• Aucun résultat trouvé

La participation des agriculteurs aux démarches volontaires en agroenvironnement : le cas du programme Alternative Land Use Service (ALUS) en Ontario

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "La participation des agriculteurs aux démarches volontaires en agroenvironnement : le cas du programme Alternative Land Use Service (ALUS) en Ontario"

Copied!
149
0
0

Texte intégral

(1)

© Fernande Ouellet, 2018

La participation des agriculteurs aux démarches

volontaires en agroenvironnement: le cas du

programme Alternative Land Use Service (ALUS) en

Ontario

Mémoire

Fernande Ouellet

Maîtrise sur mesure en développement rural intégré

Maître ès arts (M.A.)

(2)

iii

Résumé du mémoire

Devant les externalités négatives découlant de l’intensification de l’agriculture, plusieurs pays industrialisés, dont le Canada, ont mis en place des mesures d’interventions allant de la réglementation à l’accompagnement. Pourtant, la littérature montre que l’adoption de pratiques de gestion bénéfiques (PGB) par les agriculteurs demeure relativement limitée à une clientèle déjà convaincue et que la pérennité de la participation et des aménagements n’est souvent pas assurée au-delà du versement des aides. L’absence de marché pour monétiser les bienfaits environnementaux découlant de l’adoption de PGB ne permet pas non plus une régulation par le marché. Basé sur la collaboration entre les acteurs locaux et l’implication en partie du privé dans le financement de rétribution des agriculteurs pour les services rendus à l’environnement, le programme Alternative Land Use Service (ALUS) se présente comme une voie alternative entre réglementations d’État, démarche volontaire et régulation par le marché. Cette représentation de ce qu’est le programme pourrait bien se traduire dans la réalité, dans la mesure où le programme arriverait dans les faits à faire participer les agriculteurs en grand nombre, et ce, de façon pérenne. Cette étude s’appuie sur une recherche documentaire et une série de 45 entretiens semi-dirigés avec des agriculteurs participants, des coordinateurs et des membres du Partnership Advisory Committee (PAC) dans quatre communautés ALUS de l’Ontario. En mobilisant l’économie de la proximité, le présent travail vise à comprendre les raisons pour lesquelles les agriculteurs participent au programme, et tente de vérifier si les spécificités dont se revendique ALUS incitent les agriculteurs à participer de façon pérenne. L’analyse montre que les spécificités du programme ont un effet différent sur la participation et la pérennité selon le type d’agriculteur, et que la coordination des acteurs est fortement assujettie aux réseaux et au contexte.

Mots-clés : Programme ALUS ; Alternative Land Use Service ; Ontario ; économie de la proximité ; pratiques de gestion bénéfiques ; PGB ; agriculteurs ; participation ; services environnementaux.

(3)

iv

Abstract

Faced with the negative externalities arising from the intensification of agriculture, several industrialized countries, including Canada, have put in place intervention measures ranging from regulation to support. However, the literature shows that the adoption of beneficial management practices (BMPs) by farmers remains relatively limited to a clientele already convinced and that the sustainability of participation is not assured beyond the payment of aid. The absence of a market to monetize the environmental benefits of adopting BMPs also does not allow regulation by the market. Based on the collaboration between local actors and the involvement of the private sector in the financing of farmers' fees for producing environmental services, the Alternative Land Use Service (ALUS) program promote itself as an alternative between regulations, voluntary approaches and regulation by the market. This representation could well be translated into reality, since the program manages to involve farmers in large numbers, on a long-term basis. This study is based on documentary research and a series of 45 semi-structured interviews with participating farmers, coordinators, and Partnership Advisory Committee (PAC) members in four ALUS communities in Ontario. By mobilizing the economy of proximity, the present work aims at understanding farmers' reasons for participating in the program and tries to verify if the specificities that ALUS claims encourage farmers to participate on a long-term basis. The analysis shows that the specificities of the program have a different effect on participation and sustainability depending on the type of farmer, and that the coordination of the actors is highly dependant on networks and context.

Keywords: ALUS program; Alternative Land Use Service; Ontario; economy of proximity; beneficial management practices; BMP; farmers; participation; environmental services.

(4)

v

Table des matières

Résumé du mémoire ... iii

Abstract ... iv

Table des matières ... v

Liste des cartes, des tableaux et des graphiques... viii

Liste des abréviations ... ix

Dédicaces ... x

Remerciements ... xi

Introduction ...1

Chapitre 1 Contexte et problématique ...3

1.1 Contexte de l’étude ... 3

1.2 Les pratiques de gestions bénéfiques (PGB) ... 3

1.3 L’action collective et les agroécosystèmes ... 6

1.4 Le contexte de la gestion des ressources hydriques en Ontario ... 7

1.5 Les initiatives ALUS (Alternative Land Use Services) ... 12

1.6 Survol des études consacrées à ALUS ... 16

1.7 Question de recherche ... 26

Chapitre 2 Cadre conceptuel ...28

2.1 Les services écosystémiques ... 28

2.2 Approche collaborative ... 32

2.3 L’analyse des parties prenantes ... 35

2.4 L’analyse stratégique ... 37

2.5 La nouvelle économie institutionnelle ... 38

2.6 L’économie de la proximité... 43

Chapitre 3 Méthodologie ...47

3.1 Stratégie de recherche : étude de cas multiples ... 47

3.2 Outils de recherche ... 48

3.2.1 Monographies locales ... 48

3.2.2 Entretiens semi-dirigés ... 49

(5)

vi

3.4 Méthode de traitement et d’analyse des données ... 51

3.4.1 Caractérisation des participants et des parties prenantes du PAC ... 51

3.4.2 Analyse des spécificités du programme ... 51

3.4.3 Codage et validation ... 52

3.5 Territoire d’étude ... 53

3.5.1 Communautés étudiées ... 53

3.5.2 Stewardship Councils et Conservation Authorities ... 58

Chapitre 4 Présentation des résultats ...62

4.1 Caractérisation des participants au programme ALUS ... 62

4.1.1 Propriétaires terriens et agriculteurs exploitants... 63

4.1.2 Le sens de « community » et l’identité territoriale ... 65

4.2 Les raisons de participer au programme ... 67

4.2.1 Les raisons de participer au programme ... 67

4.2.2 La pérennité de la participation et des aménagements ... 69

4.3 Analyse des spécificités du programme ... 70

4.3.1 Gouvernance pour et par les agriculteurs ... 71

4.3.2 Rétribution annuelle ... 71

4.3.3 Échelle locale de gestion ... 75

4.3.4 Cadre associatif et privé ... 77

4.3.5 Synthèse des effets des spécificités du programme sur la participation pérenne des agriculteurs.... 79

4.4 Le Partnership Advisory Committee (PAC) ... 80

4.4.1 Gouvernance ... 80

4.4.2 Les deux groups d’acteurs au sein du PAC et leurs raisons de s’impliquer ... 83

4.4.3 Conclusion des résultats ... 86

Chapitre 5 Nos résultats à travers le prisme de la théorie de la proximité...88

5.1 Proximité géographique ... 88

5.2 Proximité de ressources matérielles ... 90

5.3 Proximité de ressources cognitives ... 94

5.4 Proximité de coordination relationnelle ... 97

5.5 Proximité de médiation... 98

5.6 Interdépendance des types de proximité et effets indésirables de la proximité ... 98

Chapitre 6 Conclusion ... 102

Limites de l’étude ... 103

Apports à la littérature existante ... 103

(6)

vii

Bibliographie ... 105

Annexes ... 115

Annexe 1 – Adoption des PGB au Canada... 115

Annexe 2 – Organigramme d’ALUS ... 116

Annexe 3 – Partenaires financiers ALUS ... 117

Annexe 4 – Facteurs critiques pour la participation à un programme selon Rosenberg (2010) ... 118

Annexe 5 – Cadre conceptuel de Rosenberg (2010) ... 119

Annexe 6 – Critères de succès d’implantation d’une communauté ALUS et erreurs à éviter selon France et Campbell (2015) ... 120

Annexe 7 – Cadre IAD (haut) et SES (bas). ... 121

Annexe 8 – Utilisation de Community vs. Collectivités sur le site web d’ALUS, 2016 ... 122

