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7. Notions et méthodes proposées par les sciences humaines et sociales

7.2. Les situations de travail et la performance

7.2.1. Les déterminants de la situation de travail et les conditions de travail

La question de la performance conduit à considérer les conditions dans lesquelles les opérateurs agissent et à étudier les situations de travail. Les définitions de la situation désignent dans le langage courant des circonstances, un contexte, des conditions matérielles, morales ou sociales dans lesquelles se trouve un individu ou un groupe à un moment donné dont le but est de réaliser une tâche, une activité organisée.

En ergonomie, la situation de travail est définie comme le « contexte concret où les hommes

réalisent une production matérielle ou immatérielle, dans des conditions de travail et de sécurité donnée » (Rabardel & al., 1998, p. 33). Dans ce même ouvrage, la situation de travail est décrite comme un système constitué de nombreux éléments qui vont déterminer et conditionner le travail réel des opérateurs : le dispositif technique et matériel, l’organisation du travail, les hommes et leurs compétences. Cette définition donne au contexte une acception large et déterminante dans la compréhension des situations de travail du point de vue de l’opérateur. Daniellou et ses collègues (2010) définissent des composantes de la situation de travail, dont certaines sont visibles aux opérateurs (installation, outils, collègues…) et d’autres plus invisibles (stratégie de l’entreprise, histoires des installations et des opérateurs, relations sociales, règles de l’organisation, style du management…). D’autres auteurs parlent de

déterminants distants, inaccessibles aux opérationnels qui pèsent « de manière implicite sur la

situation » (Journé & Raulet-Croset, 2012, p.119).

En sciences de gestion, Girin (1990 cité par Journé & Raulet-Croset, 2012, p.118) retient trois

dimensions pour définir une situation : « des participants, une extension spatiale (lieu) et une

extension temporelle ». Il ajoute à cette définition la notion de performance à atteindre. La

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l’interaction qui se noue entre différents acteurs » […] « en fonction des actions entreprises »

(Journé & Raulet-Croset, 2008, p.31). Les déterminants contextuels et organisationnels de la situation de travail sont sources de stabilité (dimensions récurrentes), de diversité et de variabilité dans le temps, dans l’espace, pour chacun. Certains éléments de la situation s’imposent aux travailleurs comme des contraintes ou des ressources et d’autres sont plus ou moins façonnables (Journé & Raulet-Croset, 2012) permettant aux opérationnels de dialoguer

avec la situation et parfois d’agir dessus. Il s’agit de « la capacité à faire face à la situation »

(Journé & Raulet-Croset, 2008, p.27). La complexité des situations de travail des opérateurs est ainsi un élément qui conditionne leurs activités et leurs performances.

7.2.2. La complexité des situations de travail et l’émergence de risques

Les définitions de la complexité font souvent référence à la globalité, au nombre et à l’interaction, l’interdépendance des parties (échanges entre des éléments), difficiles à démêler. Inversement un système compliqué serait facilement décomposable et simplifiable (Massote & Corsi, 2006). Dans les situations de travail, les systèmes complexes sont presque toujours en interaction avec des opérateurs, des règles et des procédures, des systèmes de management (Magne & Vasseur, 2006).

La complexité est décrite également par la variabilité de paramètres, l’autonomie d’éléments

communicants, le désordre et la non reproductivité de résultats, « quelque chose de difficile à

décrire, d’intriqué, de non intuitif, de non prédictible et/ou difficile à comprendre » (Massote & Corsi, 2006, p.38). Morin (2005) parle d’incertitudes, d’indéterminations, de phénomènes aléatoires soumis au hasard. Leplat (1996) introduit la notion d’opacité d’un système sociotechnique dont les sources multiples peuvent générer des incertitudes qui rendent l’anticipation et la prévision difficiles. Penalva (cité dans Massote & Corsi, 2006, pp.38-39) combine plusieurs de ces caractéristiques pour définir la complexité. Selon cet auteur, elle repose sur trois caractéristiques conjointes : l’émergence de phénomènes non prévisibles ou difficilement modélisables, leur dynamique d’évolution dans le temps et l’incertitude. Pour d’autres auteurs, la complexité fait référence à l’invisibilité de certaines caractéristiques (Perrow, 1984), aux méconnaissances structurelles des systèmes (Landau, 1973, cité par Bourrier, 1999) et à la construction collective, progressive et non préméditée de comportements déviants (Vaughan, 1983, cité par Bourrier, 1999).

