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II) Concepts mobilisés pour définir l’objet de recherche

II.1 Les valeurs et le niveau d’observation méso social

Sous l’impulsion de groupes de travail de la CGE (Conférence des Grandes Ecoles) sur le développement durable et de la CTI (Commission des Titre d’Ingénieur), il est aujourd’hui acté que les écoles d’ingénieurs doivent former les futurs ingénieurs comme des acteurs d’un progrès technologique responsable vis-à-vis des individus et de l’environnement.

Toutefois, cette notion de responsabilité a fortement évolué avec le temps. Passant de l’idée que chacun doit assumer ses actes, elle s’est aujourd’hui élargie dans le temps et dans l’espace à un devoir d’anticipation des conséquences de nos actes. Au niveau de la sauvegarde de la planète, une des figures marquantes et contemporaines défendant cette manière de voir la responsabilité est le philosophe allemand Hans Jonas (1990).

Il y a différents niveaux d’observation d’un phénomène social comme le montre les échelles

d’observation de Dominique Desjeux (2004). Nous retrouverons plus loin la description des

différents niveaux de cette échelle pour le progrès permanent. Notons donc déjà qu’un chercheur en sciences humaines peut faire ses analyses en se plaçant à différents niveaux d’observation, allant de l’individu au « macro social ». Toutefois, il ne faut pas voir ces niveaux

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comme des tiroirs empilés les uns sur les autres dans une commode, mais plutôt comme un ensemble de poupées russes qui s’imbriquent les unes dans les autres. Les sciences humaines (sociologie, psychologie, …) étudient les « forces » qui mobilisent les individus à chacun de ces niveaux. Ultimement et historiquement, les penseurs trouvent les justifications et légitimités de nos actes dans la philosophie (et notamment l’éthique) et les religions.

Remarquons alors que beaucoup de décisions de nos politiques aujourd’hui concernant le niveau macro social se justifient en invoquant des raisons de « croissance ». C’est donc mettre celle-ci au niveau de référence le plus haut pour nos décisions et comme fondement à nos actions dans la société ! De simple moyen, cette dernière aurait-elle été promue comme une vérité censée guider les sociétés ?

Pas étonnant alors que certains auteurs parlent de la « mystique » de la croissance (Dominique Méda, 2013) !

Enfin, quand une mystique rassemble et relie ensemble suffisamment de monde, elle devient une religion !

Au niveau méso social qui nous intéresse dans cette recherche, nous nous trouvons cependant à un étage plus bas. A ce niveau d’observation, quand le regard porte vers le haut, ce sont les forces du social qui nous entourent et qui façonnent les institutions et les organisations. Les

valeurs sont l’une des forces en action les plus puissante au niveau social (Thomas &

Alaphilippe, 1983).

Les valeurs ont un rôle de premier plan sur nos comportements dans l’action. Elles sont essentielles pour expliquer l'organisation et le changement dans une société (Schwartz, 1992). En relation avec nos croyances, elles expliquent les motivations de base qui sous-tendent attitudes et comportements.

Il est donc éthique pour une école d’ingénieur qui forme ses élèves à devenir de futurs champions du progrès dans la société d’être transparents sur les valeurs sur lesquelles s’appuient les méthodes de transformations organisationnelles qui y sont enseignées.

Comment définir une valeur ?

Si nous prenons le sens commun de valeur, cette notion semble triviale et se résume à ce que

vaut une chose pour un individu. Par contre dans le cadre d’une recherche et si nous regardons

ce qu’en disent notamment les sociologues et les philosophes, sa signification est loin d’être évidente.

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Les valeurs jouent un rôle important dans beaucoup de disciplines des sciences humaines : psychologie, sociologie, anthropologie, … .

De nombreuses conceptions différentes de cet objet de recherche ont été proposé (Boudon, 2001; Inglehart, 1997 … ). Le concept de valeur a ainsi souffert dans les sciences sociales d’une absence de consensus quant à sa définition. Cependant, la plupart des auteurs peuvent se partager grossièrement entre ceux qui voient dans cette notion de valeur quelque chose d’objectif et d’ontologiquement liée à l’individu et ceux qui n’y voient qu’un phénomène mental subjectif et donc un construit.

Le choix dans cette thèse a été de retenir cette dernière hypothèse et de trouver une approche récente et suffisamment convaincante permettant de définir cette notion. La théorie des valeurs de Schwartz (2006) trouve sa légitimité à travers sa validation faite avec l’aide d’une approche empirique sur 68 pays et 64271 personnes. Celle-ci attribue six caractéristiques principales à une valeur.

Appliquons cette approche à la notion de « croissance » comme elle se présente aujourd’hui dans notre société :

1) les valeurs sont des croyances : même absente, nombre d’élus y croient et il faut en effet croire aussi que la croissance économique bénéficie aujourd’hui à tous ...

2) les valeurs ont trait à des objectifs désirables qui motivent l'action : la croissance fixe des objectifs financiers à atteindre (et miroite des promesses / satisfaction de nos désirs) 3) les valeurs transcendent les actions et les situations spécifiques : la notion de croissance

s'applique à des pays, des entreprises …

4) les valeurs servent d'étalon ou de critère : la croissance est évaluée chaque année par des bureaux « indépendants » pour comparer les pays entre eux et elle sert de critères aux financiers/banquiers pour mesurer la « santé » d'une entreprise ...

5) les valeurs sont classées par ordre d'importance : quiconque analyse les discours de nos politiques constate que les priorités des nations « riches » aujourd’hui situent la croissance au premier plan, souvent pour certains devant le bien-être des individus, la santé, la culture, l’éducation, ….

6) l'importance relative de multiples valeurs guide l'action : les pays et les entreprises mettent en œuvre des plans de rigueur pour relancer la croissance comme une priorité

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La « croissance » peut donc être considérée selon la théorie des valeurs comme une véritable valeur dans notre société. Elle sera une force poussant les entreprises à maintenir un progrès permanent.