Annexe 9 – Guide d’entrevue ... 123

Annexe 10 – Procédure de recrutement ... 130

Annexe 11 – Codes de l’analyse thématique ... 136

(7)

viii

Liste des cartes, des tableaux et des graphiques

Carte 1 – Localisation géographique des quatre communautés ALUS étudiées ... 54

Carte 2 –Stewardship Councils en Ontario, 2011 ... 60

Carte 3 – Stewardship Councils encore actifs en Ontario, 2018 ... 61

Graphique 1 – Budget du Ministère de l’Environnement de l’Ontario et intérêt de la population envers l’environnement... 9

Graphique 2 – La représentation des services écosystémiques et de leurs finalités selon le Millenium Ecosystem Assessment (MEA, 2005) (traduction) (Lapchin, 2012) ... 29

Graphique 3 – Production agricole et biens publics/externalités agro-environnentaux ... 30

Graphique 4 – Typologie des parties prenantes adapté de Mitchell et coll. (1997) ... 36

Graphique 5 – Typologie des formes de proximité (adapté de Bouba-Olga et Grossetti, 2008) ... 44

Tableau 1 –Enquête sur ALUS conduite le 3 août 2018 dans les bases de donnée en utilisant les termes « ALUS », « ALUS program », « Programme ALUS » et « Alternative Land Use Services » ... 17

Tableau 2 – Aperçu des réductions de coûts possibles et des avantages potentiels pour la société ... 19

Tableau 3 – Matrice intérêt/influence adapté de Maguire et coll. (2012) ... 36

Tableau 4 – Classification des biens d’origine agricole ... 39

Tableau 5 – Présentation des communautés étudiées ... 54

Tableau 6 – Participation, type d’aménagements et modèle choisi par communauté ... 73

Tableau 7 – Enjeux environnementaux, données économiques et types d’aménagements par communauté . 76 Tableau 8 – Effets des spécificités du programme ALUS sur la participation pérenne des agriculteurs. ... 79

Tableau 9 – Organisations membres du PAC et entité légale, par communauté... 81

(8)

ix

Liste des abréviations

ALUS : Alternative Land Use Service

CPR : Common Pool Resources

IAD Framework : Institutional Analysis and Development Framework MASC : Manitoba Agricultural Services Corporation

MEA : Millenium Ecosystem Assessment

OCDE : Organisation de coopération et de développement économiques

OMC : Office Mondial du Commerce

ONG : Organisation Non Gouvernementale

PAC : Partnership Advisory Committee

PGB : Pratiques de Gestion bénéfiques

(9)

x

Dédicaces

(10)

xi

Remerciements

Je tiens à remercier le CRSH pour la bourse de recherche dont ce travail a bénéficié, venant du projet intitulé « Co-construire des modèles collaboratifs pour la réhabilitation des agrosystèmes » dirigé par Julie Ruiz (UQTR) et financé par le CRSH dans le cadre des subventions Développement de partenariat.

Ce projet de recherche n’aurait pu se concrétiser sans la précieuse participation des agriculteurs, des représentants d’organisations, des coordinateurs de programme et des responsables d’ALUS qui ont si généreusement accepté de partager leur expérience avec moi. J’ai ainsi rencontré de beaux humains dont le souvenir m’accompagnera encore longtemps.

Merci à mes codirecteurs, Patrick Mundler et Jérôme Dupras, mais aussi à Julie Ruiz, pour votre appui et pour la splendide opportunité que représente ce projet. Nos riches échanges ont constitué un apport considérable au résultat final, comme à mon apprentissage.

J’adresse un remerciement tout particulier à Patrick Mundler, mon directeur principal, qui n’a pas eu peur de mon parcours atypique, qui a cru en mes capacités tout au long de mon cheminement et qui m’a sans cesse soutenue, avec une patience infinie, une grande justesse et un esprit remarquable. Tu as su faire grandir et s’épanouir ce qui en moi demandait à l’être, et au passage améliorer ce qui en avait grandement besoin. C’est ça, enseigner, et enseigner bien. Je repars avec un bagage inestimable, quelque chose qui ne meurt pas, et pour lequel je te serai toujours reconnaissante. Merci. Je ne saurais trop remercier mon conjoint de m’avoir appuyée lorsque tardivement dans mon existence, je me suis engagée sur ce long sentier, en parallèle de notre vie, guidée par un très ancien appel du cœur. Nos trajectoires auraient pu s’éloigner, mais tu as pris le temps de demeurer partie de cette expérience, de t’intéresser aux sujets parfois arides qui me passionnaient (ou qui me dépassaient !), au point où il nous était possible d’avoir une conversation sur mon travail, ce qui s’est avéré du plus grand réconfort pendant mes moments de doute. Maintenant, je reviens. Merci d’être encore là, et d’être si fier de ce que je ramène de mon périple. Je le partage avec toi.

Comment exprimer toute ma gratitude au clan familial pour le support constant et pour les bons soins aux enfants en mon absence ? La conciliation études-travail-famille n’aurait su se faire sans vous tous. La proximité, dans toute son essence.

(11)

xii

Mes petits garçons, merci de m’avoir si patiemment attendue, en espérant ne pas vous avoir dégoûtés de faire des études supérieures. Retenez seulement que cela demande peut-être beaucoup de travail, mais que la vie avec la pensée est la plus grande des aventures. Et que « trop tard » n’existe pas.

(12)

1

Introduction

Devant le succès mitigé des programmes incitatifs mis en place par les pays industrialisés, dont le Canada, pour contrer les externalités négatives découlant de l’industrialisation de l’agriculture, il convient de s’interroger sur les raisons des agriculteurs à participer à de tels programmes volontaires, et à s’engager de façon pérenne. En effet, la littérature constate que dans une large mesure ces programmes rejoignent les agriculteurs déjà convaincus de l’importance des enjeux environnementaux et que la pérennité de la participation n’est souvent pas assurée au-delà du versement des aides (Pretty, 2003).

Initialement développé au Manitoba (CA) en 2006, puis lancé en Ontario en 2007 d’où il a connu un essor marqué, ALUS (Alternative Land Use Service) est un programme mis en place et géré par les agriculteurs, à l’échelle d’un comté, en collaboration avec les organisations locales qui ont un intérêt dans la gestion de l’environnement. Dans une approche de valorisation des actions des agriculteurs en matière environnementale, il vise à rétribuer les agriculteurs pour les services rendus à l’environnement. Il offre à la fois un accompagnement technique et financier pour implanter les aménagements sur des terres marginales, et le versement d’une rétribution annuelle, généralement équivalente au prix de location des terres dans la région, pour la surface aménagée. Les fonds proviennent en partie des programmes gouvernementaux dédiés à l’amélioration de l’environnement et en partie de donateurs privés (fondations et particuliers). En matière de gouvernance1, le programme

est géré à l’échelle du comté par un Partnership Advisory Committee (PAC) réunissant au moins 50 % d’agriculteurs, les autres postes étant occupés par des représentants d’organisations ou de gouvernements.

Basé sur la collaboration entre les parties prenantes et sur la participation de l’agriculteur à la définition du projet sur sa parcelle, ALUS se présente comme un intermédiaire entre les agriculteurs et les programmes gouvernementaux pour faciliter le processus administratif et optimiser l’utilisation des ressources. Il constitue aussi un intermédiaire entre les agriculteurs et les bailleurs de fonds privés qui désirent supporter financièrement les actions environnementales, mais qui ne peuvent atteindre facilement les fournisseurs de services environnementaux. Le programme revendique une certaine

11 La gouvernance est entendue ici comme un mode de coordination associant aux acteurs publics, des acteurs privés, qu’ils appartiennent au monde de l’entreprise ou de la société civile comprise au sens large (associations, organisations non gouvernementales, syndicats, etc.) pour faire face à un problème complexe caractérisé par une multiplicité d’acteurs et d’échelles d’intervention (Baron, 2003, p. 338).

(13)

2

capacité à faire participer les agriculteurs par les spécificités qu’il présente : l’approche farmer to farmer, la relation basée sur la confiance, la rétribution annuelle, et la gestion à l’échelle locale dans un cadre associatif et privé.

