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Chapitre 3 Méthodologie

3.5 Territoire d’étude

3.5.1 Communautés étudiées

Au moment de commencer les enquêtes de terrain en août 2016, il existait cinq communautés ALUS en Ontario : Norfolk, Lambton, Ontario-East, Elgin et Grey and Bruce. Seule cette dernière n’a pas donné suite à nos demandes d’entrevue, elle n’a donc pas été étudiée.

Ces communautés se situent au sud de l’Ontario (voir Carte 1), allant du sud du lac Huron pour Lambton au nord du lac Érié pour Norfolk et Elgin, sur une superficie d’environ 100 km (nord-sud) sur 200 km (est-ouest). Pour sa part, Ontario-East est à environ 500 km plus à l’est, à la frontière avec le Québec, au nord de la ville de Cornwall, et couvre un territoire d’environ 90 km (nord-sud) sur 100 km (est-ouest).

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Carte 1 – Localisation géographique des quatre communautés ALUS étudiées

Dans ces quatre communautés (voir Tableau 5), 45 entretiens semi-dirigés ont été menés auprès de participants (12), d’agriculteurs membres du PAC (17), de coordinateurs ou gestionnaires des programmes ALUS (7), de représentants des parties prenantes membres du PAC (8), et d’une personne en relation avec les communautés ALUS (1).

Tableau 5 – Présentation des communautés étudiées

Norfolk Lambton Ontario-East Elgin

Année de création 2007 2015-2016 2012 (projet pilote) 2017 projet permanent 2012 (projet pilote dans Bayham) 2016 expansion à tout le comté de Elgin Année des premiers projets 2008 2015-2016 2014 2013 Nombre de participants 167 28 33 48 Nombre de fermes dans le comté 1307 2150 3416 1363 Nombre d’entretiens 21 8 6 10

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Durant la période protohistorique du sud de l’Ontario, la région était pratiquement recouverte de forêt de feuillus (Carolinian Forest) (Longpoint Biosphere, s.d.). À l’arrivée des premiers Européens, le territoire était occupé depuis dix mille ans par les Premières Nations : Iroquois, Hurons, Abénakis, Algonquins y vivant de chasse, de pêche, de cueillette, mais aussi d’agriculture (maïs, haricots, courge, tournesol, tabac). L’arrivée des Européens instaure une nouvelle voie de commerce pour les fourrures et les outils ; notons que les Premières Nations de la région pratiquaient déjà le commerce entre communautés sur un territoire allant du Manitoba jusqu’au Mexique, tirant avantage de la proximité des voies d’eau. Lors de l’établissement des premiers colons dans les années 1600, les besoins en bois de charpente pour la construction des villages et des infrastructures font que les produits forestiers ont constitué la principale industrie jusqu’à la fin 1800. Au fil du temps, la coupe forestière a créé des terres qui ont été mises en culture et en pâturage, repoussant les premières Nations vers le nord. L’agriculture a graduellement remplacé l’industrie forestière au titre de principale industrie jusque vers 1920. L’exploitation intensive de la terre durant ce début de siècle, associée à la déforestation a mené à une perte de biodiversité végétale et à une érosion critique des sols. Des lois municipales sont alors mises en place pour interdire la coupe des arbres.

Norfolk et Elgin

En 1908 dans le comté de Norfolk, le gouvernement provincial met sur pieds la Waterbury Farm, une pépinière de 100 acres, et la reforestation du comté débute. L’agriculture est alors en déclin, et en 1920 on voit apparaître dans les comtés de Norfolk, Elgin et Oxford (le Tobacco Belt) les premières plantations de tabac qui ravivent la profitabilité de l’agriculture locale et entraînent la plantation de haies brise-vent pour protéger cette culture lucrative, mais vulnérable aux dommages du vent et de l’érosion par le sable que le vent transporte. Jusque dans les années 1990, les rotations de culture et les cultures de couverture intercalaires visant à protéger les plants de tabac de l’érosion par l’eau et le vent ont aussi contribué à améliorer la santé des sols (Longpoint Biosphere, s.d.). Au plus fort de l’activité dans les années 1990, le comté de Norfolk était le cœur du Tobacco Belt et produisait 90 % du tabac au Canada. Dans les années 2000, l’interdiction de faire de la publicité sur les produits du tabac, l’imposition de taxes et les changements d’habitudes de la population ont frappé durement l’industrie, et en 2009, les quotas qui régissaient la production ont été rachetés par le gouvernement fédéral au coût de 300 millions $ pour inciter plus de 1000 agriculteurs à se réorienter vers un autre type de

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production (Johnson, 2017). Depuis, la coupe des haies brise-vent a repris, malgré les lois qui l’interdisent, ces dernières étant peu appliquées. Des aires marginales et des milieux humides ont été mis en culture, certains agriculteurs devant passer d’une culture lucrative à la culture des grains moins lucrative, ce qui incite certains d’entre eux à cultiver chaque espace disponible pour être rentable. D’autres se sont convertis à la culture maraîchère, fruitière, ont installé des vignobles, et la région de Norfolk est aujourd’hui devenue le Jardin de l’Ontario. Dans Norfolk et Elgin, l’agriculture et l’agrotourisme figurent parmi les principaux secteurs d’activité économique, avec le tourisme (plage, pêche, moto tourisme et festivals) et le secteur manufacturier (agroalimentaire, usinage, transport et industrie chimique).

