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11. Une étape exploratoire pour examiner la relation entre le travail et les risques

11.1. Objectif, démarche et méthodes

11.2.2. Une forme de complexité de l’activité : des contraintes aux impasses

11.2.2.1. La mise en évidence de contraintes multiples

Explorer l’activité permet de caractériser certaines de ses complexités, notamment d’identifier des contraintes « permanentes » qui impactent le processus de soin à différentes étapes. Dans la première phase de l’exploration, les discussions sur la prise en charge d’un patient en soins palliatifs permettent aux manipulateurs de citer différentes contraintes au moment de la préparation du traitement (a, b, c, d, e, f, g, h, k) et de décrire deux régulations (i, j) :

a. La préparation du dossier : l’absence systématique d’informations (patient,

prescription) et l’absence d’organisation pour les recueillir ;

b. L’absence de discussion collégiale entre les médecins (seniors, internes) sur les

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c. Les demandes de modification de localisation du traitement et du nombre de

séances par les médecins ;

d. L’hétérogénéité des pratiques des radiothérapeutes en termes de définition de la dose ;

e. La planification des patients sans la définition de la dose par le médecin ;

f. La prise en compte de la dosimétrie lors de reprises d’irradiation et de reconstructions

de champs d’un patient venant d’un autre centre de radiothérapie ;

g. La reprise d’un patient (nouveau cancer) par un radiothérapeute différent pour

équilibrer la prise en charge des patients en soins palliatifs par médecin dans le centre ;

h. La prise en charge d’un patient par un interne ou un jeune radiothérapeute sans

couverture par un senior (indisponibilité du senior) ;

i. Les rectifications de volume, de dosimétrie, de contention (reprise de dossier) lorsque

la validation est menée par un radiothérapeute différent du prescripteur ;

j. Les contrôles délégués entre radiothérapeute et physicien ;

k. Le plan de traitement doit être modifié mais il n’est pas toujours optimum pour le

patient (organe, position incorrecte, séance longue).

Thèmes Métiers des participants (Cadre, manipulatrice P, Manipulateur, Dosimétriste)

C M C C D M C D D C D C M Pr M Pr M M Pr M C a x x x x x x b x c x x d x x e x f x x g x x h x x x x x i x x x x x x x x x j x x k x x Temps (~15 minutes) Tableau 15 : Succession et combinaison des sujets discutés par participant

Cette partie de la discussion (12mn55 à 27mn28) n’est pas structurée sous forme de scénarios. En 15 minutes de discussion, les participants font émerger des contraintes – combinées 2 à 2,

182 parfois par 3 – relatives au travail d’équipe, aux interfaces entre professionnels, à l’acquisition et au partage des informations. Ces contraintes peuvent être liées entre elles (a, b et c ; e et f ; h et i) ou se cumuler aux autres (d, f, g) et génèrent une multitude de contraintes au niveau des

manipulateurs. Par exemple, la contrainte absence systématique d’informations (a) conduit à

l’absence de discussion collégiale entre les médecins (b) puis à la demande de modification de localisation du traitement ou du fractionnement ou du nombre de séance par les médecins

(c). La contrainte hétérogénéité des pratiques des radiothérapeutes en termes de définition de

la dose se cumule aux autres sans avoir de liens avec les précédentes ou les suivantes.

En analysant l’intégralité de la discussion, certaines de ces contraintes (absence d’informations, indisponibilité du médecin senior) sont présentes tout au long du processus de

soin. Par exemple, l’absence d’informations existe à la préparation du dossier, à la

planification, lors du positionnement du patient… Il peut s’agir des mêmes données manquantes ou de données différentes (cf. Figure n°13) sur l’état du patient, les imageries, la demande du médecin correspondant, les données du traitement (iso/réf, 6 ou 18 MV)…:

Figure 13 : Représentation de l'absence d'information à différentes étapes du processus de soin

Autre exemple, l’indisponibilité des médecins seniors génère des contraintes pour les

internes et les manipulateurs à différentes étapes du processus de soin : à l’étude du dossier (pour l’interne), à la consultation d’annonce (pour l’interne, le manipulateur), à la préparation du traitement (pour l’interne, le manipulateur), au scanner (pour le manipulateur), au suivi du patient (pour l’interne) (cf. Figure n°14).

183 Les contrôles et les validations peuvent être reportés pour pouvoir progresser dans la préparation du soin ou dans le soin et/ou délégués aux internes ou aux physiciens.

L’analyse des données dans cette première phase de l’exploration permet de décrire la complexité de l’activité des manipulateurs et des internes comme des combinaisons, des cumuls et des propagations de contraintes relatives à l’absence d’informations et à l’indisponibilité des médecins seniors. Les contraintes décrites ici concernent essentiellement :

 les manipulateurs parce qu’ils étaient majoritairement représentés dans la réunion de la

première phase de l’exploration ;

 les internes parce qu’ils sont en contact direct avec les manipulateurs pour la prise en

charge des patients en soin palliatif aux différentes étapes de la préparation et de la délivrance du soin. Les manipulateurs décrivent ainsi facilement l’activité des internes.