(14)

3

Chapitre 1 Contexte et problématique

Dans ce chapitre, nous verrons comment les enjeux environnementaux liés à l’agriculture sont abordés par les décideurs, quelles sont les barrières à l’adoption de pratiques de gestion bénéfiques pour l’environnement par les agriculteurs, quel est le contexte de la gestion des ressources naturelles en Ontario et comment ALUS s’inscrit dans ce contexte. Notons à ce sujet que l’essor des initiatives ALUS en Ontario n’est pas étranger au contexte légal de la gestion de l’eau dans cette province. Pour bien comprendre le contexte, les études déjà consacrées à ALUS seront passées en revue.

1.1 Contexte de l’étude

La présente étude s’inscrit dans un projet de recherche associant plusieurs universités2 et intitulé Co-construire des modèles collaboratifs pour la réhabilitation des agrosystèmes ; ce projet de recherche appuie la création d’un Living Lab (Laboratoire vivant) visant à soutenir des approches collaboratives de réhabilitation des agrosystèmes dans le bassin versant de Rivière L’Acadie (Québec), et ce, en plaçant les agriculteurs au centre de la démarche. L’une des activités de ce projet de recherche consiste à analyser des modèles collaboratifs de gestion des agroécosystèmes situés hors Québec, plus spécifiquement les Alternative Land Use Service (ALUS) en Ontario (Ruiz et coll., 2014).

1.2 Les pratiques de gestions bénéfiques (PGB)

Depuis les 50 dernières années, l’agriculture s’est modernisée et intensifiée de façon soutenue, entrainant une série d’externalités négatives sur l’environnement, l’eau, les sols et la biodiversité (Power, 2010 ; FAO, 2003 ; Stoate et coll., 2001). Parallèlement, des pratiques de gestion bénéfiques (PGB) ont été développées afin de maintenir l’intégrité écologique des agroécosystèmes, tels le semi-direct, les haies brise-vent, les cultures de couverture, le paillage et la lutte intégrée, entre autres exemples (CAC, 2013 ; Power, 2010).

Afin de contrer la détérioration de l’environnement causée par l’agriculture, de nombreux pays industrialisés, dont le Canada, ont mis en place des mesures d’intervention allant de l’approche réglementaire pour assurer la protection de l’environnement, à l’approche d’accompagnement visant l’adoption de bonnes pratiques. Ces démarches d’accompagnement sont basées sur la sensibilisation, le transfert de connaissances et l’assistance financière pour la mise aux normes (CAC, 2013). Au

2 Université du Québec à Trois-Rivières, Université Laval, Université du Québec à Rimouski, Université du Québec à Montréal et Université du Québec en Outaouais.

(15)

4

Canada, l’adoption des PGB au-delà de la mise aux normes est encouragée par des programmes appuyant des démarches volontaires, avec partage des coûts, impliquant une trentaine de PGB reconnues pour leur efficacité et leur popularité. Pourtant, globalement, les effets de ces mesures n’ont pas montré d’effets significatifs sur l’environnement (CAC, 2013 ; Kleijn et coll., 2011 ; Kleijn & Shuterland, 2003) même si l’on considère qu’elles ont des effets positifs sur la biodiversité en matière de limitation des pertes (OCDE, 2011).

Le taux d’adoption des PGB demeure relativement bas au pays, spécialement en ce qui concerne les milieux humides et la biodiversité (voir Annexe 1) (Sparling & Brethour, 2007). Ruiz et coll. (2014) observent que la participation se résume souvent aux agriculteurs déjà convaincus de l’importance de protéger l’environnement, alors que les agriculteurs n’adoptent pas les pratiques pour l’ensemble de leurs activités (Wilson, 2004), et que la pérennité des aménagements n’est pas assurée une fois le support financier terminé (Ruiz et & Ducruc, 2014 ; Pretty, 2003). Les responsables des programmes pratiquent une communication sursimplifiée du message de la conservation pour le rendre « accessible », ce qui ne simplifie en rien le programme lui-même et nuit à l’engagement d’une réflexion plus profonde des agriculteurs sur leur lien d’interdépendance avec la biodiversité (Mitchell, 2006). Parmi les facteurs identifiés comme barrières à l’adoption des mesures agroenvironnementales3, des

études ont relevé des facteurs sociaux, économiques, technologiques et culturels (Lavallée, Dupras, 2016 ; OCDE, 2013 ; Ingram, Redford, & Watson, 2012 ; Perreault, 2007 ; Mitchell, 2006). Les caractéristiques démographiques, la taille et le revenu de l’entreprise, de même que l’absence d’appui familial pour entreprendre les changements font aussi partie des facteurs d’empêchement (Mitchell, 2006). On signale par ailleurs la complexité des programmes, ainsi que le caractère descendant des initiatives clés en main qui proposent des solutions uniformes malgré la grande diversité des producteurs et des situations (Ruiz et coll., 2014 ; Mitchell, 2006), et où l’agriculteur n’est que le réceptacle d’une solution plutôt qu’un participant actif dans la création de la solution (Ruiz et coll., 2014). L’attitude de l’agriculteur envers l’environnement est aussi un facteur déterminant dans l’adoption des mesures (Burton & Paragahawewa, 2011 ; Finn, Kurz, & Bourke, 2008 ; Mitchell, 2006 ; Brotherton, 1991), de même que sa perception de ce qu’est la conservation ; par exemple, les prairies indigènes sont souvent perçues comme de la « mauvaise herbe », et le non-labour est perçu par de nombreux agriculteurs conventionnels comme une pratique de conservation de la biodiversité alors

3 On entend ici l’ensemble des programmes qui visent à accroître l’adoption de pratiques agroenvironnementales pour améliorer la qualité de l’environnement et la santé des humains.

(16)

5

que la pratique est nettement insuffisante pour assurer le maintien de la biodiversité, malgré ses effets positifs indéniables sur la santé des sols (Mitchell, 2006).

Dans une étude réalisée pour le compte d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, des chercheurs ont comparé différentes mesures agroenvironnementales appliquées dans divers pays et se sont intéressés aux caractéristiques structurelles des mesures (Mayrand et coll., 2006). Dans ses conclusions, l’étude mettait en lumière la diversité des objectifs poursuivis par les mesures4 et la

nécessité de faire des compromis entre ces objectifs lors de la conception et l’évaluation des programmes. La tension entre l’efficacité des mesures (par la précision et le ciblage) et leur flexibilité (qui favorise l’adhésion volontaire des producteurs) rend le compromis optimal difficile à atteindre : d’une part, « […] trop de flexibilité risque de diminuer l’efficacité environnementale de la mesure alors qu’un ciblage trop rigide risque de diminuer l’adhésion des producteurs, la superficie couverte par la mesure et donc son impact environnemental ; d’autre part, des contrats trop détaillés peuvent augmenter les coûts administratifs et décourager la participation des producteurs » (Mayrand et coll., 2006, p.viii). Le rapport souligne de plus que les mesures d’éco conditionnalité, même si elles s’adressent à une clientèle large, rejoignent dans les faits une clientèle spécifique : les agriculteurs qui dépendent des soutiens gouvernementaux. Les chercheurs affirment que l’articulation des mesures avec les autres outils agroenvironnementaux contribue à en augmenter l’efficacité (Mayrand et coll., 2006).

