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7. Un journalisme collaboratif : quand le public participe

7.2. Les réactions des journalistes aux messages reçus

Les messages que peuvent recevoir les journalistes semblent assez souvent polarisés. Ils sont soit des éloges, soit des invectives et parfois des questionnements. L’heure à laquelle le message est écrit en dit déjà beaucoup sur son contenu et les journalistes tiennent compte de ce nouveau paramètre. Le répondant 7 : « Un autre à 10 h du matin, plus fouillé, il va avoir plus de valeur à mes yeux qu’à 4h du matin. Je vais abandonner. Je ne vais pas répondre et ça va finir là. » Le répondant 2 : « Parfois le ton du courriel s’explique par l’heure parce que je comprends très bien que le gars était sur la brosse et il est rentré chez lui puis il s’est mis à m’écrire des niaiseries. On le voit. On le voit dans les blogues même des fois. J’ai des collègues féminines, c’est toujours dans ces heures là qu’elles se font envoyer des niaiseries. C’est la nuit et c’est clair que c’est un gars sur la go qui a pris une bière de trop. » L’heure de l’envoi du message mène donc à une meilleure compréhension du message et la nuit semble effectivement être porteuse de messages plus négatifs. Le répondant 4 : « Je vais leur dire, écoutez, à 3 h du matin là vous devriez penser à autre chose qu’au chroniqueur du journal. Faites quelque chose d’autre, ce n’est pas sain là. »

Si plusieurs considèrent que l’heure d’envoi d’un message du public est importante pour contextualiser son contenu, d’autres ne s’en formalisent pas. Ils vérifient plutôt l’heure d’envoi quand il s’agit de collègues ou de contacts politiques. Le répondant 3 : « Je vais vérifier à quelle heure ils l’ont envoyé parce que lorsqu’il s’agit du boulot, tu ne veux pas faire traîner les gens inutilement. Lorsque ce sont des messages de lecteurs, là il n’y a pas d’urgence. C’est très rare que je vais voir à quelle heure le message est rentré en ce qui a trait aux lecteurs. » Ici, l’heure devient un facteur de pression et de performance professionnelle et moins un indicateur de contenu.

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Certains choisissent néanmoins de répondre aux lecteurs qui écrivent la nuit malgré le contenu souvent dérogatoire, mais pour cet autre journaliste, il est inutile de jeter de l’huile sur le feu. Le répondant 5 : « S’ils n’écrivent pas pour me dire vous êtes un méchant séparatiste et on devrait vous congédier, si on a une base de conversation civilisée, je leur réponds au moins merci pour qu’ils sachent que j’ai lu leur courriel. S’ils prennent le trouble de se rendre jusqu’à ma boite de courriel, je vais leur répondre. Ceux qui sont des achalants professionnels et qui écrivent des folies de tous ordres, j’ai un mécanisme pour ça qui s’appelle mettre des gens en quarantaine. » Ce journaliste a donc mis au point un système pour filtrer lui-même les courriels provenant de certains individus. Plus souvent qu’autrement, les courriels négatifs n’obtiennent pas de réponse.

Effectivement, il est souvent beaucoup plus aisé de répondre aux éloges bien que ce journaliste-ci prenne le soin de répondre à tous les courriels sans chercher à prolonger la discussion. Le répondant 1 : « Ils nous font souvent des reproches donc je réponds mais poliment là. Je ne me pogne pas avec mes lecteurs. » Les journalistes ont donc cultivé de nouvelles habitudes de correspondance pour entretenir le lien avec le lecteur, surtout lorsqu’il s’agit de réponses à des commentaires positifs. Le répondant 3 : « Alors lui il m’envoie un gros courriel de félicitations là, documenté, pondéré, respectueux. Bon. Alors ces gens-là, tu leur réponds, tu comprends? Mais en même temps, on ne passe pas une demi-journée à leur répondre et à leur dire qu’ils sont fins […] là je vais mettre leur nom très souvent, soit en avant, soit dans le texte. Parce que c’est flatteur d'avoir son nom dans le texte. C’est personnalisé. »

Ce même journaliste en développe presque des amitiés avec certains lecteurs en nous décrivant le ton humoristique de ses échanges. Le répondant 3 : « Il s’agit de quelqu’un que je connais bien, qui est un lecteur mais en même temps un informateur et qui me fait un commentaire sur ma chronique de dimanche. […] C'est très amical parce que c’est une relation avec un informateur qui est effectivement devenue très amicale. » Le ton décrit n’est donc pas représentatif des courriels habituellement échangés entre lecteurs et journalistes, mais il montre tout de même qu’il est possible de tisser des liens.

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Ces relations en deviennent presque épistolaires à l’occasion. Le répondant 6 : « À un moment donné il y a aussi un lecteur qui m’avait envoyé un très long courriel pour me dire qu’il y avait lu un article sur des questions carcérales qui l’avait beaucoup touché et là il m’a raconté son histoire. Il dit je peux vous écrire de temps en temps? J’ai dis ben oui, ça me fait plaisir. Ce n’est pas grave. Je ne répondrai pas à chaque fois mais ça m’intéresse de voir votre réflexion sur le sujet parce que c’est un ancien détenu. Alors ça donne un point de vue qui peut être intéressant. » Dans d’autres circonstances, pour ce journaliste-ci, il peut devenir important de répondre aux lecteurs pour clarifier ses positions. Le répondant 6 : « Si je réalise que la personne n’a vraiment pas compris un point, alors je dis : je pense que j’ai dû mal m’exprimer, je trouve une formule polie pour dire qu’elle a mal compris et que ce que je voulais dire c’était tel ou tel point. Je n’aime pas que ça reste sur un malentendu. »