Lambton

Le comté de Lambton a connu sensiblement le même parcours de développement du territoire : défrichage, drainage des milieux humides qui recouvraient alors 30 % du comté (moins de 1 % aujourd’hui), agriculture qui s’intensifie, mais moins que dans les comtés voisins, et culture du tabac (cette région constitue l’extrême ouest de la Tobacco Belt). En 1855, la Canadian Oil Company, première entreprise d’extraction et de raffinage de pétrole brut au Canada et première verticalement intégrée au monde, est fondée dans le comté. C’est le début d’un boom économique qui perdurera jusqu’à la fin des années 1860, lorsque les puits de la compagnie ralentissent (Sydenham Discovery, s. d.). L’érosion, la déforestation, les inondations, la perte de biodiversité et la détérioration de la santé des sols et des cours d’eau qu’a entraînées le développement économique deviennent des préoccupations criantes. À partir de 1976, les agriculteurs adoptent le non-labour et le semis direct, ce qui a pour effet de réduire l’érosion des sols de 1 tonne par acre et de limiter la pollution des rivières. Ce contrôle de l’érosion permet la mise en culture des terres en céréales, plus lucratives que le foin et les pâturages alors très répandus dans la région. En 1979, des réglementations pour empêcher la coupe à blanc sont mises en place par le comté et assez strictement appliquée depuis. Le comté s’est développé autour de l’industrie pétrolière et manufacturière. Sa proximité avec les Grands Lacs, la disponibilité des chemins de fer, des aéroports et des autoroutes en fait l’un des points de passages les plus actifs du pays dans les échanges commerciaux avec les États-Unis (Sarnia Lambton, s. d.). Le secteur manufacturier, celui de la vente au détail, et les secteurs agricole et touristique sont aujourd’hui les principaux moteurs économiques du comté.

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La région de Ontario-East est une région administrative organisée autour des principaux bassins versants de la Rivière des Outaouais, de la Rivière Raisin et de la Rivière Nation Sud. Elle s’étend de la frontière avec le Québec jusqu’à la ville de Maitland. Ottawa constitue la limite nord et la région est bordée au sud par le fleuve Saint-Laurent et l’état de New York. Les sols de la région présentent peu de relief, formés sur des strates de roches calcaires sédimentaires caractéristiques de l’ancienne mer intérieure qui s’y trouvait il y a 450 millions d’années. Ce type de sol résiste bien à l’érosion, mais freine le passage des cours d’eau et force la création de marécages et de tourbières. Les terres en loam sableux de la région sont fertiles et recouvertes de forêts de feuillus lors de l’arrivée des premiers bûcherons vers 1700, qui ont été suivis par les premiers colons que les plaines fertiles nouvellement dégagées attirent. L’industrie forestière effectue elle aussi des coupes intensives dans la région pour maintenir son commerce avec les États-Unis. Vers 1850, on voit apparaître le chemin de fer qui ouvre le commerce vers les marchés extérieurs, mais donne aussi aux industries extérieures un accès au marché local, ce qui entraîne la fermeture de plusieurs entreprises à partir de 1880. Vers 1860, la déforestation entraîne inondations au printemps et sécheresse l’été, et cet enjeu environnemental en devient un économique puisque le fonctionnement des industries dépend de la force hydrique en cette période qui précède l’électrification de la région ; on doit donc convertir les usines à l’énergie vapeur. La population fait face à un manque d’approvisionnement en eau de façon répétée. Au cours de ces deux siècles, l’agriculture diversifiée est devenue graduellement la principale utilisation des terres, propulsée par les programmes publics d’assèchement des terres humides vers 1850, puis l’introduction des drains enterrés. La production laitière et les autres productions animales connaissent un essor, soutenu par la disponibilité des terres pour produire le grain et le fourrage qui les nourrissent. En 1920, la voûte forestière a pratiquement disparu, l’érosion par le vent a entraîné la désertification des terres dans plusieurs municipalités ; les inondations, glissement de terrain, cyclones dont aucune forêt n’arrête la course sont monnaie courante. La création des Conservation Authorities à partir de 1947 dans la région permet de réunir 28 municipalités et de mobiliser une forte partie de la population autour de ces enjeux (Coyne, 2001). Aujourd’hui, les principaux secteurs économiques sont le secteur manufacturier, l’agriculture, le bioalimentaire, le tourisme et le transport (Ontario East, Economic Development, s. d.).

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Le prix des terres agricoles dans l’ensemble du terrain d’études a connu une hausse très marquée au cours des dernières années (multiple de 2,3 entre 2010 et 2017) (Parker, 2017), semblable au reste de l’Ontario (FCC, 2016). La valeur médiane pour le sud de la province est de 12 710 $/acre. L’augmentation de la valeur est propulsée par les taux d’intérêt historiquement bas et la concentration et l’expansion des productions sous gestion de l’offre (principalement lait et volaille). La croissance de la valeur a été ralentie par le bas prix des cultures de commodités durant les années 2014 à 2016, pour connaître une remontée à nouveau en 2017 (+9,76 % en moyenne) malgré le bas prix des grains (Parker, 2017).

Le sud de l’Ontario voit maintenant coexister deux types d’habitats : les forêts, et les champs ouverts, les uns se juxtaposant aux autres et n’offrant que trop rarement la succession d’habitats que procurent les bosquets, bandes riveraines, prairies indigènes, milieux humides, succession nécessaire à la régénération et au maintien de la biodiversité20. Dans le comté, les sols sont majoritairement composés

de loam sableux. La sédimentation dans les cours d’eau par l’érosion et la présence de phosphore dans les bassins versants et le lac Érié sont des enjeux environnementaux importants dans la région et une priorité des organisations locales de gestion des ressources. En effet, les ententes internationales Canada–États-Unis concernant la gestion de l’eau des Grands Lacs obligent les gouvernements fédéral, provincial et local à entreprendre des actions qui assureront le respect des objectifs fixés par ces ententes, malgré la difficulté que pose la mesure des effets concrets des actions posées21.