Un autre rapport plus récent (AAC, 2011) réalisé pour le même organisme brosse un portrait de la situation au Canada et produit une étude comparative de certaines mesures mises en place ailleurs dans le monde. Les auteurs arrivent sensiblement aux mêmes conclusions en matière d’analyse des caractéristiques structurelles des mesures et de leur nécessaire arrimage à l’ensemble des politiques agroenvironnementales, qu’ils recommandent d’appuyer par une réglementation adéquate et une gouvernance mieux intégrée aux échelles locales. À la suite de leur évaluation de l’efficacité des principales mesures agroenvironnementales utilisées au pays, ils arrivent à la conclusion que « […] les approches nationales fondées sur les paiements annuels sont insuffisantes et ont des effets de distorsion sur le marché des terres, et que l’utilisation de paiements agroenvironnementaux comme

4 Ces objectifs peuvent être par exemple « […] maximiser l’efficacité environnementale de la mesure agroenvironnementale ; optimiser le rapport coût-avantage de la mesure agroenvironnementale ; minimiser les coûts administratifs de l’état et/ou des producteurs ; rehausser les revenus des producteurs ; contrôler l’offre de produits agricoles ; favoriser certaines cultures ; mettre en œuvre un cadre de politique agricole ; se conformer aux accords de l’OMC ; améliorer les perceptions du public ; etc. » (Mayrand et coll., 2006, p.viii)

(17)

6

soutien du revenu est plutôt inefficace » (AAC, 2011, p.ii). Ils proposent un cadre pour guider le choix des mécanismes politiques à mettre en œuvre selon le bénéfice net public généré par la mesure et le bénéfice net privé qu’en retire l’agriculteur, et recommandent de prioriser les mesures qui présentent un ratio coût-efficacité pour le public d’au moins 2,0. Selon leur analyse des différents mécanismes qui touchent l’approvisionnement de services écologiques au pays, ils considèrent que la meilleure solution demeure l’approche en fonction du lieu, souvent infraprovinciale, puisqu’elle offre de multiples avantages : l’échelle locale englobe les acteurs-clés capables de se coordonner autour d’enjeux spécifiques, avec des solutions dont l’efficacité est adaptée à la réalité locale (environnementale, économique et culturelle), et la réactivité des mécanismes gérés à l’échelle locale offre une meilleure adaptation au contexte changeant, dont la demande locale pour un service écologique plutôt qu’un autre.

1.3 L’action collective et les agroécosystèmes

Parallèlement à ces analyses économiques de l’efficacité des mesures, d’autres recherches en sciences sociales ont montré l’importance des approches collaboratives déployées à l’échelle locale pour contrer les limites des mesures gouvernementales. Basées sur le dialogue, la négociation et la concertation entre les parties prenantes, les approches collaboratives et participatives suscitent un intérêt grandissant dans le domaine de la gestion intégrée des ressources naturelles et de l’environnement (Luyet et coll., 2012 ; Red et coll., 2008 ; Conley et Moote, 2003). Cet intérêt relève notamment du fait qu’elles sont perçues comme offrant la possibilité de renforcer à long terme les valeurs de protection de l’environnement dans la culture professionnelle agricole à travers l’engagement des agriculteurs dans un projet commun ; de plus ces approches collaboratives permettent de déployer des solutions collectives ayant des impacts à l’échelle des enjeux environnementaux (Ruiz et coll., 2014 ; Burton et Paragahawewa, 2011).

C’est dans ce contexte que sont apparues au Canada les initiatives Alternative Land Use Service (ALUS). Ce programme suscite de plus en plus d’intérêt chez les gestionnaires de l’environnement et des ressources naturelles par le changement de paradigme qu’il semble proposer : démarche volontaire gérée par les agriculteurs, accompagnée d’un incitatif financier récurrent, visant à reconnaitre et valoriser le rôle actif et positif de l’agriculteur sur l’environnement (ALUS, 2015), en opposition au modèle conventionnel de gestion centralisée, normative, rigide et sectorielle générant des solutions souvent déconnectées des besoins locaux (Massé, 2015). La démarche ALUS est

(18)

7

participative au sens où l’agriculteur est central au centre dedans l’élaboration de l’aménagement qui sera réalisé sur sa propriété ; elle est aussi collaborative au sens de la gouvernance du programme par la diversité des parties prenantes qui collaborent au sein de l’organe de gestion, le Partnership Advisory Committee (PAC), lequel est d’ailleurs contrôlé à majorité par des agriculteurs.

1.4 Le contexte de la gestion des ressources hydriques en Ontario

Au Canada, spécialement en Ontario, la gestion de l’eau est par nature fragmentée puisqu’elle oblige à une gestion transfrontalière des cours d’eau partagés avec les autres provinces et avec les États-Unis, en plus de la législation présente à différents paliers de gouvernements qui se partagent la responsabilité non seulement de la gestion de l’eau, mais aussi de l’environnement, du développement économique, de la gestion des villes, autant d’aspects qui influent sur la gestion de l’eau. Les changements climatiques ajoutent à cette complexité l’obligation d’envisager la gestion de l’écosystème en entier, et non plus seulement la gestion d’ensembles binaires : eau-terre, eau de surface-eau souterraine, eau salée-eau douce, quantité-qualité, amont-aval (Cook, 2014). De plus, la Loi constitutionnelle tient de plus en plus compte des droits relatifs à l’eau des peuples autochtones, et doit inclure les propriétaires ancestraux dans toute activité susceptible de violer les droits des peuples autochtones (TRNEE, 2010).

La Constitution canadienne ne traite pas de la responsabilité de l’eau, bien qu’elle en confère la compétence aux provinces (TRNEE, 2010, p.51).

« [...] le principe du premier en date, premier en titre en Colombie-Britannique, en Alberta, en Saskatchewan et au Manitoba [...] confère au titulaire de licence le droit exclusif d’utiliser l’eau dans le cadre d’un régime d’ancienneté basé sur l’âge5 du

titulaire. Au Yukon, dans les Territoires du Nord-Ouest et au Nunavut [...] des priorités sont également établies en fonction du principe du premier en date, premier en titre. [...] Les principes des droits des riverains, qui sont issus de la Common Law, servent de fondement aux régimes de permis d’utilisation d’eau en vigueur en Ontario, au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse, à l’Île-du-Prince-Édouard et à Terre-Neuve-et-Labrador. En vertu de la Common Law, qui existait avant que les droits relatifs à l’eau n’aient été adoptés par voie législative, les personnes qui possèdent ou qui occupent des terres en bordure de lacs et de cours d’eau ont le droit au débit naturel

(19)

8

de l’eau, intact en quantité ou en qualité, longeant ou traversant leur terrain. Les provinces ont la responsabilité d’administrer l’eau et de superviser son attribution [...] de façon équitable pour tous. [...] Le droit civil du Québec affirme que l’eau n’appartient à personne, étant plutôt d’usage collectif. La province a donc un rôle de protecteur de l’intérêt commun à jouer en la matière » (TRNEE, 2010).

Puisqu’au Canada, la gestion de l’eau et du sol relève surtout des compétences provinciales, nous verrons ici l’évolution du cadre réglementaire du gouvernement provincial sur le territoire à l’étude. Entre 1996 et 2002 en Ontario, le gouvernement de Mike Harris conduit la Common Sense Revolution qui se caractérise par des coupes dans tous les ministères, mais spécialement celui de l’environnement. L’année 2000 sera marquée par le scandale de l’eau potable de Walkerton durant lequel l’eau de la petite municipalité de 5 000 habitants s’est vue contaminée par la bactérie E. Coli, tuant sept personnes et en rendant malades plus de 2 300 autres. Le procureur général de l’Ontario, dans son rapport suivant la commission d’enquête sur les évènements, blâme partiellement le gouvernement Harris pour les coupes effectuées au Ministère de l’Environnement. Il réfère à un document interne du Ministère de l’Environnement qui rapporte que ce ministère est spécialement touché par les coupes budgétaires, voyant son budget réduit de 48,4 % depuis 1995-1996 (O’Connor, 2002). Ce désengagement de l’État a pu s’effectuer lors d’une période de désintérêt de la population envers la question environnementale (voir Graphique 1).

(20)

9

Graphique 1 – Budget du Ministère de l’Environnement de l’Ontario et intérêt de la population envers l’environnement

Source : (Adapté de Winfield, 2012)

En moins de deux ans, la modification de nombreuses lois relatives à l’environnement6 par le

gouvernement ontarien provoque un démantèlement des lois environnementales, l’affaiblissement du rôle du gouvernement, l’exclusion de la population et la privatisation des ressources naturelles (Cooper, 1998). Durant cette période, la notion de développement durable est abandonnée, et le gouvernement priorise une stratégie économique simplificatrice qui repose sur la réduction des taxes et la dérèglementation (traduction, Winfield, 2012). On assiste à un remplacement du contrôle législatif par les programmes volontaires et l’autorégulation, par la privatisation et par la libéralisation. En matière de gouvernance, les effets de cette Common Sense Revolution ont mené à une réduction du rôle du gouvernement : 1) dans le suivi de la pollution et de l’utilisation des ressources naturelles, 2) dans la délivrance des permis de polluer et de l’extraction des ressources, 3) dans la législation en

6 Aggregate Resources Act, Conservation Authorities Act, Environmental Assessment Act, Environmental Protection Act, Freedom of Information and Protection of Privacy Act, Game and Fish Act, Intervenor Funding Project Act, Lakes and Rivers Improvement Act, Municipal Act, Mining Act, Ontario Water Resources Act, Planning Act et Public Lands Act. (Cooper, 1998).

