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CHAPITRE 3 : LA MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE

4.4.3 Les stratégies mnémoniques et les exercices de mémoire

Les stratégies mnémoniques ainsi que les exercices de mémoire apparaissent aussi comme des manières de s‟adapter à la maladie. Il s'agit d'une façon de demeurer actif et de continuer à s'impliquer dans son quotidien. « Ça me tient un peu éveillé par ce qui m‟entoure (P6) ». Inévitablement, ces stratégies sont utilisées par les personnes atteintes comme facilitateur pour améliorer la mémoire et du même coup, diminuer les oublis. Les participants s'expriment donc sur des méthodes qu'ils développent pour tenter de moins faire d‟oublis. Ces stratégies sont présentes chez la majorité des participants et sont généralement nommées consciemment.

La stratégie nommée le plus fréquemment est celle de la prise de notes : « C‟est parce que j‟ai beaucoup de petites notes. Puis je [les] laisse trainer sur la table» (P4). Toutefois, l‟inconvénient de cette méthode est de perdre le contrôle des petites notes laissées ici et là :

P : Bien là tu vois, des petits papiers de [la société d‟] Alzheimer tout ça. Mes petits papiers ici puis il devrait en avoir un autre petit papier pas loin d‟ici là. En dessous de ça tantôt, on n‟a pas tassé un papier ?

I : C‟était peut-être ça ?

P : Non. Je l‟avais mis, c‟était un petit papier pour mon rendez-vous avec toi là. On a tassé de quoi. On a tassé de quoi j‟pense hein.

I : Peut-être ça, non?

P : Vendredi ouais, c‟est ça. C‟est mon petit papier ici de vendredi. Parce que j‟en écris un sur un côté, puis l‟autre sur l‟autre côté (P4).

Cette difficulté a par ailleurs été nommée par ce participant vivant seul. En ce sens, il mentionne un besoin de structure. Selon ses propos, avoir une aide pour s‟organiser lui

67 permettrait de mettre de l‟ordre dans son quotidien :

Quelqu‟un pour me faire faire une structure, faire une espèce de calendrier. Pour entrer mes notes pis tout ça là. […] Mais ce n‟est pas facile. Moi je ne suis pas capable de le pondre. Il était un bout de temps que c‟est moi qui disais quoi faire. [J‟] avais les employés […] (P4).

Concernant l‟utilisation de ces aide-mémoires, un participant souligne un intérêt pour la recherche de stratégies, mais pas à tout prix :

De là à prendre des cours de mémoire et tout ça, non! Je peux par contre, ici, trouver des façons de faire, des exercices. Ce que je n‟ai jamais fait, des mots croisés d‟ailleurs. M‟en aller vers l‟extérieur [non], [mais] ce qui peut entrer. Si je n‟y vais pas, est-ce qu‟il y a quelque chose qui peut entrer? (P6)

Dans ce cas précis, le participant préfère trouver des stratégies à partir de chez lui plutôt que de se rendre dans un groupe où il ferait des exercices. Dans cet extrait, il est par ailleurs question d'améliorer la mémoire, ce qui est l‟objectif éventuel de pratiquer différents exercices.

Pour certains, la surutilisation de prise de notes peut être perçue par l‟aidant comme étant envahissante tandis qu‟en d‟autres cas, l‟aidant peut être celui qui insiste davantage sur les stratégies mnémoniques. Le prochain extrait présente justement les propos d‟une aidante qui rapporte son propre désir, soit celui de voir son conjoint utiliser l‟écriture tel qu‟il le faisait dans le passé :

A : […] J‟aimerais juste ça ajouter, dans ton quotidien tu passes beaucoup ton temps à prendre des notes. […] C‟est un gars d‟écriture de nature, c‟est un gars qui a toujours écrit beaucoup, qui a toujours aimé écrire, qui a une belle plume. Là il prend beaucoup de notes.

P : Je l‟ai mis de côté la plume pour écrire des phrases qui se suivent au lieu de juste des lettres.

A : Oui je sais. Moi j‟aimerais ça arriver pis voir que tu as fait des poèmes. Bien c‟est un peu plus laborieux là.

P : Ce n‟est pas laborieux, ça ne m‟intéresse pas.

A : Non, mais je veux dire le genre d‟écriture que tu fais là pis de noter, pis de ne pas oublier les rendez-vous. Parce que tu as oublié deux, trois fois des rendez-vous. Puis remplir ton agenda plein, plein, plein. Ça fait partie de ton quotidien ça aussi.

P : Bien oui, bien oui.

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du temps dans ta journée là.

P : J‟en oubliais quand même (P6 & A6).

