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CHAPITRE 3 : LA MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE

4.3.2 L’aide pour les activités de la vie domestique

4.3.2.2 L’aide rémunérée

Plusieurs participants rapportent avoir fait appel à l‟aide d‟un tiers pour l‟entretien de la maison. Cette aide rémunérée concerne aussi le résident d'un complexe qui paie pour les repas qui sont servis dans une cafétéria :

Je vais souper en bas, puis je dîne en bas quasiment tout le temps. […] Mes repas, faut que je me fasse de temps en temps les dîners. Quand après ça vois- tu, on arrive à fin du mois. Bien il y a des personnes qui ont des coupons. Moi j‟ai pu de coupons pour aller manger en bas parce que je les ai dépensés alors je m‟assis avec du monde que je connais bien (P4).

L‟entretien ménager est aussi un service pour lequel les participants sont enclins à engager quelqu‟un :

Oh ouais, je voudrais bien avoir plus de santé. Ça serait beaucoup, mais en tout cas, des gens qui viennent (rire), il y a des gens qui ne demandent rien que ça malheureusement! Ça fait que, comme aujourd‟hui elle est venue là. […] Oui, pour mon ménage. Tu sais c‟est parce que si je n‟avais pas ça, ce serait mes enfants qui seraient obligés de venir le faire (P7).

Les écrits sur la question rappellent que l‟importance d‟avoir quelqu‟un d‟aidant se fait sentir au fil de l‟évolution de la maladie. À cet effet, Cox (2007) souligne que le besoin de l‟autre progresse selon l‟avancement des symptômes. Mais il ne faut pas occulter

59 que ce soutien est nécessaire dans une tentative à vivre normalement malgré la maladie (Holst et Hallberg, 2003). En ce sens, les données recueillies dans le cadre de ce projet permettent de soutenir cet état de fait. D‟abord parce qu‟il importe aux participants rencontrés de demeurer actifs dans la maisonnée, mais surtout de demeurer utiles. Cette nuance est importante puisque le fait de se sentir utiles est davantage lié à la perception de leurs actions et par conséquent, relié à un sentiment de fierté et d‟accomplissement. Ce sentiment d‟utilité serait-il une manière à la portée des participants afin de justement, vivre normalement? Pour que cela soit possible, il est nécessaire que les aidants respectent l‟autonomie toujours présente et plus encore, qu‟ils encouragent la personne vivant avec les déficits à s‟impliquer selon ses capacités résiduelles. Voilà pourquoi la négociation peut être nécessaire afin d‟obtenir une répartition des tâches qui soient saines et qui respectent autant l‟aidé que son aidant. Malgré cela, il est possible qu‟aucun des partis ne soit en mesure de réaliser certaines tâches. Dans de tels cas, les ressources (qu‟elles soient familiales ou rémunérées) permettent à la personne vivant avec la maladie de demeurer dans son milieu de vie.

Il ne faut pas non plus passer sous silence les participants qui vivent seuls, démontrant ainsi toutes les forces encore en place, mais aussi l‟importance d‟un réseau qui se greffe à la personne. Inévitablement, ces personnes auront ultimement besoin de plus de ressources si elles désirent continuer à demeurer à domicile. Néanmoins, cela rappelle bien que l‟annonce d‟un diagnostic associé à un trouble dégénératif tel que l‟Alzheimer n‟efface pas le désir de demeurer quelqu‟un d‟important dans son propre quotidien. Plus encore, cela n‟entraîne pas la perte de leurs compétences et encore moins de leur jugement. Les mettre de côté renierait leurs aptitudes, ce qui risque d‟avoir des conséquences négatives sur l‟estime de soi.