(21)

10

matière environnementale et 4) dans la capacité de l’État à garantir l’accès démocratique à la prise de décisions (Cooper, 1998). L’implantation de programmes volontaires et de mesures d’autorégulation peut soulever des inquiétudes : le manque de cohérence et de justice dans la prise de décisions (par le manque de standards dans l’application des mesures et l’avantage conféré par la taille des entreprises), le manque d’imputabilité (par l’absence de standards légaux, il n’y a rien à renforcer, et par l’absence d’organisme de contrôle, il y a peu de preuves des problèmes), et le manque de participation citoyenne (l’autorégulation se fait derrière des portes closes) (Cooper, 1998).

La période 2003-2013, sous le gouvernement de Dalton McGuinty, s’inscrit dans la continuité du gouvernement précédent en ce qui a trait à l’autorégulation et à l’usage des lois omnibus pour intervenir sur de nombreuses lois environnementales. Ainsi, le projet de loi 55 modifie 5 lois environnementales à la fois7. Cette atteinte au droit des citoyens de participer aux décisions en matière environnementale

sera dénoncée par de nombreux observateurs. Autre problème de transparence :

« [...] la trop grande proximité des ONG environnementales avec le gouvernement les amène à exercer une critique indulgente envers les décisions du gouvernement [...] dans le but de faire des acquis en matière de législation. [...] La situation se complique davantage par l’émergence du rôle de l’Ontario Trillium Foundation, une bénéficiaire des revenus de Ontario Lottery and Gaming Corporation, comme nouvelle source majeure de financement pour les ONG environnementales de la province » (Winfield, 2012, p.175)8.

Les Libéraux priorisent trois problèmes environnementaux : l’usage des terres et la planification des infrastructures, l’électricité, et la protection de l’eau de source. Les changements climatiques n’apparaîtront que vers la fin du mandat (Winfield, 2012). Très peu de mesures touchent la gestion de la ressource sol dans le secteur agricole, sinon la création d’une ceinture verte autour de Toronto et la lutte contre l’étalement urbain avec une protection particulière pour les terres agricoles à fort potentiel, mais en se limitant aux grandes cultures.

À la suite de la démission de Dalton McGuinty en 2012, Kathleen Wynne est portée au pouvoir en 2013. Le changement vers une approche plus écologique de la gestion de l’environnement se fait alors sentir. Par exemple, à la suite des représentations des apiculteurs qui ont vu leurs colonies d’abeilles

7 Endangered Species Act, Provincial Parks and Conservation Reserves Act, Crown Forest Sustainability Act, the Public Lands Act et Fish and Wildlife Conservation Act

(22)

11

s’effondrer au cours des dernières années, Kathleen Wynne a voulu accélérer le processus d’examen par le Pest Management Regulatory Agency de l’utilisation de ces pesticides dans l’enrobage des semences de soya et de maïs. S’ensuit une levée de boucliers pour s’opposer à toute adoption hâtive qui ne suivrait pas un processus scientifique capable de lever les doutes sur l’implication des pesticides dans le problème des abeilles. À la suite des commentaires reçus lors des consultations, le gouvernement adopte une position plus écosystémique, reconnaissant quatre principaux dangers auxquels les pollinisateurs font face : l’exposition aux pesticides ; la perte d’habitat et de nutrition ; le changement climatique et la météo ; les maladies, les ravageurs et les facteurs génétiques, et promet d’agir sur chacun de ces quatre facteurs de stress (Ontario, Registre environnemental, 2015). Récemment, le Ministère de l’Environnement et de l’Action en matière de changement climatique a poursuivi dans la même veine et a lancé la Stratégie de l’Ontario en matière de changement climatique. Dans le domaine de l’agriculture, rien de très explicite relativement à la gestion des ressources sol et eau, mais plutôt une approche qui se veut globale : « Les terres agricoles, les milieux naturels et les écosystèmes seront mieux protégés pour le mieux-être et le plaisir de tous, notamment des Premières Nations et des Métis, avec qui nous partageons notre milieu naturel afin d’en protéger le caractère durable et spirituel » (Ontario, Stratégie en matière de changements climatiques, 2015).

Cependant, la fragmentation de la gouvernance persiste à travers les lois et les organes de régulation. Par exemple, en Ontario, la gestion de l’eau (par le Clean Water Act et le Safe Drinking Act) est distincte de la gestion des nutriments du sol, assurée par le Nutrients Management Act ; la résolution des différends en matière de nutriments est donc déléguée à des organismes nommés Local Advisory Committees qui offrent un service semblable à ce que procurent les Irrigation Advisory Committees ou les Source Protection Committees : jouer un rôle consultatif auprès des autorités décisionnelles locales. De la même façon, les pesticides sont gérés d’après le Pesticides Act et soumis à un Pesticides Advisory Committee qui cette fois, agit du point de vue provincial pour assurer la cohérence des lois et publications avec les questions liées aux pesticides, et délègue l’application de la réglementation à des agents qui inspectent sur le terrain. Ce manque de considération de l’écosystème dans son ensemble dénote une fragmentation de la gouvernance et constitue l’une des faiblesses de la stratégie ontarienne de gestion des ressources naturelles :

« La clé de la gestion efficace des ressources en eau réside dans le fait de comprendre que le cycle de l’eau et de la gestion des terres sont intimement liés. Chaque décision d’utilisation des terres est une décision d’utilisation de l’eau. L’amélioration de la

(23)

12

gestion de l’eau dans l’agriculture [...] nécessite d’atténuer ou de prévenir la dégradation des terres. L’érosion, la pollution, l’épuisement des nutriments, le couvert végétal réduit, la perte de matière organique du sol, et d’autres formes de dégradation résultant de mauvaises décisions d’utilisation des terres agricoles menacent les écosystèmes, changent les cycles hydrologiques régionaux et globaux, et ont d’énormes conséquences négatives pour l’eau en termes de productivité, de quantité, de qualité, et de stockage « (Bossio et coll., 2007, p.551)9.

Cette fragmentation se voit aussi dans la gestion des forêts pour laquelle, à titre d’exemple, il existe quatre lois différentes encadrant le pouvoir des municipalités de mettre en place des réglementations sur la coupe des arbres (Forest Conservation By-Laws in Ontario, 2005).

Dans le domaine agricole, ce désengagement de l’État envers la question environnementale s’est traduit par des coupes budgétaires majeures dans les organismes gouvernementaux responsables des programmes de soutien des agriculteurs pour l’adoption de pratiques de gestion bénéfiques. Parallèlement, certains comtés ont renforcé les réglementations locales en matière de coupe des arbres, d’autres en matière de gestion des cours d’eau, menant à un climat défavorable à la collaboration des agriculteurs avec les autorités gouvernementales10.

Il semble donc que les acteurs de l’environnement composent actuellement avec une gouvernance par défaut plutôt qu’une gouvernance résultant d’une réforme clairement orientée, basée sur une approche intégrée de la gestion des ressources et de l’environnement.

1.5 Les initiatives ALUS (Alternative Land Use Services)

Il importe avant tout de définir les termes généralement utilisés lorsqu’il est question d’ALUS : programme, communauté, projet, participant. À l’échelle du Canada, ALUS se désigne comme un programme. Au sein de ce programme, il y a des communautés à l’échelle d’un comté ou d’un bassin versant, que l’on nomme aussi « programmes ». Pour faciliter la compréhension du présent travail, nous utiliserons dans ce cas communauté pour désigner l’échelle locale de gestion, mais nous réfèrerons à programme pour désigner le dispositif (conditions des ententes, durée, paiements, etc.) implanté dans chacune de ces communautés. Sur les fermes, on installe des projets : les

9 Traduction libre.

10 Ce lien a été fait par nos intervenants lors de nos enquêtes sur le terrain. Il nous semblait important de le présenter ici puisqu’il a été identifié comme un des impacts importants pour le milieu agricole lors de cette période de leur histoire.