97 Dans les industries à risques, des auteurs mettent en relation la complexité d’un système sociotechnique et le risque. Sagan (1993) reprend à son compte les risques engendrés par la complexité des systèmes et initie une ouverture vers les faiblesses inhérentes aux organisations. Vaughan (1996) explique l’accident de la navette Challenger (1986) par la normalisation et l’acceptabilité de déviances au sein d’une organisation complexe, qui ne permet plus à la NASA d’avoir la connaissance de ses risques (secret structurel). Colmellere (2008) explique que la complexité des organisations fragilise la fiabilité car elle limite la compréhension du fonctionnement du système par les acteurs.

L’existence de liens entre la complexité d’un système sociotechnique et les risques qu’il génère sur l’environnement, les biens et la population a conduit les chercheurs à vouloir décrire la complexité. Des méthodes de simplification se sont multipliées, chacune espérant proposer une décomposition adaptée à la description de la complexité. Les approches analytiques ont satisfait pendant longtemps les analystes, notamment les ingénieurs industriels qui cherchaient à établir un lien opérationnel entre un problème donné et des solutions rapides et économiques (Massote & Corsi, 2006) mais cette approche a atteint des limites avec la complexification des systèmes. Les défaillances techniques, humaines ou organisationnelles ne sont pas liées de manière simple à un dysfonctionnement, un aléa, une erreur.

L’extraordinaire complexité du monde a conduit à diffuser la pensée systémique qui est apparue à la fin des années 1970. Elle s’appuie sur l’hypothèse que tout système (et ses sous-systèmes) possède des propriétés différentes de celles de chacun de ses composants. Leur objectif principal est de prédire les principaux points faibles ou failles de sous-systèmes et des relations entre ces éléments pour y remédier (Dassens & Launay, 2008). Au-delà de la recherche d’une vision globale des systèmes, l’approche systémique met également au centre de ses préoccupations la compréhension des interactions entre les différents éléments du système et entre l’homme et son contexte, pour notamment intégrer la variabilité des performances et les risques aux interfaces. Les approches systémiques ont permis de comprendre des caractéristiques telles que l’instabilité, le chaos, l’ambiguïté, le paradoxe (Planchette, 2016).

L’ergonomie est une discipline qui permet de décrire la complexité du travail à partir de

l’activité des acteurs (Leplat, 1996) et de l’organisation (Bourrier, 1999). « Elle [la notion de

complexité] revient souvent dans le discours ergonomique : on y parle de système complexe,

98 Pour cet auteur, la complexité est très directement liée au couplage entre la tâche et l’agent (p.59). Bourrier (1999) voit dans l’analyse de la complexité du fonctionnement d’une organisation et des interactions qui s’y nouent un angle privilégié pour l’étude des organisations. Le diagnostic organisationnel proposé par Rousseau & Largier (2008) cherche à mettre en évidence la coexistence de facteurs pathogènes pouvant avoir des conséquences néfastes en termes de sûreté des installations. Mais l’interdépendance des facteurs organisationnels ainsi que la diversité de leurs effets compliquent la conduite de ce diagnostic (Rousseau & Largier, 2008).

Les différentes méthodes mobilisées jusqu’à maintenant rencontrent des difficultés pour décomposer un système complexe et simplifier son analyse. La simplification par segmentation d’un processus amène à décrire la complexité en éloignant l’analyste de la réalité des situations de travail et la globalisation se confronte à l’ampleur irréaliste de l’analyse. Autrement dit, la complexité du réel échappe en partie à l’analyse alors que la

complexité est omniprésente. Massote & Corsi (2006) constatent que l’on baigne dans la

complexité sans parfois le savoir tellement ce fait est naturel et assimilé.

Les principes méthodologiques élaborés dans ce travail cherchent à ouvrir la réflexion sur la complexité des situations de travail sous l’angle de la mise en discussion de la gestion de la complexité par l’équipe médicale. L’analyse de l’activité humaine est considérée comme une entrée privilégiée pour analyser la complexité des situations de travail.