Se redéfinir dans la maladie : les multiples facettes de l’adaptation aux 4.4

changements

L‟adaptation à la maladie concerne les réactions ou les changements dans le quotidien de la personne atteinte, et ce, suivant soit l'annonce de la maladie, soit l‟apparition des troubles neurocognitifs. Dès lors, il s‟agit de se redéfinir dans la maladie. Cette adaptation

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dépend de plusieurs éléments de la vie de la personne. D'abord le soutien social reçu est d‟une grande importance et ce thème incontournable sera abordé ultérieurement. Par ailleurs, les caractéristiques de la personnalité de chacun définissent en grande partie les méthodes qui seront déployées pour s'y adapter. En ce sens, il est intéressant de porter attention à ce qui motive la réaction des participants. Par exemple, un des participants rencontrés parle beaucoup de son histoire de vie, de sa propension à être plus solitaire et contemplatif. Il décrit son parcours pour justifier que l'arrivée de la maladie l'a peut-être amené à s'isoler tranquillement :

Je n‟ai pas tant de bagage social à l‟entour de moi. J‟ai des amis de mon âge qui sont actifs. Je me considère encore, ce que j‟étais avant […] un contemplatif. La nature, des heures à regarder et à rester là. Je ne suis pas maniaque, c'est-à-dire que je ne suis pas malade mentale. Je contemple, c‟est beau la nature, les arbres, les couleurs, les nuages. Que ça soit ici ou en vacances en camping, que ça soit n‟importe où sur le bord d‟un bateau. […] Être seul en avant du bateau et regarder. C‟est cette immensité-là qui me remplit (P6).

Cet extrait souligne l‟importance de jeter un regard compréhensif sur le parcours des gens dans la maladie et la manière dont ils ont vécu avant qu‟elle ne se développe. Dans le cas qui nous occupe, le participant manifeste un désir d‟être solitaire. Il aurait été aisé d‟interpréter l‟isolement progressif de monsieur comme une simple conséquence de la maladie. En considérant son passé, il est pourtant possible de constater que l‟adaptation de monsieur à la maladie se fait en cohérence avec sa personnalité.

Cette adaptation demande à la personne de redéfinir ses limites, de consciemment faire des changements. La personne prend connaissance des éléments en place dans sa vie (tant les forces que les faiblesses) et choisit de cesser certaines activités qu‟elle faisait auparavant. Cela peut aussi concerner les tâches ménagères. Dans les prochaines lignes, il sera question d‟adaptation, mais non dans le sens d‟une conséquence négative de la maladie. Il est plutôt question de choix ou de façon d‟appréhender le quotidien pour s‟adapter soi-même aux nouveautés ou aux changements engendrés par les troubles neurocognitifs. Les conséquences de la maladie comme la modification de certains loisirs seront questionnées plus loin.

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4.4.1 La résistance

Le concept de résistance fait d‟abord référence aux travaux de Colleen MacQuarrie (2005) qui le décrit comme un mouvement vacillant entre l'acceptation et le déni. Plus concrètement, il est question d‟une forme localisée de résistance qui a pour objectif de faire contrepoids aux difficultés. Selon cette perspective, les participants sont considérés comme ayant le désir de nommer autrement les difficultés. La personne est donc consciente de son état de santé, mais choisit volontairement de vivre et d'agir comme si la maladie n‟était pas présente, ou du moins elle tente de le faire. À certains égards, il serait possible de confondre la résistance avec un grand positivisme ou encore, à l‟opposé, avec du déni. Le concept de résistance est central à ce projet et il apporte un éclairage nouveau puisqu‟il permet d‟interpréter le discours des individus atteints d‟une maladie de manière plus positive. Nous sommes d‟avis que la résistance se présente selon un continuum, c‟est-à-dire que certains sont plus près du déni de la maladie, tandis que d'autres, sans la nier, en minimisent l'impact et les répercussions. Tel que rapporté par MacQuarrie (2005), le concept de résistance se décline lui-même en trois sous-thèmes.

La première forme que prend la résistance est celle de ne pas vouloir connaître ou résister à savoir (MacQuarrie, 2005; traduction libre). MacQuarrie (2005) souligne que, sous cette forme, les participants à son étude rapportent une absence de limitations ou encore de pertes. Ce schéma de réponses a aussi été rencontré dans le cadre de ce projet et c‟est d‟ailleurs le sous-thème s‟apparentant le plus au déni :

Ils le savent tous les enfants que je prends ce médicament-là. À part de ça j‟en prends pas d‟autres. Ça va bien. Je ne peux pas dire que je ne suis pas en bonne santé. Y‟en a des pires que moi (P7).

