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Y- a-t-il des valeurs communes et prioritaires à partager ?

III) Efficience d’un jeu pédagogique d’entreprise

III.7 Apprendre un principe d’action

Avons-nous maintenant tous les ingrédients pour tenter de répondre à notre question de départ ? Pas tout à fait car il nous reste encore à définir autre un élément de la question de départ. En effet, celle-ci parlait d’ « apprendre » un principe d’action et la notion d’apprendre n’a pas encore été abordée dans sa globalité fonctionnelle.

Le terme vient du latin « apprehendere » (prendre, saisir, attraper) et nous retiendrons ici la définition suivante :

« Apprendre représente un processus d’acquisition ou de modification durable de connaissances déclaratives, procédurales ou comportementales grâce à l’action intentionnelle ou l’expérience. Son résultat se manifeste par la mémorisation et/ou la compréhension et/ou l’action » (Philippe Carré, 2005, p103)

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Généralement pour apprendre, il faut de la méthode, de la pédagogie et des outils. Mais ça ne marche pas toujours !

Pour que le processus d’apprentissage se déroule avec succès, il faut aussi que l’élève/apprenant veuille apprendre.

Les professeurs et les formateurs expérimentés savent que « ce qui mobilise un élève, l’engage

dans un apprentissage, lui permet d’en assumer les difficultés, voire les épreuves, c’est le désir de savoir et la volonté de connaître » (Mérieu, 1990, p.87)

Plusieurs conditions sont alors à réunir, notamment vérifier que les conditions pour apprendre sont réunies. Plus précisément et si nous nous centrons sur l’individu, « apprendre » c’est, comme nous le rappelle Philippe Carré (2009) : vouloir, savoir et pouvoir apprendre.

Il faut comprendre par :

- vouloir si l’apprenant a des motivations, des dispositions, des attitudes, …favorables à l’apprentissage,

- savoir si l’apprenant sait apprendre (notamment en développant des compétences d’autorégulation),

- pouvoir apprendre si l’apprenant a à sa disposition des environnements d’apprentissage qui lui conviennent et qui l’aident.

Un jeu pédagogique d’entreprise qui propose des jeux de rôles suscite et favorise l’interaction avec les autres participants et ceci dans une ambiance ludique. Il peut donc favoriser le « vouloir

participer, faire avec d’autres » et qui « est générateur d’apprentissage » selon Wenger (cité

par Brougère, 2002). Dans le cas de « Réactik », l’élève/apprenant se trouve dans la peau d’un décideur qui dirige une entreprise fictive et y impulse le changement pour qu’elle soit compétitive et devienne la « meilleure » sur le marché mondial. Il permet donc de jouer avec une attente sociétale forte aujourd’hui vis-à-vis de l’ingénieur : le progrès permanent. Ce jeu rend ainsi souvent désirable aux yeux des élèves ingénieurs le savoir sur le progrès permanent. En effet, le désir est un paradoxe car l’objet du désir doit être identifié, mais il doit garder aussi une part de mystère. Les jeux pédagogiques d’entreprise concernés par cette thèse permettent l’expérimentation et se reposent sur une pédagogie de la découverte. Ce sont des instruments qui permettent de donner un certain nombre de savoirs tout en laissant suffisamment de points

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d’interrogations aux participants pour provoquer chez eux la curiosité et la découverte par eux-mêmes.

Néanmoins, l’option prise dans cette thèse n’a pas été de chercher à savoir si les trois conditions assurant un apprentissage optimal étaient réunies quand les élèves jouaient avec un jeu pédagogique d’entreprise.

Le choix a été de se situer à un niveau micro-individuel d’observation des processus d’apprentissage et plus particulièrement des représentations chez un individu. Enfin de se focaliser sur le principe d’action.

L’objectif prioritaire est ici, comme nous l’avions vu précédemment, de savoir si après une formation au progrès permanent (pour un public d’élèves ingénieur) les participants ont l’intention (durable) de le mettre en œuvre. Nous ne nous situons pas dans une problématique d’acquisition de savoirs, de compétences et d’habilités au sens strict des sciences de l’éducation. Le terme « apprendre » est-il adapté ? Faut-il modifier la question de départ en enlevant ce terme ?

Posons-nous alors la question : comment apprendre ?

Certains répondront :

- S’entraîner pour les écoles behavioristes en créant et en renforçant des comportements, - Mémoriser pour les cognitivistes en structurant l’information,

- Construire pour les constructivistes en proposant des situations permettant d’élaborer chez l’apprenant des représentations du réel et/ou en favorisant les interactions avec les autres.

