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Les références incontournables utilisées par le terrain

Chapitre 3. La diversité vue par le monde organisationnel

3.1. Deux mondes aux langages différents et aux interprétations différentes

3.1.1. Les références incontournables utilisées par le terrain

En tout premier lieu, le monde organisationnel s’appuie fortement sur les dimensions légales de la diversité, qu’il s’agisse de dimensions légales à un niveau anglo-saxon, européen ou plus précisément français. Du côté français, cela participe d’un souhait de ne pas être pénalisé et puni. Ceci est d’autant plus vrai que les organisations doivent répondre à des lois de plus en plus nombreuses relatives à des dimensions de la diversité. Non seulement, les organisations se doivent de respecter la loi L.1132-1 du Code du travail, mais elles doivent aussi en respecter d’autres les rendant passibles, notamment de sanctions économiques. Parmi les plus importantes, se retrouvent :

Le monde organisationn el a une vision orientée business case Point commun avec les études universitaires : la dimension

légale de la diversité

• La loi L. 2005-102 (loi handicap)

Dans le cadre de cette loi, il existe plusieurs façons de déployer une politique handicap au sein d’une organisation, entre « démarches réactives et proactives » (Point et al., 2010) parmi lesquelles le système d’accord est le plus avantageux (Naschberger, 2007 ; Sachet-Milliat, Maizeray, 2012) :

• Tout d’abord, une organisation peut choisir de s’occuper volontairement du sujet handicap ou non sans recourir à des dispositifs légaux, mais peut tout à fait faire l’objet d’un accord non agréé par la DIRECCTE en interne. Dans ce cas, si le taux d’emploi des 6 % de personnes en situation de handicap n’est pas atteint, elle verse des indemnités à l’AGEFIPH (pour le privé) ou à la FIFPH (pour le public).

• Une seconde solution est la convention signée avec la FIFHFP ou l’AGEFIPH. Cette convention ne libère pas l’organisation de son obligation légale, mais en revanche elle bénéficie d’une aide adaptée pour pouvoir atteindre les objectifs fixés dans la convention d’une durée de 12 à 24 mois.

• La troisième solution est très souvent utilisée par les entreprises qui ont du mal à atteindre le quota fixé par la loi du fait de la spécificité de leurs métiers et des niveaux de diplôme par exemple : l’accord agréé (d’entreprise, d’établissement ou de branche). Cet accord, comme tout accord, est signé avec les IRP. A ceci s’ajoute une procédure d’agrément de la DIRRECTE du siège de l’organisation. Le budget de l’accord est soumis à des règles strictes, notamment en ce qu’il est au minimum égal au montant de la contribution qui devrait être versée à l’AGEFIPH s’il n’avait pas existé. L’argent est ainsi directement distribué en interne pour favoriser l’emploi et le maintien dans l’emploi des personnes en situation de handicap. D’une durée de trois ans en moyenne, renouvelables sous certaines conditions, les aides de l’AGEFIPH proposées dans le cadre des conventions ne sont plus possibles.

Cas Respect de

la loi ? Options possibles

1 Quota non

atteint Versement d’indemnités / choix d’un accord non agréé 2 Quota non

atteint

Versement d’indemnités redistribuées pour aider à atteindre le quota dans le cadre d’une convention avec l’AGEFIPH

3 Quota non

atteint Accord agréé par la DIRECCTE et budget de fonctionnement au moins égal à l’indemnité qui aurait été versée s’il n’y avait pas eu d’accord 4 Quota

respecté Pas d’indemnités à verser / accord non agréé possible

Tableau 2. Récapitulatif des marges de manœuvre pour respecter la loi handicap de 2005 du côté des organisations du secteur privé

• La loi du 27/01/11 relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance et à l’égalité professionnelle (loi mixité des genres)

• La loi 2013-185 du 1er mars 2013 portant création du contrat de génération et Décret 2013-222 du 15 mars 2013 relatif au contrat de génération (loi insertion des jeunes et maintien dans l’emploi des seniors).

Ce qui pousserait donc les organisations à s’intéresser à la diversité reposerait sur un mécanisme de sanction et d’incitation économique. La réalité de la diversité en entreprise ne consisterait pas tant à en obtenir des bénéfices qu’éviter des pertes financières pour non-respect des lois relatives à cette-dernière.