P5 : […] je crois que je ne suis pas aussi, comment que je pourrais dire ça? [Je crois que je ne suis pas autant] affecté que les autres, parce qu‟il y en avait d‟autres qui étaient beaucoup plus. Comme un Monsieur […]

I : Quand vous dites ça, vous parlez du groupe de parole de la Société Alzheimer?

P5 : Ouais, ouais. Mais par rapport à eux autres, je trouve que moi je n‟étais pas tout à fait dans même gang. Parce que je les écoutais parler. Puis il me semble qu‟ils avaient l‟air à avoir plus de troubles que moi j‟en avais. Moi je suis capable de sortir, je suis capable de conduire l‟auto. Je suis capable d‟aller à Québec. Pas de problème (P5).

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Un second aspect de la résistance rapporté par MacQuarrie (2005) concerne la

recontextualisation de la maladie qui s‟exprime soit en normalisant sa maladie ou encore

en la minimisant (traduction libre). Pour MacQuarrie (2005), la normalisation s‟apparente à la croyance que tous développeront des problèmes de mémoire un jour ou l‟autre et que cette situation est liée à l‟avancement en âge. Ce type de propos n‟a pas été directement rapporté par un participant dans le cadre de notre projet. Toutefois, un élément nouveau, mais lié au thème de la normalisation a émergé lors de l‟analyse des résultats : le désir de continuer à vivre normalement. Ceci fait écho à ce que Smith et coll. (2005) rapportent dans leur étude à l‟effet que la perception positive du quotidien vient du fait de ressentir une forme de normalité dans le quotidien. Il est possible de croire que le positivisme et le besoin de se sentir normal ne soient pas étrangers à ce que l‟on nomme ici la résistance : la résistance étant un instrument utilisé pour éventuellement se sentir normal. Le prochain extrait présente les propos d‟une participante qui aborde justement le sujet de la normalité :

Et puis, sincèrement, j‟essaye de trouver tout le temps le meilleur. Je ne suis pas down comme on dit. […] Alors, il faut que je trouve les mots. (Rires) […] Bien pour moi, dans ma façon de vivre et tout ça. De revenir comme ça doit être normalement (P1).

Cet autre extrait présente une participante qui minimise ce qu‟elle vit :

Bien, c‟est à partir de là […] le monde me disait que, tu sais à propos de la façon que j‟entendais moins et puis je comprenais moins. […] Mais ce n‟est pas lourd. Je suis capable. C‟est sûr que je me cherche des fois là, ça c‟est la mémoire là (P2).

Finalement, pour MacQuarrie (2005), il est question de la construction d’une

influence personnelle par rapport aux pertes (traduction libre de Constructing agency in

the face of loss). Sous ce dernier thème, la résistance s‟organise autour d‟un processus d‟objectivation en se promouvant soi-même, que ce soit dans le passé ou encore le présent. Il est intéressant par ailleurs de constater le lien entre ce sous-thème de la résistance et l‟approche centrée sur les forces. En ce sens, notons que pour MacQuarrie (2005), la construction de soi se fait à travers la fierté malgré une autonomie brimée par différentes pertes. Cette fierté se manifeste par les compétences présentes ou passées, les accomplissements présents ou passés et le réseau social et familial présent ou passé. Cette perspective vient donc rejoindre le modèle des forces tel que présenté et développé par

63 Rapp et Goscha (2012) puisque ce modèle accorde beaucoup d‟importance tant aux forces individuelles (aspiration, compétence, confiance) qu‟aux forces du milieu (relations sociales, ressources et opportunités).