Tandis que pour le participant atteint d‟un trouble neurocognitif, l‟écriture est devenue utilitaire, sa conjointe aimerait le voir retrouver un style plus littéraire. Il s‟agit d‟un bel exemple de fossé entre les perceptions de l‟aidant et celles de l‟aidé. Selon le participant, il est question d‟un manque d‟intérêt et non pas de capacité. Cet exemple, qui en est aussi un de résistance, présente la question de l‟intérêt qui revient aussi à quelques reprises lors des rencontres. Il y est rapporté que le fait d'avoir de l'intérêt pour un sujet, que ce soit une passion ou autre, permet de mieux capter son attention et favorise donc le maintien de sa mémoire :

Ma situation actuelle je l‟interprète, c‟est l‟intérêt pour moi. C‟est clair que si je n‟ai plus d‟intérêt envers le sujet ou s'il faut que je fasse quelque chose pour lequel je n‟ai pas d‟intérêt, il y a fort à parier que je ne le ferai pas ou que je vais l‟avoir oublié parce que je n‟ai pas d‟intérêt Pis qu‟est-ce qui déclenche l‟intérêt? C‟est ma question aujourd‟hui. Qu‟est-ce qui fait que je ne l‟ai pas retenu ce qu‟on fait pour souper ce soir? (P6)

En définitive, cet extrait présente les intérêts (par le fait même les passions) comme des conducteurs favorisant la mémoire. Il serait intéressant que cette hypothèse proposée par ce participant soit vérifiée et par la suite, mise en pratique dans le cadre de cliniques de la mémoire.

Enfin, il faut aussi porter attention à la provenance de l‟idée des exercices et stratégies mnémoniques. Dans le cas d‟une des participantes, l‟initiative venait plutôt de l‟aidant. On constate alors que le recours répétitif à des questions en vue de favoriser la mémoire peut devenir davantage envahissante que facilitante :

A10 : On va la laisser chercher un petit peu […] Parce que ma femme a un petit problème. [Quand] elle parle, elle met une cassette, mais elle la met pas sur play. […] C‟est pour ça que je la fais pratiquer. C‟est pour ça que les panneaux d‟armoire […] j‟ai des notes et sur l‟autre bord du frigidaire pour pas que le monde voit. […]

P10 : Il y a, c‟est ton frère qui est mort le premier [Madame poursuit sur la question précédente de son conjoint]. [Alors notre belle-sœur]…

A10 : Quelle date? Non pas la date c‟est trop dur pour toi, mais le mois. P10 : Le mois, elle est morte au mois d‟aout?

69 A10 : Non.

P10 : Non? Elle est morte le, attend un petit peu. A10 : Même mois que moi.

P10 : Octobre?

A10 : Ok c‟est beau. Mon frère lui? P10 : […] Lui est mort au mois d‟aout. A10 : Ça c‟est correct.

P10 : Il est mort le 28. A10 : C‟est beau.

Cet extrait nous permet de souligner l‟importance que les stratégies soient choisies par la personne vivant avec les difficultés de mémoire afin qu‟elles correspondent réellement à ses besoins. On peut d‟ailleurs supposer que plusieurs questions consécutives puissent être anxiogènes et par le fait même, entraver au rappel d‟informations.

En cohérence avec le modèle des forces qui veut que les personnes ayant des incapacités puissent faire des choix, il importe de croire que les individus atteints d‟un trouble neurocognitif demeurent eux aussi aptes à la prise de décisions. Plus encore, qu‟ils demeurent aptes à participer à l‟amélioration de leur quotidien. Le résultat désiré étant principalement que les gens puissent atteindre des objectifs qu‟ils se sont eux-mêmes fixés (Rapp et Goscha, 2012). Sans nier les pertes qui sont présentes, il est important de les accompagner dans l‟expression de leurs choix au lieu de choisir pour eux. Instinctivement, tous les participants qui parlent ouvertement de leurs difficultés de mémoire cherchent des moyens afin de diminuer les oublis qui y sont associés.

La résistance, la dédramatisation et les stratégies mnémoniques sont donc des moyens mis de l‟avant par les participants afin de s‟adapter à la maladie. Ces stratégies d‟adaptation sont des moyens pour ultimement, favoriser l‟estime de soi (Clare, 2002). Dans le cas qui

nous concerne, s‟adapter signifie aussi se redéfinir malgré les pertes et les changements engendrés par la maladie. La question de la préservation de l‟identité est donc incontournable. Tel que cela a été mentionné plus tôt, les participants s‟adaptent à leur maladie en cohérence avec leur personnalité. Ceci influence leurs choix de stratégies, tant mnémoniques que d‟interprétation des pertes et de la maladie en général. Tout comme

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Salmon (2009) et Vézina et Pelletier (2009), nous sommes d‟avis que leur identité n‟est pas dissipée par la maladie, au contraire. Elle est simplement modifiée en raison des changements qui se présentent au courant de l‟évolution de la maladie, et par le fait même, des choix qui se présentent. Tout comme le souligne leur intérêt pour les différentes stratégies mnémoniques, il est primordial de respecter ce que désirent réellement les personnes atteintes afin de favoriser leur mémoire et éventuellement, leur adaptation.

