• Aucun résultat trouvé

En conclusion, des initiatives qui développent des relations de proximité

4.2.1. I MPULSION A LA GENESE DES INITIATIVES

4.2.1.1. U NE CONVERGENCE DE BESOINS , VECUS ET INDIVIDUS

L’enquête de terrain fait émerger divers mobiles que nous allons présenter et qui ont donné naissance aux initiatives sociales et solidaires. L’analyse de ces « raisons d’être » met en évidence l’appui sur trois éléments : des individus, leurs vécus et des besoins. Il s’agit de besoins dont les individus sentent qu’ils sont essentiels mais qui ne trouvent pas de réponse dans la sphère conventionnelle poussant des individus à tenter d’y répondre eux-mêmes par des voies spécifiques et peu explorées.

Graphique 6 : Les moteurs de l’impulsion à la base des initiatives sociales et solidaires

Nous analyserons nos données en fonction du Graphique 6 ci-dessus. Il nous permet d’identifier plusieurs cas : les cas où les trois pôles sont présents, et les cas où l’un des pôles manque51. Nous avons ainsi choisi d’analyser notre panel 116 initiatives en décortiquant les données (initialement organisées en deux axes : mobiles et individus) suivant ces trois axes : individus, vécus, besoins. L’identification d’un individu à la base de l’initiative a été possible dans 47 cas (soit 41% du panel). Nous nous étudierons en profondeur les besoins et vécus, qui questionnent nos résultats.

Rappelons ici qu’un individu évolue toujours en société. Nous prendrons ces individus en compte par rapport au social c’est-à-dire par rapport aux groupes et non en tant qu’entité isolée agissant seule en dehors du social.

- La formulation d’un besoin spécifique

L’enquête de terrain nous a permis d’identifier les besoins, attentes ou problématiques qui ont poussé à la création des initiatives. Ce besoin, rappelons-le, n’a pas trouvé de réponses dans les procédures classiques et a conduit à la prise d’initiatives.

51 il arrive que ce manque soit du à un oubli : c’est le cas d’une ressourcerie, où son gérant identifie sa créatrice (une

religieuse), mais pas ce qui l’a poussée à créer l’association de réinsertion

Individus

Besoins Vécus

Amélie Lefebvre Chapitre 4

Besoin identifié Somme

Face à une problématique de long terme à laquelle fait face l’espace en question 25

Vis-à-vis d’un manque identifié par les individus 10

En réaction à un événement spécifique à un temps donné 7

Désir individuel ou collectif, envie de faire quelque chose qui n’a pas encore été fait 17

Non communiqué (oubli ou pas d’informations des individus à ce sujet) 57

Total 116

Tableau 37 : Identification des besoins à l’impulsion des initiatives

Les besoins sont clairement identifiés dans le Tableau 37 : il s’agit de faire face à une difficulté individuelle ou collective pour 42 initiatives (soit 36 % de notre échantillon). Nous avons identifié trois axes : les initiatives qui font face à une problématique de long terme (22%), celles qui se sont mises en place suite à l’identification d’un manque (9%) et celles relatives à une réaction contre un événement (6%). Il s’agit ainsi de combler un manque ou pallier une difficulté. La diversité des besoins identifiés fait écho à la diversité des objectifs des initiatives sociales et solidaires. Nous prendrons plusieurs exemples pour illustrer ce point.

L’initiative peut naître face à une difficulté à laquelle sont soumis les individus : c’est le cas par exemple de la mise en place de nouveaux rythmes scolaires qui a laissé certaines communes dépourvues. L’enquête de terrain montre qu’à plusieurs endroits, les habitants ont dû s’organiser pour mettre en place des activités périscolaires pour les enfants du village. L’initiative sociale et solidaire tient dans l’auto-organisation des habitants en réaction à l’inaction ou aux difficultés de prise en charge des mairies, et dans les sociabilités qui en découlent : en se concertant pour trouver des activités, l’association créée par les parents à Vertain permet une nouvelle vie dans le café de la commune menacé de fermeture.

Un autre type de besoin est identifié : il s’agit d’une envie, d’une volonté des individus sans événement ou élément qui ne les fassent réagir. Cela concerne 17 initiatives sur 116 soit 15% du panel. Les besoins mis en avant sont divers : aller voir ailleurs, créer des liens, faire la fête, faire vivre le village, etc. Ils se rapportent à l’interconnaissance, la rencontre, la fête, l’envie de s’investir dans son territoire.