Cette fierté ressentie dans le présent est principalement exprimée dans un discours associé à un désir d‟indépendance et d‟autodétermination (MacQuarrie, 2005) :

Je ne dis pas que ce n‟est pas l‟Alzheimer. […] Je ne me sens pas perdu à ce point-là. Je ne me sens pas [que j‟ai perdu le] contact avec la réalité. Je ne me sens pas incapable d‟avoir des amis. Je ne me sens pas perdu. Je ne me perds pas. Sur la route je ne me suis pas encore perdu. Je conduis encore l‟auto. Il y a bien du monde de mon âge qui n‟ont même plus de permis (P6).

P6 : La personne, moi en l‟occurrence, j‟ai du pouvoir là-dessus. Je peux aussi me laisser aller pis avoir de plus en plus de raison de dire à ma femme : T‟as-tu ça chez vous, ça a pas de bon sens. Je suis responsable de ça.

Dans la mesure où je vis ce que j‟ai à vivre ou que je sois rendu vraiment aveugle je peux combattre aussi. Je peux me laisser aller, autrement dit, la maladie pis je peux faire mon possible pour la retarder. Moi je crois à ça. Si ce n‟est pas une bonne croyance ben qu‟on me le dise, si c‟est irréversible si c‟est, ça se peut ben pas ben qu‟on me le dise. On ne me l‟a pas dit encore. Je ne l‟ai pas lu.

A6 : Actuellement c‟est incurable. P6 : Mais on peut retarder.

A6 : On ne sait pas comment ça va finir.

Que ce soit pour la vie domestique ou dans les loisirs, la fierté dans le présent s‟actualise dans toute la gamme des activités mise de l‟avant par les participants. Vraisemblablement, les thèmes de la résistance, de l‟approche centrée sur les forces et de la participation sociale (loisirs) sont interreliés. Notons que ces deux derniers thèmes (forces et participation sociale) seront traités subséquemment.

Quant à elle, la fierté du passé s‟articule principalement autour de l‟identité au travail (MacQuarrie, 2005). Cette résistance a pour fonction d‟éviter les difficultés présentes en se construisant un soi compétent (MacQuarrie, 2005). Pour certains participants, la conversation lors des rencontres sera constamment orientée sur ces forces du passé associées au travail. Un des participants revenait très régulièrement sur son passé d‟employeur, de chef d‟entreprise. À certains égards, il devenait même difficile de

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comprendre pourquoi il abordait autant ce thème. Or, le concept de résistance permet bien de mettre en perspective ses propos et de mieux comprendre le sens :

Puis j‟étais un gars en affaire et j‟étais, bien, je vendais des motorisés. J‟ai fait beaucoup de travail. […] je travaille sur moi aussi, sur moi-même, parce que je suis un peu psychologue avec ça. Parce que j‟avais quarante-cinq employés, des gars de garage pis tout ça. Ce n‟était pas tous des enfants de cœur. Ça fait que ce n‟était pas facile tout le temps. J‟en ai passé des difficiles pis des dures (P4).

En rappelant son passé, ce participant souligne ses aptitudes et ses capacités à être quelqu‟un de compétent. Aussi, sa maladie n‟est donc pas le seul coup dur qu‟il ait vécu et il tient à le mentionner.

Les différents extraits permettent de percevoir le concept de résistance comme une manière d‟être en mesure éventuellement d‟accepter sa maladie. Malgré une ambivalence évidente dans le discours, la résistance dont traite MacQuarrie est assurément représentée dans les propos des participants. Évidemment, cela n‟empêche pas que ceux-ci soient nombreux à s‟exprimer sur les difficultés engendrées par l‟arrivée et l‟évolution de la maladie. Quoi qu‟il en soit, il appert que cette résistance aide les individus atteints d‟un trouble neurocognitif à demeurer positifs dans la maladie. Selon nous, cela amène une tout autre perspective à ce qui est normalement qualifié de déni. La résistance prend une forme plus positive. Contrairement au déni, elle semble permettre aux personnes concernées d‟évoluer dans l‟acceptation de leur maladie tout en préservant un sentiment de fierté, voire même une possibilité de se projeter dans l‟avenir.