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Chapitre 1 : Problématique

1.2 Contexte scientifique

1.2.2 Les représentations sociales d’enseignants

La section suivante sert à illustrer l’intérêt de considérer les représentations sociales des enseignants comme objet de recherche. Une revue d’écrits théoriques sur des construits psychosociaux reliés (les croyances et les perceptions et les représentations) étayée ci- dessous (Pajares, 1992; Richards et Lockhard, 1994; Freeman et Johnson, 1998; Stritikus, 2002; de Jong, 2008) permet de constater qu’il existe un consensus parmi les chercheurs dans le domaine de l’éducation selon lequel ces construits influencent la pratique enseignante.

1.2.2.1 Enseigner, c’est un acte de réflexif

Freeman et Johnson (1998) situent la pensée des enseignants comme un élément essentiel de l’acte d’enseigner en s’appuyant sur une importante recension des écrits portant sur les définitions de l’acte d’enseigner formulées dans le domaine des langues secondes depuis les années 1960. Ces chercheurs font appel à une « nouvelle conceptualisation »

de l’enseignement comme un processus de type réflexif, socioconstructif, contextualisé et dynamique.

“Teachers are not empty vessels waiting to be filled with theoretical and pedagogical skills; they are individuals who enter teacher education programs with prior experiences, personal values, and beliefs that inform their knowledge about teaching and shape what they do in their classroom.” (Freeman et Johnson, 1998, p.401)

Puisque la pensée des enseignants est un élément fondamental de l’acte d’enseigner, comment la définir et la transformer en objet de recherche? Bien que le corpus de recherches sur la pensée des enseignants s’élargisse de plus en plus, le choix des termes utilisés pour désigner les diverses catégories demeure problématique (Pajares, 1992, p.308). Ce chercheur explique que les construits sociaux issus des domaines de la psychologie et de la sociologie, comme les idéologies, les valeurs, les représentations, les attitudes, les croyances et les perceptions- pour en nommer quelques-uns, sont souvent utilisés de manière interchangeable (ibid., p.309).

Nous nous sommes heurtée à cette difficulté dans le choix du terme à utiliser pour définir notre objet de recherche. Toutefois, avant de nous arrêter sur un choix, nous avons exploré différents écrits portant sur deux catégories de la pensée qui partagent la même fonction : l’interprétation de réalités complexes. Par ailleurs, nous avons remarqué que les termes choisis varient selon les pays où les études ont été menées. Par exemple, aux États-Unis, les « croyances » des enseignants émergent comme un sujet de recherche important en lien avec la prise en compte de la diversité ethnoculturelle et linguistique dans les écoles, alors que les écrits recensés dans le cadre européen tendent à privilégier l’emploi du terme représentations. Moscovici (1989), un auteur que certains désignent comme le père de la notion de représentations sociales, constate que ce terme semble

largement se limiter aux recherches menées en langue française. Ne trouvant pas d’explication pour ce fait, Moscovici conclut que : « la question reste ouverte » (p.84).

1.2.2.2 L’apport des croyances dans l’enseignement

Pour sa part, Pajares (1992) a mené une importante synthèse des écrits sur les ouvrages théoriques portant sur les croyances (publiés entre 1979 et 1992) avec l’objectif de promouvoir plus de clarté conceptuelle entourant l’emploi de ce terme dans le domaine de l’éducation. Ce chercheur parvient à identifier des postulats fondamentaux faisant l’objet d’un consensus général et pouvant servir de fondements pour la construction d’une enquête sur les croyances des enseignants, ou tout construit psychosocial relié.

Notamment, les éléments suivants se dégagent de la recension de Pajares (1992): certaines croyances des enseignants en lien avec l’éducation seraient formées tôt dans leur vie, même avant la formation initiale en enseignement; elles seraient résistantes aux changements (par exemple aux effets des cours universitaires); elles auraient le pouvoir d’influencer la pratique enseignante, en particulier, dans les tâches cognitives comme la compréhension, la planification, le jugement et l’évaluation, étant donné leur fonction d’interprétation; et elles jouent un rôle important dans les activités quotidiennes, cela grâce à leur fonction d’orientation de la conduite (traduction libre de l’auteure du présent mémoire, p. 324-326).

À l’instar de Pajares (1992), nous postulons qu’il serait important de se pencher sur les croyances des enseignants dans la mesure où celles-ci sont susceptibles de jouer un rôle prépondérant dans la pratique enseignante. D’après ce chercheur, le corpus grandissant de recherches dans le domaine suggère: « a strong relationship between teachers’

educational beliefs and their planning, instructional decisions, and classroom practices