Du point de vue juridique pur, ce droit pénal du travail qui a pour vocation de sanctionner les discriminations est assez paradoxal dans l’utilisation qu’en font les entreprises. Lorsque les discours organisationnels expliquent que la mise en place d’une politique diversité repose sur la peur de sanctions pénales, à regarder de plus près le mécanisme, très peu de sanctions semblent être mises en œuvre au final. Il est légitime de se demander si la vraie raison de s’occuper de diversité n’est pas une fausse raison dont les acteurs d’une politique diversité n’ont pas même conscience. Le Professeur Alain Coeuret, juriste, explique dans Le droit pénal du travail à l’épreuve des discriminations

La peur de sanctions

La peur de sanctions : une fausse raison ?

(Coeuret, 2007) que si « la discrimination est passible de sanctions pénales, c’est qu’elle n’est pas banale ».

Pourtant, le phénomène semble banalisé. Très peu de plaintes en matière de discrimination au travail sont encore déposées. Les dirigeants d’entreprise, les responsables s’en retrouvent soulagés, non pas tant parce que la sanction financière est ainsi évitée que parce que la sanction de nuisance à la réputation qui lui est assortie est contournée. Après tout, ce sont surtout les vrais auteurs de discriminations, c’est-à-dire les collaborateurs eux-mêmes, qui risquent une sanction au niveau pénal. Mais comme les victimes ont tendance à banaliser les faits et ne portent pas plainte, la discrimination directe devient discrimination indirecte et se retrouve minimisée au point d’être niée dans son existence (Coeuret, 2006).

« Même limitées à la sphère des relations employeurs-salariés, les dispositions répressives que ce Code consacre à la discrimination ne sont pas générales et concernent essentiellement deux catégories de comportements : ceux qui opèrent une différence de traitement à partir de l'appartenance ou de l'activité syndicale et ceux qui consacrent cette même différence en considération du sexe ou de la situation de famille du salarié. Aucune unité n'existe entre ces deux séries de règles dont on peut aisément constater qu'elles sont issues de temps différents de l'histoire sociale française et qu'elles consacrent des régimes répressifs assez largement hétérogènes, notamment au niveau des peines » (Coeuret, 2006).

Tout le paradoxe tire son origine dans le fait même qu’il n’existe aucune unité dans le traitement pénal des diverses formes de discrimination. La façon dont la discrimination face au handicap sera sanctionnée ne sera pas la même que pour la discrimination à l’égard du genre ou encore de l’appartenance syndicale. Si le Professeur Coeuret est donc partisan d’une diversification des lois en matière de discrimination, ceci s’expliquant par des phénomènes sociétaux et historiques et d’un point de vue juridique, pourquoi les responsables diversités expriment-ils parfois leurs craintes de voir apparaitre

Derrière les sanctions pénales la peur d’un risque de réputation ?

de nouvelles lois en la matière alors qu’au final il n’existe pas un risque pénal aussi important que supposé? Est-ce parce que la réputation de leur entreprise est en jeu et donc sa pérennité économique ?

A cette première question s’ajoute le constat suivant : d’un point de vue juridique la diversification des lois pénales en matière de discrimination se justifie ; du point de vue de l’organisation, commencent à se poser des problèmes d’ordre pragmatique, notamment savoir comment faire pour prendre en compte de nombreuses contraintes légales dans un environnement où le temps est compté. Le DRH du Groupe Crédit Agricole S.A. et les responsables diversités n’échappent pas à un tel questionnement. La difficulté de la mise en œuvre de la diversité (Bender, Pigeyre, 2009) et plus simplement de la non- discrimination en entreprise est une réalité à laquelle DRH et responsables diversité(s) sont constamment confrontés : difficultés à persuader les opérationnels, faire descendre les messages,…

Comment concilier des impératifs légaux de plus en plus nombreux et exigeants avec les politiques de gestions des ressources humaines déjà existantes ? Avec les impératifs d’ordre économique ? Avec les attentes des collaborateurs et clients qui ne sont peut-être pas forcément énoncées dans les lois ?