Le modèle des forces : les forces individuelles 4.5

4.5.1 Les aspirations

Le modèle des forces défend la position voulant que chaque personne ait des désirs, des buts, des ambitions et des rêves (Rapp et Goscha, 2012 : 38, traduction libre). Rapp et Goscha (2012) rapportent que plusieurs sont les individus vivant avec un trouble mental qui se voient fréquemment marqués par la douleur et les déceptions. Dans ce contexte, il est difficile de nourrir des rêves et des ambitions. Dans le cadre du modèle de résolution de problèmes, soit un des modèles prédominants, les professionnels cherchent à définir la problématique avec l‟aidé pour ensuite l‟accompagner dans la résolution de ce problème. Malheureusement pour les personnes atteintes d‟un trouble neurocognitif dégénératif tel que l‟Alzheimer, les solutions ne sont pas nombreuses. Sans trop le vouloir, ce modèle se concentre sur des aspects négatifs, ne permettant pas à l‟individu de s‟épanouir. Pour sa part, le modèle des forces s‟intéresse davantage aux aspects positifs, au-delà de la maladie :

The strenghts model is more concerned with achievement than with solving problems; with thriving more than just surviving; with dreaming and hoping more than just coping, and with triumph instead of just trauma. For this to happen, people need goals, dreams, and aspirations (Rapp et Goscha, 2012: 38).

Rapp et Goscha (2012) rapportent que, comme pour les individus opprimés, les gens atteints de troubles mentaux ont malheureusement des aspirations limitées et non spécifiques. Force est de constater que les participants à ce projet ne font pas exception à

71 cet état de fait. Pour le bien du projet, les participants ont été questionnés sur leurs rêves et sur ce qu‟ils aimeraient accomplir. D‟abord, les participants ont eu beaucoup de difficulté à répondre à cette question. Le concept de rêve est parfois éliminé de leur vocabulaire et plusieurs ont mentionné la difficulté à se projeter dans le futur. Un conjoint nous répond même : « Nous […], on est du 24 heures à la fois. Jour après jour » (A1). Une participante ajoute plus tard : « Puis je crois que tous mes besoins sont comblés finalement. Et puis, je ne cherche pas à avoir autre chose parce que je me sens bien comme ça » (P1). Dans le même ordre d‟idée, ce participant nous répond :

P : Ah ça, ils sont tous tombés mes rêves.

I : Pourquoi vous dites qu‟ils sont tombés, qu‟est-ce que vous voulez dire? P : Non, mais je veux dire des rêves… moi quand j‟étais plus jeune, j‟avais beaucoup de rêves, mais aujourd‟hui tout ce que je souhaite c‟est d‟avoir encore la santé, pis de rester près d‟un [de mes] enfants au moins. (P7).

La première rencontre fut le prélude pour en discuter et peut-être pour faire germer l‟idée d‟un rêve. La même question a alors été posée à nouveau lors de la seconde rencontre. Initialement, la majorité des réponses s‟orientent vers le fait de garder la santé. Bien que les réponses soient peu nombreuses, quelques éléments finissent par émerger : avoir la possibilité de m‟occuper de ma famille le plus longtemps possible, avoir quelqu‟un avec qui aller marcher, partir de nouveau en voyage, retourner à la chasse, maigrir, vivre le plus longtemps possible, retourner danser.

Il est aisé de constater que la majorité de ces rêves sont très terre-à-terre. Est-ce notre société qui a généré cette difficulté de se projeter dans le futur suivant un diagnostic d‟Alzheimer par exemple? Ou est-ce que cela correspond à une génération croyant être née

pour un petit pain : « La balance, faut pas en demander trop. C‟est que, il y en a qui sont

plus mal pris que nous autres. Ça c‟est ça qui arrive » (P2). Lors des rencontres, il a fallu insister et questionner à nouveau pour que les participants parlent de leurs rêves. Ces rêves sont des aspirations sur lesquelles les forces individuelles et celles de la communauté pourraient s‟appuyer. À cet effet, il est important de s‟interroger sur les manières qui pourraient être mises de l‟avant afin de favoriser le maintien et l‟émergence de ces aspirations.

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