- Un vécu qui pousse à l’action

Nous analysons ici le vécu des individus pour comprendre pourquoi ils en viennent à l’initiative sociale et solidaire. S’il l’on peut souvent identifier des personnes à l’origine de l’initiative, il n’est pas toujours possible de les mettre en relief avec un/des vécus, souvent par manque d’information. Pour autant, il faut rappeler ici qu’un individu n’évolue pas indépendamment de la société et des groupes sociaux. Ainsi, un itinéraire individuel n’est pas le fait d’un individu coupé de la société et des groupes sociaux, bien au contraire : cet itinéraire individuel est bien le fruit de ses interactions sociales.

Amélie Lefebvre Chapitre 4 Type de vécu identifié Somme

Itinéraire individuel 18 Cheminement collectif 13 Mixte (individuel & collectif) 3

Vécu territorial 31

Non communiqué 51

Total 116

Tableau 38 : Identification des vécus à l’impulsion des initiatives

Nous pouvons tout d’abord noter dans ce Tableau 38 que l’impulsion à la base de l’initiative peut être ancrée dans un itinéraire individuel (18 initiatives soit 16% du panel). Par exemple, un changement d’état (l’arrivée en retraite) peut être vu comme un facteur déclencheur : c’est l’exemple de la création d’une l’AMAP. La retraite a ainsi donné envie à cet ancien actif de rompre avec ses anciennes habitudes (à savoir, remplir son cadi du supermarché de tomates), et le temps dégagé par l’arrêt de son travail lui a donné les ressources nécessaires à la création de l’AMAP. Dans le cas présent, l’expérience de cet individu, jeune retraité, lui donne envie de vivre autrement son rapport au groupe : hors du cadre professionnel, il porte un projet de création d’Amap. Nous pouvons noter que 66% des initiatives impulsées en lien avec des itinéraires individuels sont des pratiques de solidarité.

Un deuxième cas nous montre des initiatives liées à des trajectoires collectives (13 initiatives soit 11%) du panel. Ainsi, des habitants de quartiers se sont regroupés contre l’installation d’un lotisseur. A force de pressions, ils ont obtenu gain de cause. S’est constituée une communauté éphémère de voisins pour l’occasion, qui ont perpétué leur action par une fête annuelle. Ici, le vécu collectif a permis la mutation de l’initiative (à la base, une communauté contre un lotisseur pour ensuite se transformer en retrouvailles annuelles) et sa durée dans le temps.

Outre quelques cas de croisements individuels et collectifs (catégorie « mixte » du tableau), intéressons-nous au dernier cas : quelques exemples montrent des vécus ancrés dans un territoire. Il n’existe pas de vécu aspatial, mais cette catégorie nous permet de mettre en lumière les liens entre vécu et territoire. Elle va plus loin que l’itinéraire individuel ou les trajectoires collectives : nous nous intéressons aux itinéraires collectifs et individuels au prisme d’évènements ayant marqué le territoire. Nous opérons ainsi un changement d’échelle par rapport aux deux précédentes catégories.

Cela concerne 27% de notre panel, soit 31 initiatives. Nous avons souhaité par cette catégorie présenter des cas d’initiatives dont la genèse s’ancre dans une circonstance spatiale à un moment donné. Il peut s’agir par exemple de la fermeture d’une boulangerie, de batailles de la Grande Guerre, de traditions locales ou encore de relations de voisinage particulièrement forte. Il est intéressant ici de noter que les initiatives de cette catégorie correspondent à des pratiques relatives à la fête ou aux actions d’animation (pour 42%), ou à des pratiques relatives aux liens aux lieux (pour 35%).

Amélie Lefebvre Chapitre 4 Enfin, le vécu donne aux initiatives une posture spécifique vis-à-vis de son territoire : « l’union des commerçants a toujours eu vocation à être proche de la mairie, mais il ne faut pas que la mairie récupère ». Cette union des commerçants était au moment de l’enquête en conflit avec la mairie pour l’organisation d’évènements sur le territoire. Dans ce cas, c’est la construction de vécus au sein de l’initiative qui a des effets sur ses relations actuelles.

- Les trois pôles personnes/vécu/besoin sont identifiés

Nous souhaitons nous pencher sur les cas où nous avons identifié un triptyque besoin/individu/vécu : comment s’articule-t-il ? Il s’agit de cas où un besoin rencontre un vécu (qui n’est pas forcément celui de l’individu porteur) et un individu (ou plusieurs) qui porte(nt) le projet. Il peut également s’agir d’un individu qui par son vécu peut formuler un besoin et s’impliquer pour tenter d’y répondre. Nos précédentes analyses nous conduisent à penser que ces trois pôles sont liés, et que le résultat de ces liens donne naissance à des initiatives sociales et solidaires.

Notons ici que les 17 initiatives que nous étudions sont structurées et qu’elles présentent tous types de pratiques. Elles présentent des cas particulièrement aboutis d’initiatives sociales et solidaires, et dont l’impulsion prend racine dans des vécus divers et des besoins divers (aucune catégorie ne ressort particulièrement). Nous prendrons le temps d’illustrer nos propos par deux exemples qui nous ont paru révélateurs de ce cas des trois pôles présents : intéressons-nous aux interactions entre ces trois pôles.

