à la vie scolaire et extrascolaire (salariés, scolaires, parents, etc.) la qualifie comme initiative sociale et solidaire. On distingue ainsi des pratiques de sociabilité à travers l’ambiance familiale qui y est

Amélie Lefebvre Chapitre 4 cultivée, des pratiques qui vont au-delà de sa mission d’éducation des enfants. Son directeur se voit ainsi à la tête d’un pôle de vie, de lien social et justifie d’une place de proximité particulière. .Les élèves ressentent également la particularité d’une grande école où tout le monde se connaît (dans un fort esprit de soutien dans les difficultés, avec l’exemple du décès par accident de deux élèves qui a occasionné des rassemblements de tout l’établissement en leur mémoire) et où les projets entre élèves favorisant le « faire ensemble » sont accompagnés par l’établissement (exemple d’un groupe de musique).

Enfin, on distingue également un accompagnement des familles en difficultés à travers des pratiques de solidarité, par des aides pour partir en voyage par exemple (cf. encadré ci-dessous).

« Nous avons 2900 élèves, nous sommes un pôle de vie, de lien social.

Il y a 125 employés au sein de l’établissement, tous les repas sont fabriqués sur place (et c’est devenu rare). 80 % des départs de ces salariés sont des départs à la retraite. L’institution est un employeur très important sur le secteur.

Les liens que nous entretenons se font principalement avec les familles, nous travaillons avec elles. Il est important d’être sur le terrain avec les familles, notamment les familles en difficulté. Ça prend la forme par exemple d’une mise à disposition de salle pour que les enfants puissent manger le midi (ceux qui ne vont pas/ne peuvent pas bénéficier du restaurant scolaire). De même, nous mettons en place des aides aux voyages pour des élèves qui ne peuvent pas payer. »

Entretien avec un chef d’établissement, 16/09/2014, Beaucamps Ligny Les actions d’une communauté de communes sont un autre exemple où l’initiative peut être vue comme un moyen de toucher une diversité d’individus.

« Nous travaillons avec l’ensemble des habitants. Par exemple, l’artiste Dominique Sigaud a travaillé sur le ressenti des habitants, elle a été aiguillée par les chefs de pôle de la communauté de communes. Elle a travaillé spécifiquement avec les différents services de l’intercommunalité, avec les bénéficiaires du RSA, avec les CCAS des communes, avec les restos du cœur, avec les crèches, les accueils de loisirs. C’est un projet transversal avec différents publics. »

Entretien, technicien de la communauté de communes, 27/08/2014, Solesmes Prenons l’exemple du dispositif sécuritaire « voisins vigilants ». Au-delà de son objectif principal de sécurisation des habitations en l’absence de leur propriétaire, la mairie l’a utilisé comme moyen de contact avec les populations fragiles : « Nous essayons d’avoir un lien dans chaque rue avec les personnes en difficultés » (Entretien, conseiller municipal, 02/07/2014, Beaucamps Ligny). Derrière le

Amélie Lefebvre Chapitre 4 dispositif sécuritaire peut donc poindre une initiative sociale et solidaire visant à développer un lien avec les individus en fragilité.

4.3.1.2.C

ARACTERISER LES POPULATIONS CIBLES PAR LES PRATIQUES

Nous souhaitons observer d’éventuelles corrélations entre les populations ciblées par les initiatives sociales et solidaires et les pratiques qui sont mises en place au sein des initiatives.

Tableau 48 : Caractérisation des catégories de populations ciblées par les pratiques

Le Tableau 48 nous donne les pratiques des initiatives par catégorie de population52. Nous remarquons que les initiatives s’intéressant aux personnes âgées développent des pratiques de sociabilités ou de solidarités. Les initiatives qui s’intéressent aux enfants ou jeunes le font à 47% par des actions d’animations ou des fêtes.

Les initiatives qui se rapportent aux personnes en difficultés développent principalement des pratiques de solidarité (96%, un résultat cohérent et qui confirme nos analyses). Les initiatives à destination des passionnés développent majoritairement des pratiques générées par une spécificité du lieu (63%). Les initiatives ciblant des professionnels développent des pratiques de solidarité (70%) : citons les groupements de partage de matériel agricole pour illustrer ce résultat.

Enfin, les initiatives qui s’intéressent aux habitants développent à 40% des fêtes ou des animations, et à 32% des pratiques générées par des spécificités du lieu. Les initiatives s’adressant à un large public sont relatives à des pratiques de sociabilités à 53% et des festivités et animation à 22%.

52 c’est uniquement en ce sens qu’il faut lire ce tableau, il ne reflète pas la répartition des populations cibles par pratique.

Population cible Pratiques Enfants et jeunes Personnes âgées Personnes âgées + jeunes Personnes

en difficultés Passionnés Professionnels Habitants Tout public Total Pratiques ayant à cœur le développement de sociabilités territoriales 25% 62% 75% 4% 25% 13% 24% 53% 29% Pratiques relevant de l’animation territoriale 47% 4% - - 4% 7% 40% 22% 25% Pratiques relevant d’une solidarité territoriale 14% 35% 25% 96% 13% 70% 4% 11% 26% Pratiques générées par une

spécificité du lieu 14% - - - 63% 10% 32% 14% 20%