1.2.2.3 Les croyances des enseignants de langue seconde

Par ailleurs, dans le domaine plus spécifique de l’enseignement des langues secondes, les chercheurs Richards et Lockhart (1994) ont également étudié les croyances. D’après ces auteurs, les enseignants de langue seconde ont des « systèmes de croyances » complexes qui sont composés d’objectifs, de valeurs et de croyances sur les contenus à enseigner, sur le processus d’enseignement, sur la compréhension du système éducatif et sur les rôles des acteurs dans ce système. Ces éléments seraient constitutifs d’une « culture de

l’enseignement ». Les systèmes de croyances des enseignants évolueraient dans le temps

et possèderaient à la fois une dimension objective et une dimension subjective (p.30). De plus, Richards et Lockhart (1994) soutiennent que les croyances des enseignants de langue seconde proviennent de plusieurs sources, parmi lesquelles ils ont répertorié les suivantes: les expériences personnelles, les expériences professionnelles, les pratiques promues dans le milieu scolaire, la personnalité de l’individu, la recherche en éducation, la formation de l’enseignant dans un autre domaine et une approche ou une méthode d’enseignement quelconque. De plus, ces chercheurs soulignent que les croyances des enseignants sur la nature de l’apprentissage et sur les moyens d’apprendre une langue seconde, même si elles sont implicites, orientent leurs interventions (ibid., p.35-36). Richards et Lockhart (1994) rapportent également que les enseignants de langue seconde peuvent partager des croyances divergentes sur ce qui constitue les meilleures pratiques dans leur domaine et par conséquent, leurs pratiques actuelles en salle de classe peuvent s’avérer très différentes (p.40).

En résumé, il existe des croyances partagées par un grand nombre d’enseignants pouvant être considérées comme constituant la culture enseignante, mais il existe aussi des croyances individuelles, ce qui fait qu’une multitude de pratiques enseignantes se développe dans une même discipline, en l’occurrence, l’enseignement et l’apprentissage des langues secondes.

1.2.2.4 L’interprétation des politiques et programmes éducatifs

Par ailleurs, des travaux plus récents de chercheurs comme Stritikus (2002) et de Jong (2008) illustrent la façon dont les enseignants interprètent les politiques et les programmes éducatifs en langue seconde et les transforment en pratiques individuelles dans leur classe (voir aussi Breton-Carbonneau et Cleghorn, 2010 et Armand et al. 2013). Ce processus d’appropriation est décrit comme étant tout autre que linéaire et hiérarchique ou « top-down ». Notamment, ces chercheurs considèrent que les interprétations faites par les enseignants peuvent influencer la nature de leurs pratiques encore plus que les discours officiels présents dans les documents-cadres.

Dans ce même ordre d’idées, l’étude menée par deJong (2008) illustre la manière dont des enseignants bilingues ont résisté aux pressions assimilationnistes d’une loi érigeant l’anglais au statut de langue unique d’enseignement dans un district scolaire traditionnellement bilingue (anglais-espagnol) des États-Unis. À travers leurs interprétations des documents législatifs, les enseignants ont maintenu certaines pratiques bilingues, en dépit de la présence de cette loi « monolingue ».

Malgré la portée du concept des croyances telle qu’illustrée plus haut, cette catégorie de la pensée nous semble insuffisante pour rendre compte des savoirs pratiques des enseignants, de leurs connaissances issues de la formation universitaire et d’autres catégories plus objectives ou du moins, socialement partagées comme les idéologies et les valeurs.

1.2.2.5 La notion de représentations sociales

Toutefois, une recension des écrits en langue française nous a permis d’identifier la notion de représentations sociales comme un concept général englobant divers construits psychosociaux comme les idéologies, les représentations, les croyances, les attitudes et les opinions. En fait, les représentations sociales se situeraient sur un continuum comportant à la fois des construits plus stables et partagés par un grand nombre d’individus, comme les idéologies, et des construits plus fragiles qui sont variables selon les individus ou encore selon les groupes sociaux, comme les opinions (Jodelet, 1989, 2003).

De plus, les représentations sociales seraient partagées par les individus appartenant à un même groupe social ayant des caractéristiques similaires, par exemple l’étude des représentations de travailleurs de la santé quant à l’usage de la marijuana (Courty, 2007) ou encore, l’étude des représentations d’enseignants d’histoire et leurs représentations d’un nouveau programme d’éducation à la citoyenneté (Moisan, 2010).

Dans la présente étude, nous portons un regard sur les représentations d’enseignants quant à l’intégration des élèves allophones immigrants dans trois écoles secondaires québécoises. Ce concept sera exploré plus en détail dans la section 2.2 du cadre conceptuel de ce mémoire.

Ce que nous retenons…

x L’acte d’enseigner est réflexif, socioconstructif, contextualisé et dynamique (Freeman et Johnson, 1998)

x Divers construits psychosociaux sont utilisés de manière interchangeable pour étudier la pensée d’enseignants (croyances, perceptions, conceptions, représentations, etc.) (Pajares, 1992)

x Les croyances jouent un rôle important dans l’enseignement, l’évaluation, l’intervention, etc. et en particulier dans le domaine des langues secondes (Richards et Lockhart, 1994)

x Les croyances d’enseignants sont susceptibles d’influencer la réussite d’élèves x Les représentations sociales consistent en une catégorie plus large qui englobe divers construits (Jodelet, 1989, 2003)

x Le cadre théorique des représentations sociales a été étayé par Moscovici (1989) et par Jodelet (1989, 2003)

x Les représentations sociales sont étudiées dans le contexte d’un corps professionnel comme les travailleurs de la santé ou les enseignants d’histoire (Courty, 2007; Moisan, 2010)