Exemple 1 : le collectif Abri N Co Exemple 2 : le GEIQ3A

Graphique 7 : Illustration des trois pôles individus/vécus/besoins par deux exemples

Le Graphique 7 présente deux exemples distincts où les trois éléments, individus, vécus et besoins sont présents. Nous avons choisi ces exemples pour leur significativité, qui met en relief trois pôles distincts :

- le premier exemple traduit un vécu collectif important au sein du Mouvement Rural de Jeunesse Chrétienne : un groupe de jeunes étudiants issus de ce mouvement rencontre

Individus : un couple met à disposition le terrain des jeunes porteurs Besoins : Jeunes du coin qui veulent expérimenter leurs propres projets Vécus : Ancré dans le MRJC, au sein duquel le projet a germé Individus : Partenariat CC SUd Artois - Chambre Agriculture Besoins : Manque de main d'oeuvre qualifié Vécus : Agricultrice connue, investie et bien ancrée localement

Amélie Lefebvre Chapitre 4 l’opportunité d’un terrain pour mettre en place leurs projets, leurs créativités, leurs envies. De ces croisements nait Abri N Co, un collectif qui anime un lieu d’expérimentations.

- le deuxième exemple présente le cas d’une agricultrice bien insérée au sein des réseaux locaux : impliquée à la chambre d’agriculture et connue de la communauté de communes, elle a permis la mise en place et le fonctionnement de ce groupement de producteurs axé sur la réinsertion, dont l’idée a germé au sein de la communauté de communes.

Dans ces deux cas, chaque pôle est lié et interdépendant. Concernant le groupement de producteur, une élue de la communauté de commune note que « c’est l’intercommunalité qui en est à l’initiative,

l’agricultrice l’oublie un peu. Mais l’élue remercie quand même l’agricultrice, car si elle n’avait pas été là, ça n’aurait pas marché » (Entretien, 11/05/2015, Biefvillers les Bapaume). Il est intéressant de noter qu’au-delà des querelles de personnes, l’élue reconnaît l’importance du vécu de l’agricultrice dans la réussite du projet collectif.

Vécus et besoins se présentent ainsi liés. Cela nous permet d’avancer l’idée selon laquelle la présence des trois pôles permet d’inscrire les pratiques dans la durée. Pour étayer cette hypothèse, voyons les cas où un des pôles serait absent.

- Un des pôles semble absent

Exemple : la mise en place d’une Cigale Exemple : la mise en place d’une zone maraichère

Graphique 8 : Exemples de l’absence d’un des pôles

Au sein du Graphique 8 et d’après les informations que nous avons obtenues, les initiatives se sont mises en place sans besoin identifié :

- la Cigale a été impulsée par des habitants nouvellement arrivés sur le territoire, qui se sont appuyés sur leur vécu d’acteurs de l’ESS et leur envie d’agir localement ;

Individus : des individus du territoire Vécus : Acteur ESS, envie d'agir localement Individus : Porteurs de projet agricole Vécus : MEL

Amélie Lefebvre Chapitre 4 - la zone maraichère est née d’une volonté de la MEL. Les porteurs de projets viennent de l’extérieur du territoire, la zone se situe à proximité des axes routiers et éloignés des centres bourgs.

Cependant, en explorant ces exemples, nous pouvons relever que la Cigale avait pour objectif de soutenir les porteurs de projet locaux. Un objectif qui n’est pas atteint, puisque le seul porteur de projet ayant été soutenu vient de l’extérieur du territoire. Ainsi, les individus qui prennent part à la cigale témoignent d’une réorientation de l’initiative, qui est devenu davantage un lieu d’échange de nouvelles. Dans le cas de la zone maraichère, malgré le fait qu’elle nous ait été signalée comme une initiative sociale et solidaire, nous pouvons ici douter de sa qualification : elle se développe en dehors des maillages locaux, ayant peu de retombées sociales locales, et semble davantage s’apparenter à un projet de développement territorial métropolitain qu’à une initiative sociale et solidaire ancrée localement.

Il apparaît ici que le triptyque individus-vécus-besoins importe aux initiatives sociales et solidaires, mais n’est pas exclusif. Des initiatives peuvent émerger en l’absence de l’un des pôles. Rappelons que nous nous appuyons sur quelques exemples, mais ils ne correspondent pas à une tendance lourde faute de cas et d’informations suffisants (cf. Tableau 36).

Toutefois, en écho à nos précédents propos sur l’inscription dans la durée d’initiatives présentant le triptyque vécu/individu/besoin, voyons à présent les rapports au temps des initiatives.