(24)

13

aménagements eux-mêmes. Chaque agriculteur devient ainsi un participant. Pour un organigramme de l’organisation, voir Annexe 2.

Initialement développé en 2006 au Manitoba par Keystone Agricultural Producers (la plus importante association de producteurs agricoles de la province), en collaboration avec Delta Waterfowl Foundation (Mackenzie, 2008), le programme ALUS apparait pour la première fois en Ontario en 2007, dans le comté de Norfolk. Le programme est maintenant implanté dans six provinces par le biais de 19 communautés regroupant 722 agriculteurs participants cumulant plus de 15 500 projets pour une superficie de 18 500 acres (ALUS, 2015).

Le programme ALUS vise à rétribuer les agriculteurs pour les services qu’ils rendent à l’environnement par la revitalisation des superficies dites marginales, c’est-à-dire celles qui ne présentent pas un bon potentiel d’exploitation (ALUS, 2015). Il peut s’agir de revitaliser les bandes riveraines, installer des haies brise-vent, des haies pour les pollinisateurs, ou tout autre projet susceptible d’assurer le bon état de l’écosystème, sur une surface totalisant au maximum 20 % de la surface exploitable. La participation des agriculteurs est soumise à une entente dont la durée varie de trois à dix ans (ALUS, 2015). ALUS Canada est constitué en une entité légale à but non lucratif enregistrée au Canada et dont le conseil d’administration est composé d’employés-cadres d’ALUS et d’individus issus de Delta Waterfowl Foundation (Gouvernement du Canada, 2017). Les fonds proviennent de dons privés et de fondations, principalement W. Garfield Weston Foundation (appelée aussi Weston Family) et Ontario Trillium Foundation, en partenariat avec les gouvernements fédéral, provincial et municipal. Les communautés ALUS sont ensuite partiellement financées par ALUS Canada, en plus de devoir effectuer leurs propres levées de fonds à l’échelle locale pour environ 50 % de leur budget annuel. L’Annexe 3 présente les sources de financement et les partenariats pour le programme ALUS du comté de Norfolk entre 2011 et 2014, en soulignant que les fonds provenaient principalement de Metcalf Foundation et W. Garfield Weston Foundation (France & Campbell, 2015).

La démarche ALUS est volontaire et la nouvelle communauté doit être initiée par un groupe d’agriculteurs ou d’organisations dans une région donnée. Habituellement, l’initiative s’élabore à l’échelle d’un comté, mais parfois à l’échelle d’un bassin versant. Afin de faciliter l’implantation d’un programme, les agriculteurs intéressés sont accompagnés par un coordinateur ALUS et s’organisent autour d’un Partnership Advisory Committee (PAC) local. Les partenaires peuvent être les

(25)

14

municipalités, les Conservation Authorities11, les ONG environnementales, les Federation of Agriculture ou toute autre organisation impliquée dans la gestion de l’environnement. À titre d’exemple, le comté de Norfolk a été le premier à développer un PAC en 2011, alors composé de 16 membres, chacun étant un représentant des organisations suivantes : Delta Waterfowl, Norfolk Land Stewardship Council, Long Point Conservation Authority, Ontario Ministry of Natural Resources, deux représentants du gouvernement municipal de Norfolk, en plus de dix agriculteurs locaux. De ces dix agriculteurs, cinq agissent à titre de liaison pour assister le coordinateur ALUS dans les communications avec les agriculteurs du territoire et faire la promotion du programme (France & Campbell, 2015). Le coordinateur de projet est un employé d’ALUS qui agit à titre d’intermédiaire entre les agriculteurs et les organisateurs ALUS. Il assiste les agriculteurs dans les étapes du processus d’implantation de leur projet : déclaration d’intérêt, approbation de la requête, visite de la ferme, évaluation, plantation et gestion de la parcelle (Rosenberg, 2010). Le PAC est accompagné par des conseillers techniques qui ne sont pas impliqués dans la gestion et l’administration du programme (France et Campbell, 2015 ; Rosenberg 2010). La création d’un PAC est un principe fondamental dans le développement d’un programme ALUS. Il est créé à l’initiative conjuguée des organisations et des agriculteurs.

Dans un ces comités, au moins 50 % des sièges du PAC sont réservés aux agriculteurs. Ce sont d’ailleurs eux qui choisissent le fonctionnement de leur programme, les conditions d’entrée et de sortie du programme, le montant des sommes à verser, les services écosystémiques qui seront reconnus, etc., et chaque agriculteur qui implante un projet chez lui décide de la forme que prendra son projet. Finalement, chaque programme se veut unique, comme chaque projet est unique, à l’image de la complexité des milieux et des enjeux (Mackenzie 2008).

11 En Ontario, les Conservation Authorities sont des offices de protection de la nature mis en place suivant le Conservation Authorities

Act de 1947. Ces offices sont organisés à l’échelle de bassins versants, et veillent entre autres à l’application des règlements municipaux

(26)

15

Chaque programme doit répondre aux huit principes de ALUS (2015, traduction libre) :

Développé par la communauté : développé par les communautés locales pour demeurer flexible et respecter les priorités locales en matière d’environnement et d’agriculture.

Dirigé et livré par les agriculteurs : les agriculteurs sont les mieux placés pour offrir les services écosystémiques sur leur terre.

Ciblé : les terres marginales et écologiquement fragiles sont exploitées d’une façon différente pour offrir des services écosystémiques.

Orienté sur le marché : les services écosystémiques rendus par les activités du projet ont une valeur économique.

Volontaire : les agriculteurs choisissent de participer au programme et sont liés par des ententes flexibles qui s’intègrent à leurs opérations courantes.

Intégré : livré en complément des programmes de conservation existants, y compris les politiques fédérales et provinciales en matière d’environnement.

Responsable et transparent : le suivi et l’évaluation des projets sont effectués de façon indépendante.

Fondé sur la science : les sciences sociales, économiques et environnementales guident le développement et l’implantation du programme.

À l’origine, les responsables d’ALUS prévoyaient que le financement proviendrait uniquement des gouvernements, mais ils ont renoncé à cette option vu le contexte économique défavorable à la formulation d’une telle demande. En 2009, ils étudiaient plutôt un financement provenant de la vente de services écosystémiques (éco crédits), en marge du marché du carbone pour mieux contrôler la marque ALUS et le produit que constitue le programme (Rosenberg, 2010). Aujourd’hui, le financement du programme repose sur la collecte de fonds auprès de fondations, de compagnies et d’individus. ALUS choisit finalement d’endosser un rôle d’intermédiaire, ce que Rosenberg nomme « courtier », comme une interface entre les bailleurs de fonds et les agriculteurs, donc entre acheteurs et fournisseurs de services écologiques (Rosenberg, 2010).

Les rétributions aux agriculteurs pour leurs projets sont basées sur le coût de location de la terre à l’acre en vigueur dans la région, soit 150 $/acre/année en 2011 dans le comté de Norfolk (France et Campbell, 2015 ; Campbell, 2014), pour la non-utilisation de la parcelle par l’agriculteur, avec l’obligation d’en faire l’entretien afin d’éviter la repousse des espèces non désirées. L’agriculteur peut

(27)

16

aussi recevoir 75 $/acre/année (en 2011, comté de Norfolk) à titre de dédommagement s’il évite de faire paitre ses animaux ou de récolter le foin dans les espaces naturels de sa propriété durant la période de nidification des oiseaux (France et Campbell, 2015). En tout temps, l’agriculteur est libre d’abandonner le programme, mais les paiements sont alors ajustés en conséquence, au prorata du nombre de mois de participation (ALUS, 2015). Si l’agriculteur ne peut assumer les frais d’implantation, ils peuvent en partie être couverts par le programme et ces sommes sont ensuite déduites des rétributions. Certains frais d’implantation du projet sur la ferme sont admissibles au programme (semences, arbres, excavation) et d’autres reviennent à l’agriculteur (travail de culture, essence) (France et Campbell, 2015). En cas de rupture de l’entente avant échéance, l’agriculteur doit rembourser les frais d’implantation. Dans une situation ou le participant est un propriétaire terrien ayant mis sa terre en location auprès d’un agriculteur qui l’exploite, les ententes avec ALUS sont toujours prises avec le propriétaire de la parcelle, et non avec les agriculteurs locataires. Comme le programme s’adresse aux agriculteurs seulement, le propriétaire peut utiliser le numéro d’enregistrement d’agriculteur de son locataire pour être admissible au programme ALUS. Dans une telle situation, le propriétaire doit s’entendre avec l’agriculteur pour ajuster le coût de location lorsqu’une surface est retirée de la production pour implanter un projet, mais aussi pour faire respecter l’intégrité du projet lors des travaux au champs. Les coûts d’entretiens du projet sont assurés par le propriétaire et les rétributions lui sont aussi versées.