Les DRH et responsables diversités s’appuient sur l’aspect légal de la diversité pour traiter du sujet, mais ne donnent que rarement une définition à la diversité (Point, 2006). Tout se passe comme si la diversité était une notion qui allait de soi, qui n’avait pas besoin d’explication, alors que, rien que sous son angle juridique, elle amène des paradoxes. La diversité des formes que peut revêtir la discrimination ramène dès lors les esprits qui aimeraient rationaliser au maximum le sujet diversité par ce biais-là à la part d’obscurité abyssale qu’elle comporte, notamment concernant les raisons de créer des politiques de gestions de la diversité, mais aussi les raisons éventuelles d’y adhérer.

Malgré cette référence incontournable pénale et juridique concernant la diversité, il est très rare de voir dans les discours organisationnels une

Derrière les contraintes légales, la question de la contrainte temporelle : rentabiliser le temps Le monde organisationnel s’occupe de mettre en place des actions et des

politiques diversités sans

pour autant établir de définitions

référence explicite à ce qui est sous-entendu par ce terme. C’est d’ailleurs ce que l’étude de Point et Singh (Point, Singh, 2004) met en avant : sur 250 sites internet pour 8 pays d’Europe, seule une dizaine d’entreprise donnent leurs définitions de la diversité. L’étude plus récente d’Hélène Garner-Moyer (Garner-Moyer, 2009), quant à elle, révèle que les accords d’entreprise sur la diversité, donnent rarement une définition de la diversité si ce n’est qu’ils se réfèrent essentiellement à la lutte contre les discriminations. D’ailleurs la Charte de la Diversité (cf. Annexe 3) sur laquelle les entreprises s’appuient lorsqu’elles choisissent de travailler sur le sujet et de s’engager en la matière ne fait pas plus état d’une définition précise.

La Charte de la Diversité8 a été lancée le 22 octobre 2004, suite au rapport de l’Institut Montaigne co-écrit par Yazid Sabeg et Laurence Méhaignerie, Les oubliés de l’égalité des chances. Le texte de cette charte rédigé par plusieurs entreprises, par Claude Bébéar, Yazid Sabeg et coordonné par Laurence Méhaignerie est alors signé par 33 entreprises et PME. Au 8/09/13, elles sont 3018 entreprises signataires. Le Secrétariat général de la Charte de la Diversité créée en 2005, chargé de promouvoir ce texte sur le territoire français, veille aussi au respect de cette dernière par les entreprises signataires. Dans le monde organisationnel, il est possible de travailler sur la diversité sans savoir réellement ce qui est sous-entendu derrière ce-terme, si ce n’est une connotation légale.

A cet aspect de non-discrimination très fort s’ajoutent donc l’utilisation d’études légales et de statistiques produites relativement aux critères de non- discrimination.

Parmi les documents les plus utilisés se retrouvent :

 Des études produites par le Défenseur des Droits (ancienne Halde), par des associations nationales comme IMS Entreprendre pour la Cité (qui héberge d’ailleurs le secrétariat général de la Charte de la Diversité), par des observatoires luttant contre les discriminations en général et sur certaines en particulier (observatoire de la parentalité par exemple).

8http://www.charte-diversite.com/ Depuis 2004, importance de la Charte de la Diversité dans le monde organisationnel

 Des études statistiques concernant certaines dimensions de la diversité (lorsque la loi n’interdit pas les statistiques). En effet, par exemple, selon le pays, les statistiques ethniques sont autorisées (Etats-Unis) ou non (France). Cependant, ces statistiques faussent quelque peu la donne dans la mesure où elles ne sont pas toujours mises à jour, datent par rapport à la situation actuelle. Il est possible de penser au fait que les entreprises se réfèrent souvent aux statistiques de la DARES en matière de handicap, mais ces dernières datent de 2012. Comment est-il possible de comparer justement une situation donnée à un instant T avec une situation antérieure ? Le résultat de la comparaison ne peut qu’être approximatif.

 Des Livres blancs (notamment les livres blancs de l’Association Française des Managers de la Diversité, AFMD). Ces livres blancs ont l’avantage de donner aux entreprises des références académiques utiles. Mais la plupart du temps, c’est vers les encarts pratiques de ces livres que le monde organisationnel se tourne lorsqu’il a besoin de rechercher des informations. Car ces encarts donnent des bonnes pratiques utilisées par d’autres entreprises.