L’école behavioriste de l’apprentissage avec au début du siècle Thorndike, Watson et Pavlov (cité par Watson, 1977) et Skinner (1969) avancent qu’apprendre est un changement de comportement observable causé par des stimuli externes dans l’environnement. Ces derniers constitueront dans cette approche psychologique l'élément clé de l'explication des conduites d’un élève/apprenant.

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Le courant de pensée cognitiviste est né dans les années cinquante en réaction à la pensée behavioriste. Ici, l’apprentissage n’est plus vu comme un conditionnement venant de l’extérieur, mais il est considéré comme un processus interne. Les théories de psychologie cognitive de l’apprentissage sont basées sur l’idée qu’apprendre inclut l’utilisation à la fois de la mémoire, de la motivation et de la pensée. L’interaction des trois joue un rôle très important dans l’apprentissage. L’élaboration du courant cognitiviste s’inspire beaucoup de la représentation des opérations qui se déroulent dans un ordinateur. Son hypothèse est que la pensée est un processus de traitement de l'information. Les travaux de Robert Mils Gagné (1985) et Ausubel (1974) ont beaucoup contribué à cette vision. Une autre approche est fondée sur l’importance de l’appropriation graduelle et effective de stratégies mentales cognitives et métacognitives (Weinstein et Mayer, 1986) indispensables à une démarche structurée d’apprentissage. Bruner et Jacques Tardif ont contribué à appliquer ce courant de pensée aux sciences de l’éducation.

L’école constructiviste considère que les élèves/apprenants sont les acteurs de leurs apprentissages. Les savoirs ne sont pas les résultats d’un conditionnent venu de l’extérieur. Les apprenants vont construire leurs connaissances (Cunningham et Duffy, 1996). Ce sont les interprétations individuelles de l’élève/apprenant et leurs traitements qui créent les savoirs. Dans cette approche, l’apprenant reste au centre du processus d’apprentissage. L’enseignant/formateur a un rôle d’animateur, de conseil et de facilitateur. Les constructivistes croient que chaque élève/apprenant construit/interprète la réalité en fonction de ses expériences. Deux positions complémentaires se sont développées dans cette école et elles mènent vers une manière différente de conceptualiser l’apprentissage :

- L’une est centrée sur la construction individuelle des savoirs - l’autre sur la construction sociale des connaissances.

La théorie constructiviste initiale de Bruner (1966) avance que l’individu construit du sens en apprenant. Dans les sciences de l’éducation, Piaget propose des situations « obstacles » qui vont permettre aux enfants de construire des représentations utiles du réel.

Le socioconstructivisme met plus l’accent sur la dimension relationnelle de l’apprentissage. Il ajoute la dimension du contact avec les autres afin de construire ses connaissances (cette théorie est donc moins individualiste). L’élève/apprenant construit sa compréhension de la réalité en comparant ses perceptions avec ses camarades et celles de l’enseignant/formateur. La médiation de l’autre devient ici déterminante. L’un des pionniers de cette approche, Vygotsky

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(1974), met l’interaction sociale avec autrui comme levier principale à la construction de savoirs d’un individu. Bandura (1986), insiste sur la dimension sociale dans la formation des compétences.

Quels types d’apprentissages avec un jeu pédagogique d’entreprise ?

Avec un jeu pédagogique d’entreprise12, l’animateur a la possibilité de déclencher (au regard de ces différentes écoles sur l’apprentissage) de nombreux processus d’apprentissages en faisant jouer les élèves (les jeux pédagogiques d’entreprise ont d’ailleurs des objectifs pédagogiques clairement énoncés par leurs concepteurs). Ainsi, parallèlement à un ensemble de savoirs que le jeu structure et contextualise et qui sera mémorisé, l’élève construira également en lui-même une manière de voir et de comprendre grâce notamment à des situations de résolutions de problèmes. Ces dernières, avec la possibilité de faire des essais et des erreurs, lui permettront de s’entraîner afin de comprendre et de mémoriser. Un jeu de rôles collectif impliquera aussi de nombreuses interactions avec les autres et avec l’animateur et donc encore d’autres opportunités d’apprentissages.

Alors, si donner une intention durable à un élève à vouloir mettre en œuvre un principe d’action n’est pas un savoir à acquérir au sens strict du terme, nous garderons quand même le terme « apprendre » de la question de départ parce que cet objectif prioritaire fixé dans cette recherche au jeu pédagogique d’entreprise s’intègre dans un processus général permettant de multiples apprentissages.