1.6 Survol des études consacrées à ALUS

Peu d’études portent spécifiquement sur le système ALUS (France et Campbell, 2015 ; Mackenzie, 2008). L’inventaire réalisé en 2012 par Campbell (2014) illustre la rareté de contenu consacré au sujet. On constate que l’essentiel des documents provient de la presse généraliste. Ces mêmes sources et quelques supplémentaires revisitées aujourd’hui (voir Tableau 1) ne présentent que peu de différences, sinon quelques documents de presse et de littérature grise supplémentaires, mais toujours peu d’articles scientifiques publiés dans une revue (un seul des six recensés se consacre spécifiquement à ALUS, il traite du projet pilote 2006-2008 mené à Blanshard, Manitoba).

(28)

17

Tableau 1 – Nombre et type de publications consacrées à ALUS, recherche conduite le 3 août 2018 dans les bases de donnée en utilisant les termes « ALUS », « ALUS program »,

« Programme ALUS » et « Alternative Land Use Services »

Base de données Publications revues par les

pairs

Littérature grise1 Communiqués et

articles de presse2 Thèses et mémoires Total World Cat © - - 1 5 6 Web of Science © 1 - - - 1 Scopus © - - - - 0 Science Direct © 4 - 1 - 5 Agricola © - - - - 0 EBSCO © - 1 10 - 11 CAB Abstracts © 1 - - 3 4

Scholar Portal Books - - - 1 1

Pro Quest - - - 17 17 Delta Waterfowl Foundation Website - - 22 - 22 Keystone Agricultural Producers Website - 7 - - 7 Norfolk County Federation of Agriculture Website - 1 90 3 94

Prince Edward Island Department of Agriculture Website - 2 - - 2 Youtube © - ALUS Channel - - 2 - 2 ALUS Website 7 30 7 44 Total 6 18 156 36 216

1La littérature grise comprenait des fiches d’information, des propositions de projets, des rapports de projets, des documents de consultants.

2Les communiqués et articles de presse comprenaient des communiqués de presse sur le web, des copies électroniques des documents de presse, des articles de presse. Source : Adapté de Campbell, (2014).

(29)

18

Une seule étude trouvée (Tyrchniewicz & Tyrchniewicz, 2007) portait précisément sur l’évaluation économique du potentiel des services écosystémiques rendus par ALUS à l’échelle du Canada (voir Tableau 2). L’estimation de la valeur des services rendus était de 820 millions $/an pour un coût de 740 millions $/an, basée sur un tarif arbitraire de 20 $/acre/an (peut-être inspiré par les rétributions offertes dans les provinces de l’Ouest) avec un rappel que les chiffres pourraient varier beaucoup en fonction de multiples critères tels que la valeur des terres et le coût d’opportunité. D’après certains auteurs, cette étude semble avoir été déterminante pour l’endossement de l’approche ALUS par les gouvernements provinciaux en montrant que les bénéfices étaient supérieurs aux coûts (Guerra, 2010 ; Rosenberg, 2010).

(30)

19

Tableau 2 – Aperçu des réductions de coûts possibles et des avantages potentiels pour la société, adapté de Tyrchniewicz & Tyrchniewicz (2007).

Région Acres ALUS1 (000)

Paiements ALUS $ (000)

Réductions de coûts2 $ (000) Basé sur les

terres écologiquements sensibles d’ALUS

Bénéfices potentiels pour la société3 $ (000)

Basé sur toutes les terres d’ALUS

(20$/acre/année) Haut Meilleur est. Bas Haut Meilleur est. Bas

Ouest du Canada 31,767 (4,400) – ESL 635 340$ 67 485$ (15,34$/ac/an) 42 109$ (9,57$/ac/an) 19 352$ (4,40$/ac/an) 905 740 (28,51$ ac/an) 575 865 (18,13$/ac/an) 288 061$ (9,07$/ac/an) Est du Canada 5,171 (600) – ESL 103 420$ 32 445$ (54,08$/ac/an) 19 693$ (32,82$/ac/an) 7 273$ (12,12$/ac/an) 441 678$ (85,41$/ac/an) 244 881 (47,36$/ac/an) 113 215$ (21,89$/ac/an) Total 36,938 738 760$ 99 930$ 64 802$ 26 625$ 1 347 418$ 820 746$ 401 276$

1Acres ALUS : le ratio des terres ALUS de l’Ouest du Canada comparé à celui de l’Est du Canada est basé sur les estimations des terres agricoles totales de Statistiques Canada (2002). Cela suppose que le ratio des terres agricoles s’applique aux acres ALUS. Les acres entre parenthèses représentent les terres écologiquement sensibles d’ALUS.

2 L’Ouest du Canada comprend : les paiements gouvernementaux économisés, les primes assurances-récoltes économisées, l’amélioration de la qualité de l’eau et la réduction de l’érosion éolienne. L’Est du Canada comprend : les paiements gouvernementaux épargnés, le traitement de l’eau, la diminution de la sédimentation et la diminution des inondations. Ces colonnes ne sont appliquées que sur les terres ALUS écologiquement sensibles, car les réductions de coûts supposent un changement de production.

3 L’Ouest canadien comprend : les loisirs aquatiques, la réduction des émissions de GES, la séquestration du carbone, la chasse accrue de la faune et l’observation accrue de la faune. L’Est du Canada comprend : la pêche récréative accrue, les autres activités récréatives aquatiques, la réduction des émissions de GES, la séquestration du carbone, la chasse accrue de la faune et l’observation accrue de la faune.

(31)

20

Une autre étude (Mackenzie, 2008) a fait une évaluation comparative du entre le modèle ALUS et des options alternatives disponibles en matière de promotion de la protection et de la gestion des terres agricoles en contexte périurbain (région de Toronto). Cette étude suggère que, dans ce contexte, le modèle ALUS serait particulièrement approprié pour stopper l’étalement urbain, protéger les terres agricoles et maintenir les services écologiques. L’auteur arrive à cette conclusion après avoir comparé différents programmes incitatifs en agroenvironnement en Ontario selon des critères de durabilité, et après avoir établi les caractéristiques nécessaires à un programme pour permettre l’émergence d’une agriculture durable dans la ceinture verte. Selon lui, ALUS permettrait de supporter les agriculteurs face à la pression économique sur le foncier qu’entraîne la proximité de la ville, encouragerait la pluriactivité (nécessaire à la survie des fermes périurbaine, selon la littérature) en représentant une source de revenu supplémentaire, et renforcerait la valeur ajoutée des produits vendus en circuits courts dans la cité par l’engagement environnemental de l’agriculteur.

