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TRAJECTOIRES INDIVIDUELLES

1.2.3. L A CARACTERISATION DE SOLIDARITES SOCIALES DE PROXIMITE

Viviane Châtel rapporte les propos de David Couzens Hoy, professeur émérite de philosophie, qui s’interroge sur l’écart de niveau de vie entre nations riches et pauvres, et conclut par cette phrase : « La solidarité, si la notion doit avoir quelque contenu, devrait commencer par être de proximité. » (Couzens Hoy D. dans Châtel 2001). Introduire cette notion de proximité nous permet de préciser les caractéristiques des initiatives étudiées. Nous l’avons vu, les initiatives sociales et solidaires s’inscrivent d’abord à une échelle locale. Pour aller plus loin, les solidarités sociales telles que nous les entendons se caractérisent par un rapport spécifique à l’espace : nous les qualifierons de solidarités sociales de proximité.

Rappelons tout d’abord que la notion de proximité est triple (Pecqueur and Zimmermann 2004) : - Spatiale ou géographique ;

- Organisationnelle (idée de la complémentarité) ; - Institutionnelle (principes et valeurs communs).

Les proximités organisationnelle et institutionnelle composent la proximité sociale. L’ensemble de ces différentes proximités géographiques et sociales constitue la proximité territoriale, « celles qui se mobilisent autour d’atouts et de potentialités dans un territoire » (Glon and Pecqueur 2016). Cette grille d’analyse nous permet d’explorer et d’identifier comment la proximité est à l’œuvre au sein des initiatives sociales et solidaires.

1.2.3.1.D

ES SOLIDARITES DE PROXIMITE SPATIALE

Ce premier point rejoint des éléments déjà évoqués concernant le territoire et l’échelle locale. Les rapports de proximité se caractérisent de prime abord par l’espace, cela rejoint le fait d’être au plus près des personnes, de l’endroit où elles vivent. La proximité spatiale a de ce fait un lien avec la notion d’accessibilité : il n’est pas seulement une question de distance, mais aussi de temps (de parcours), de moyen financier, etc.

Amélie Lefebvre Chapitre 1 L’étude s’intéresse aux personnes dans leur quotidien : leurs lieux de vie, les moments où ils vont acheter leur pain, fréquentent des associations, et donc interagissent, apprennent à se connaître, à se parler, à se sentir concernés par ce qui les entourent. Être proche spatialement sans se sentir (nécessairement) proche socialement peut amener des coopérations et des solidarités, à des niveaux élémentaires : les initiatives qui en résultent pourront rester basiques (par exemple, faire les courses de son voisin âgé).

Cependant, si elle a son importance, la proximité spatiale ne saurait constituer en elle-même l’unique caractéristique des initiatives sociales et solidaires, ne suffisant pas à générer des solidarités sociales. Au sein des analyses des relations de voisinage en milieu rural, l’hypothèse est soulignée d’un voisinage devenu espace de repos social, soulignant que « la proximité recherchée des agriculteurs par des « gens venus d’ailleurs », ainsi que la diversité sociale déclarée par l’ensemble des enquêtés témoignent d’une dynamique de voisinage qui ne ressemble pas à une dynamique de l’entre-soi » (Banos et al., 2009).

En revanche, d’autres exemples témoignent d’une proximité spatiale recherchée et activée par des individus pour créer des sociabilités. Nous concevons la proximité comme une dynamique de reformation de liens permettant de faire société. Ainsi, l’activation de la proximité en guise de différenciation est une réponse à la globalisation, face à un système dominant qui a besoin de retrouver de la territorialité. Les personnes deviennent proches parce qu’ils partagent quelque chose et qu’ils le construisent. On retrouve cette logique dans des AMAP ou des dynamiques de labellisation : dans ce cas, la proximité spatiale est génératrice de dynamiques collectives et permet de la coordination et la création de modes d’organisations spécifiques (Poulot 2014).

1.2.3.2.D

ES SOLIDARITES DE PROXIMITE SOCIALE

Les initiatives sociales et solidaires créent de la complémentarité. Les individus s’auto-organisent en créant des initiatives sociales et solidaires, en réponse à un manque ou à un besoin. Les cercles de sociabilités entrent dans la constitution des proximités organisées. « Mettre en œuvre de la participation, chercher des techniques qui favorisent la participation, c’est entreprendre une action volontariste de création de proximité » (Torre and Filippi 2005). Les initiatives sociales et solidaires participent à ce titre au tissage des sociabilités locales. La proximité matérielle ne serait qu’une dimension de la localité, au même titre que la volonté d’appartenir à un collectif et l’attachement au cadre de vie. Ces réflexions font sens car elles amènent à considérer la localité comme lieu de sociabilités. La participation aux réseaux d’interconnaissance transforme l’appartenance à la localité en appartenance collective.

Enfin, les initiatives sociales et solidaires pourraient également participer d’une proximité dite « institutionnelle », qui va dans le sens d’un développement de valeurs communes : la participation à une même initiative permet de développer une forme de culture partagée. Cependant, il est intéressant

Amélie Lefebvre Chapitre 1 de noter que cette culture peut rester restreinte : par exemple, des échanges entre voisins autour du jardinage peuvent créer une communauté sociale sur la question, mais n’empêche pas la persistance de nombreux points de divergence (modes de vie, opinions politiques, etc.). En se positionnant au sein ou entre les groupes sociaux, les initiatives participent au renforcement des sociabilités locales et concourent au renforcement des liens à l’espace, à l’ancrage des individus dans leur territoire, qui permet la naissance d’objectifs communs : la proximité avive le sentiment d’appartenance (Roux 2011).

Ainsi, grâce à ces proximités combinées au sein des initiatives sociales et solidaires, ces dernières participent du territoire. Sur ce point, André Torre et Jean Eudes Beuret interrogent sur les liens entre proximités et territoire : « Quelles frontières fragmentent les territoires et bloquent l’émergence des Proximités16 nécessaires à la gouvernance ? » (Torre and Beuret 2012). Ils posent également la

question d’une possible défragmentation des territoires pour permettre « l’émergence de Proximités nouvelles ». Ils notent que « l’intervention conjointe des Proximités […] contribue à l’émergence d’un territoire » (ibid.). Ces proximités territoriales mobilisent des formes de coordination entre acteurs permettant la résolution de problèmes communs (Glon and Pecqueur 2016). Ainsi, un territoire est en constante construction grâce aux proximités.

Ce deuxième temps du chapitre 1 nous a permis de poser d’identifier la place des initiatives sociales et solidaires au sein des territoires comme sociabilités de proximité. Ces éléments posés nous permettent de caractériser ces initiatives au sein d’un maillage.

Amélie Lefebvre Chapitre 1

1.3.

DES INITIATIVES DE PROXIMITE ANCREES DANS LES

TERRITOIRES

Les initiatives sociales et solidaires coexistent sur les territoires avec d’autres, et notamment les institutions en place. Nous avons pu poser les caractéristiques des initiatives et leurs rapports à la proximité, il s’agit maintenant de les considérer dans un espace en mouvement. Explorons ici la notion de maillage à travers la progression suivante : les initiatives sociales et solidaires permettent aux individus de s’approprier le territoire. Ainsi, nous pourrons conclure sur la notion de maillage et annoncer notre première hypothèse : la consubstantialité des initiatives au territoire.