Dans les échanges, d’autres éléments du travail – pouvant potentiellement complexifier l’activité – ont été identifiés :

 des changements organisationnels et les contraintes associées :

« Les dossiers sont discutés la veille au soir entre l’interne et le médecin de fermeture mais les images ne sont plus présentées comme avant [aux radiothérapeutes] ». L’origine du

changement : « le staff était tourné vers le palliatif, commencer la journée par le palliatif, ce

n’était pas très valorisant pour les médecins ». Ses objectifs « au départ, la discussion [entre

interne et médecin] devait avoir la même valeur que celle du matin ». Ses impacts : « or il

s’avère que très souvent c’est un échange verbal par rapport à une demande reçue par fax » ; « Avant quand on discutait au staff du matin, s’il manquait des informations et il manquait systématiquement des informations, l’interne qui présentait les dossiers était tenu d’aller à la pêche aux informations. Aujourd’hui, comme la discussion est vraiment réduite à sa plus simple expression, il n’y a même pas de discussion collégiale autour des éléments qui nous manquent ».

« Maintenant l’interne court au moment où le patient est là ».

 des changements technologiques et de nouvelles possibilités de traitement :

« Il y a 15 ans de ça, on aurait dit on ne peut pas faire mais maintenant on peut faire puisque en fait on fait bien du mono-iso-centrique. Donc là, on garde, moi je sais que j’essaie de garder l’iso puisque y’a un iso, puisque y’a des points tatoués sur le patient, ben c’est moins

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de marques sur le patient, c’est moins de problèmes pour les manip, hop, iso-centre, on reste là-dessus et puis on fait un champ décentré et en fait c’est le point de prescription que l’on change qui n’est pas un iso-centre, donc qui n’a aucune difficulté non plus, donc on pourrait faire des champs…

C’est pour ça, pourquoi parle-t-on encore de référentiel alors ? On ne peut pas faire de l’iso pour tout le monde. Les seins, […] l’ORL, ça marche moins bien. Ouais, ça dépend, [c’est le médecin] c’est le référentiel, parce qu’il n’y a pas de médecin, ça c’est la première raison [c’est le médecin qui doit définir l’iso]

La dynamique de changement peut être entendue comme un élément de complexité puisqu’elle génère de nouvelles potentialités dont la maitrise est en devenir, de nouvelles contraintes en cours de régulation et de l’instabilité dans les pratiques.

 des règles de métier et des règles individuelles :

Les échanges permettent de (re)mettre en visibilité des règles prescrites de métier et des règles individuelles et de les confronter pour identifier celles pouvant entrer en contradiction dans des situations particulières.

« Parce que même si un physicien, tu dis le physicien, il contrôle, mais qu’est-ce qu’il contrôle le physicien, il contrôle si la dosimétrie est conforme à la prescription ». Le physicien, il ne va pas dire, bah attend, on devrait traiter plus haut ou plus bas [ce n’est pas son métier]. Il vérifie que la dosimétrie est conforme à la prescription donc que les doses, que les contraintes sont respectées ».

Cette confrontation de deux niveaux de règles (collectives, individuelles) donne la possibilité de discuter la validité et l’acceptabilité des règles prescrites par l’organisation et celles redéfinies par les individus. Nous considérons à cette étape que ces contradictions potentielles ou réelles entre référentiels peuvent également être considérées comme des éléments de complexité de l’activité.

des sources de tensions dans l’équipe :

Elles peuvent émerger d’opinions divergentes (évaluation, jugement) sur la prise en charge

des patients : « J’en ai déjà parlé mais c’est quelque chose qui me choque beaucoup qu’un

médecin ne suive pas son patient jusqu’au bout même pour le palliatif », « on en a discuté maintes et maintes fois, un jeune radiothérapeute qui fait toutes pathologies confondues sans être couvert par un senior, ça me choque », « telle personne, ils ne l’ont jamais vu, ils ont vu que les internes, je ne trouve pas ça normal ».

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Elles peuvent également provenir d’incompréhensions de certains professionnels sur la

préparation du dossier « Pourquoi, vous qui allez au staff du matin, pourquoi les dossiers ne

sont plus discutés le matin ? », sur la prescription médicale (isocentre ou référentiel, énergie de 6 ou de 18 mégavolts, choix de machine), sur l’optimisation de la dosimétrie (décalages, champs asymétriques, filtres) et sur la difficulté de fermer les masques de contention.

Ces sources de tensions peuvent rendre complexe l’activité dans le sens où elles sont susceptibles de contraindre les communications et les interactions entre les professionnels.