Quant à lui, Guerra (2010) évalue les coûts d’implantation d’un programme de rétribution des services écologiques à l’échelle de l’Ontario. Il effectue cet exercice au sein d’une étude plus large portant sur les principes qui devraient guider le développement d’une politique sur les services environnementaux en Ontario. Il s’appuie sur une analyse des leçons que l’on peut tirer de différentes expériences à l’étranger (États-Unis, Angleterre, Australie, Costa Rica). Il consacre un chapitre à l’étude du concept ALUS et à son implantation au Manitoba, en Ontario (Norfolk) et à l’Île-du-Prince-Édouard. Ce chapitre essentiellement descriptif souligne la spécificité du déploiement de ALUS à l’Île-du-Prince-Édouard sous forme de programme gouvernemental. Concernant le développement d’une politique, les principes qu’il propose sont : une définition claire des objectifs ; la recherche de l’équité ; l’efficience des coûts ; le caractère intégré de la politique ; la faisabilité politique. L’auteur recommande d’avoir d’abord une définition claire et uniformisée de ce que sont les services écologiques, une définition à ce moment manquante en Ontario selon lui. Il ajoute une liste d’éléments essentiels relatifs à l’aspect pratique de la conception : l’implantation du point de vue le plus local possible ; la collecte d’informations sur les caractéristiques écologiques des sites potentiels d’implantation de projets ; la protection de la vie privée des propriétaires fonciers (confidentialité) ; l’augmentation des interactions entre les bénéficiaires et les fournisseurs de services environnementaux. Il est intéressant de constater que son analyse du contexte ontarien reconnait la complexité de la question législative et des obstacles que cela peut représenter. À titre d’exemple, lorsque les agriculteurs améliorent leur écosystème et créent des habitats pour les espèces en danger, la législation sur les espèces en danger peut

(32)

21

s’appliquer et restreindre les activités de l’agriculteur sur sa terre dans un périmètre autour du nouvel habitat. Dans le même ordre d’idée, Guerra souligne l’importance de considérer le concept de « nuisance légalisée » (en référence à Brubaker [2009], Fox [1992] et Coase [1960]) qu’entraine la législation entourant le « right-to-farm » en Ontario. Selon lui, cette législation exempte les agriculteurs de la responsabilité liée à leurs activités agricoles, et en quelque sorte, légalise la nuisance que peuvent causer à la propriété d’autrui les activités de l’agriculteur12. On assiste ici à une rivalité des

droits, entre le droit de produire et le droit de propriété. Guerra s’appuie donc sur le concept « d’invasion physique » de Rothbard (1982) pour considérer que si la pollution créée par l’agriculteur atteint la propriété d’autrui, il s’agit d’une violation de la propriété et d’une nuisance à jouir de cette propriété, deux actions illégales selon la Common Law au Canada. Les actions correctives de l’agriculteur ne devraient donc pas être reconnues comme un service environnemental, mais comme une action conduisant au respect de son obligation de cessation de nuire.

Selon lui, le principe primordial qui devrait guider les décisions en matière d’environnement est la justice, en récompensant ceux qui produisent des services qui bénéficient aux autres et en ne récompensant pas ceux qui ne font qu’atténuer leurs propres dommages. Selon Guerra, il est impossible d’évaluer les programmes dédiés aux services environnementaux sur la base de leur efficience. Concernant l’évaluation du coût d’implantation d’un programme à l’échelle provinciale, Guerra s’appuie sur Perry (1989), Williamson (1985) et Coase (1960) pour évaluer les coûts de transaction. Il cite Klimas (2007) et Spulber (1996) pour identifier comment les coûts de transaction peuvent être réduits par l’utilisation de firmes spécialisées appelées « intermédiaires », comme le sont les ALUS. Sans s’attarder à évaluer les avantages et les limites de ALUS en particulier, il souligne parmi les forces du programme son rôle d’intermédiaire. Il affirme aussi que les programmes de rétribution de services écologiques devraient s’adresser à tout propriétaire terrien plutôt qu’aux agriculteurs seulement, ce qui constitue selon lui une limite du programme ALUS, mais sans le nommer.

Dans une autre étude, Rosenberg (2010) fait un travail d’analyse des critères de succès qui contribuent au développement des capacités des communautés à implanter des programmes de rétribution des services environnementaux, et examine si l’approche ALUS englobe ces facteurs critiques de succès.

12 Cela dit, il existe des normes environnementales auxquelles doivent se soumettre les agriculteurs pour limiter le dommage que leurs activités, si elles n’étaient pas encadrées, pourraient entrainer à la propriété d’autrui, par exemple les riverains situés en aval d’une parcelle agricole adjacente à un cours d’eau.

(33)

22

Son analyse s’inscrit sous l’angle du capital social, et emprunte à la fois à la sociologie et à l’économie. S’appuyant sur une vaste revue de la littérature, Rosenberg propose la définition suivante du capital social: « […] enhanced capacity to resources, accrued due to relationships within networks, the trust that exists between those individuals, and the norms imposed within those networks » (p. 37). Le programme ALUS joue ici le rôle de courtier (broker) et sert d’interface de communication et de négociation entre les agriculteurs d’un côté et les financeurs et les bénéficiaires de l’autre. L’accent est mis sur la nécessité du lien de confiance pour articuler les coordinations. Les différentes implications de la notion de confiance sont analysées, entre autres l’utilité de la confiance pour composer avec l’information incomplète dans la prise de décision par les parties prenantes. Le processus de participation, la capacité communautaire et les objectifs des programmes de rétribution des services écologiques sont aussi des thèmes analysés dans cette étude. Par sa méthodologie, Rosenberg a effectué une triangulation entre une analyse de contenu, des entretiens et des groupes de discussion avec des participants et des non-participants aux programmes ALUS afin de faire émerger les facteurs critiques qui entrainent la participation à un programme de rétribution des services environnementaux, quel qu’il soit.

Parmi les facteurs qui ont émergé dans chacune des méthodes, six étaient communs aux trois méthodes et ont été considérés comme critiques (voir Annexe 4). Il s’agit de : capital social et confiance, processus de participation, capacité communautaire13, simplicité du programme,

confidentialité et responsabilité, communication et gestion des attentes. L’auteure explore aussi les motivations en amont de la prise de décision de participer ou non à un programme. Les motivations importantes sont les incitatifs financiers, la reconnaissance sociale et les valeurs morales (environnementales, sociales) des participants. Elle développe un cadre d’analyse incluant ces notions (voir Annexe 5). Selon l’auteure, presque tous les facteurs critiques de participation se retrouvent dans la communauté ALUS étudiée (Norfolk) ; elle en fait la démonstration et l’analyse par le biais du récit, pour chacun des facteurs, en sollicitant les données recueillies tant auprès des participants que des non-participants. Rosenberg souligne que dans la communauté à l’étude, le capital social existait avant l’implantation du projet pilote, et que l’utilisation des réseaux existants, des relations de confiance, des normes sociales et des familiarités a facilité la participation des agriculteurs au programme. Dans son

13 « La capacité communautaire implique l’élaboration de politiques, de programmes et activités qui misent sur les compétences et les atouts des membres de la communauté dans lesquels le programme est dirigé. La capacité de la communauté est axée sur les processus plutôt que sur les résultats. C’est une approche qui considère la réalité comme construite socialement, et culturellement spécifique. » (traduction) (Rosenberg, 2010. p.94)

Figure

Graphique 1 – Budget du Ministère de l’Environnement de l’Ontario et intérêt de la population  envers l’environnement
Tableau 1 – Nombre et type de publications consacrées à ALUS, recherche conduite le 3 août  2018 dans les bases de donnée en utilisant les termes « ALUS », « ALUS program »,
Tableau 2 – Aperçu des réductions de coûts possibles et des avantages potentiels pour la société, adapté de Tyrchniewicz & Tyrchniewicz  (2007)
Graphique 2 – La représentation des services écosystémiques et de leurs finalités selon le  Millenium Ecosystem Assessment (MEA, 2005) (traduction) (Lapchin, 2012)
+7

Références

Documents relatifs

Discuss the types of problems that were encountered as early Canadian towns grew, and describe planning concepts that were developed to address those concerns.. Describe the

development measures that form the statutory foundation and formal processes that guide planning in Canada.. Include in your discussion the general process of plan

Zoning, development control, and redevelopment plans are the typical planning tools used to control development in Canadian communities.. Discuss each of these tools, outlining

Zoning, development control, and redevelopment plans are the typical planning tools used to control development in Canadian communities.. Discuss each of these tools, outlining

In large cities where substantial population growth has occurred, city planners are looking at finding affordable, eco-conscious ways to combat urban sprawl and ease the

Discuss some of the key information a city will gather from these organizations and how this data will influence its planning for future growth.. Many abandoned railway

Statistics Canada, local real estate boards, environmental organizations, various government and non-government organizations (and numerous others) are constantly producing

A small city in Western Canada is in the process of creating an "Official Community Plan." Explain the purpose of this document, and describe the main.. topics (i.e.