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Chapitre 2 Cadre conceptuel

2.1 Les services écosystémiques

À la demande de l’Organisation de Nations Unies en 2000, un groupe d’experts a mené une évaluation des pressions subies par les écosystèmes à l’échelle globale : le Millenium Ecosystem Assessment (MEA). Cette initiative conduite entre 2001 et 2005 a donné naissance à la notion de « service écosystémique » qui rapidement remplaça les notions de « service écologique » ou « service environnemental » dans les débats sur la biodiversité (Méral & Pesche, 2016). La notion de services écosystémiques réfère aux bénéfices que les humains retirent des écosystèmes, et le cadre d’analyse proposé par le MEA souligne la dépendance des humains envers les écosystèmes pour assurer leur bien-être, cherchant ainsi à articuler nature et société, mais aussi environnement et développement (Méral & Pesche, 2016). En cela, le cadre d’analyse rejoint la conception du bien-être élaborée par

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Amartya Sen à la fin des années 199017. Le MEA divise le fonctionnement des écosystèmes en quatre

catégories : services d’approvisionnement ou de prélèvement (ressources alimentaires, fibres naturelles, ressources génétiques, eau douce, pharmacopée, etc.) ; services de régulation (pollinisation, régulation de la qualité de l’air, du climat, de l’eau, des risques naturels, etc.) ; services culturels (récréatifs, paysages, sites naturels patrimoniaux, etc.) ; services d’auto-entretien (ou service- support), cette dernière catégorie étant liée aux trois catégories précédentes (Méral & Pesche, 2016). Le graphique 2 ci-dessous illustre les finalités des 24 différents services écosystémiques listés par le MEA.

Graphique 2 – La représentation des services écosystémiques et de leurs finalités selon le Millenium Ecosystem Assessment (MEA, 2005) (traduction) (Lapchin, 2012).

17Sen définit la capacité de choisir comme critère essentiel au bien-être : la capacité d’être (liberté de se nourrir, de se vêtir, de se loger, d’être en mesure d’échapper aux maladies évitables, etc.) et la capacité d’agir (liberté de se déplacer, d’accéder à l’éducation, d’accéder au marché du travail, de bénéficier de loisirs ou de participer à la vie sociale et politique, etc.). Les indicateurs liés à la notion de qualité de vie sont étroitement liés aux principes du développement durable. Selon le rapport Stiglitz (Stiglitz, Sen, & Fitoussi, 2009), voici les principales notions qu’il convient de prendre en considération pour cerner la notion de bien-être :

1. Les conditions de vie matérielle (revenus, consommation et richesse) ; 2. La santé ;

3. L’éducation ;

4. Les activités personnelles, dont le travail ; 5. La participation à la vie politique et la gouvernance ; 6. Les liens et les rapports sociaux ;

7. L’environnement (état présent et à venir) ;

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Le graphique 3 ci-dessous, extrait d’un ouvrage de l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Économiques), illustre comment la production agricole génère des biens publics et des externalités agroenvironnementales (OCDE, 2013). Essentiellement, les agriculteurs utilisent des intrants marchands et non marchands pour produire des extrants marchands (les produits agricoles) et non marchands. Les extrants non marchands sont de deux types : les externalités (impacts négatifs) et les biens publics (effets positifs) pour lesquels il n’existe ni droit de propriété, ni marché, ou alors un marché dysfonctionnel (OCDE, 2013). Les services écosystémiques correspondent à cette dernière catégorie.

Graphique 3 – Production agricole et biens publics/externalités agro-environnementaux

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Dans le MEA, la notion de services écosystémiques procède autant du message d’alerte quant à la détérioration des écosystèmes dont nous dépendons que d’une orientation nouvelle des politiques environnementales. Les services écosystémiques peuvent être perçus comme des systèmes naturels ou comme des systèmes anthropisés : dans un cas c’est la nature qui nous offre ces services, dans l’autre les humains agissent sur la nature pour contribuer à produire des services (Méral & Pesche, 2016). Conséquemment, les approches d’intervention relèvent soit de la conservation des écosystèmes, soit de leur redressement. La rétribution des agriculteurs pour les services écosystémiques rendus relève donc d’une reconnaissance de l’activité de l’agriculteur sur le bien-être de la société (Muradian et coll., 2010). Mais la question de l’équité de cette rétribution pose le problème de la mesure et de l’attribution des retombées positives, de même que celui de la marchandisation de la nature. Les débats entourant la notion de services écosystémiques s’intensifient après la parution de l’article de Costanza (1997) qui fait l’exercice d’estimer la valeur globale des écosystèmes et de leurs services. Selon Costanza, cette valeur est pécuniaire, ce qui implique qu’elle réponde à une logique de marché, donc de prix ; les critiques y voient une non-reconnaissance de la valeur intrinsèque des écosystèmes (Méral et Pesche, 2016 ; Kill, 2014 ; Schröter et coll., 2014 ; Chan et coll., 2012) alors que d’autres contestent ces critiques en affirmant que les valeurs intrinsèques peuvent parfaitement être capturées par la prise en compte des services culturels (Méral et Pesche, 2016 ; Raymond et coll., 2013). Selon cette vue, le choix individuel se ferait uniquement sur la comparaison des coûts et des bénéfices, alors que le système de valeur attaché à la biodiversité peut influer sur les choix des individus et leur permettre de justifier leurs actions au-delà de la seule dimension du bénéfice net privé (Méral & Pesche, 2016). D’autres critiques encore (Muradian et coll., 2010 ; Van Hecken et Bastiansen, 2010) contestent la justification de paiement pour les services écosystémiques que propose ce modèle basé sur le marché et reposant sur la prémisse que les défaillances de marché soient responsables de la dégradation de l’environnement. Selon ces auteurs, pour séduisant qu’il soit, ce modèle fait l’impasse sur l’ambiguïté politique et sociale de l’évaluation des externalités et sur le risque qu’il renforce les inégalités au détriment des populations les plus défavorisées (Sommerville et coll., 2010), surtout s’il est financé par les usagers.

Le débat sur les services écosystémiques sous-tend les notions de droit de propriété, de responsabilité environnementale et d’équité sociale. Par sa volonté de reconnaître et de rétribuer financièrement l’apport positif des agriculteurs à la qualité de l’environnement, le programme ALUS est soumis à ce débat : d’un côté, ALUS dit offrir des services écosystémiques qui correspondent aux services de

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soutien, de régulation et, dans une moindre mesure, aux services culturels, tels que décrits dans le MEA (ALUS, 2015). De l’autre côté, les critiques d’ALUS pointent l’absence de mesure d’impacts qui justifierait la notion de services et permettrait d’en estimer leur valeur pécuniaire, en plus de contester la pertinence de soutenir des actions qui devraient aller de soi si la prétention des agriculteurs à être les bons gardiens de la terre s’avérait fondée (Brubaker, 1995). Quant aux porteurs du dispositif ALUS (nos entretiens), ils affirment que les agriculteurs se réclament d’un système de valeurs qui les inciterait à améliorer leur bilan environnemental, mais qu’ils sont soumis à un contexte et des contraintes économiques qui limitent leurs possibilités d’action en ce sens. Ce sont ces notions qui seront explorées dans la présente étude.