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5. Les plateformes réseautiques dans le travail des journalistes

5.2. Les défis du blogue pour les journalistes

Ainsi, les journalistes n’adoptent pas toutes les plateformes en même temps et avec la même assiduité. Devant la surenchère de nouvelles activités en ligne, les journalistes peinent à trouver le temps de tout faire et choisissent de s’investir davantage dans une plateforme au détriment d’une autre. Au dire des journalistes rencontrés, c’est souvent le blogue qui pâtit. Ce journaliste choisit de plus en plus de négliger le sien. Le répondant 2 : « Je l’écris moi le blogue là, je mets ça en forme, il faut que j’aille exporter des photos et des vidéos. C’est tout moi qui fais, il n’y a personne qui fait ça là. Ma chronique, je l’écris, je la donne au pupitre, ils la mettent dans le journal. Je m’occupe plus de ça après là. Le blogue, je fais tout. Je trouve ça un peu lourd

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pour ce que ça me donne vraiment là. » En somme, ce journaliste rapporte qu’un blogue demande davantage de travail que son véritable travail rémunéré de journalisme écrit.

Les journalistes politiques doivent en plus conjuguer toutes ces tâches de blogue en étant souvent sur la route. Le répondant 5 : « Et sur la route, c’est compliqué, parce que là il faut aller chercher des liens quand même et puis c’était l’enfer. » Ce qui complexifie l’alimentation du blogue dans les déplacements, c’est la fréquence des billets et là, tous n’ont pas les mêmes perceptions. « Moi je crois oui effectivement, je sais que c’est une école qui n’est pas partagée d’après ce que je lis, mais je crois qu’un blogue, pour qu’il marche, il faut, au moins deux fois par jour, aller mettre des affaires dessus. » Ce journaliste se met encore une fois sa propre pression puisqu’il n’existe pas de règles formelles en ce qui concerne la fréquence des billets de blogues.

Dans certains cas, des journalistes doivent gérer eux-mêmes le flot de commentaires des lecteurs. Le journaliste se trouve ainsi à devoir juger du contenu qui peut figurer sur le site du journal. Le répondant 3 : « C’est nous qui devons les mettre en ligne. Et il faut les lire avant de les mettre en ligne parce qu’on peut faire l’objet de poursuites en libelle diffamatoire s’il y a de la diffamation sur notre blogue. Évidemment, c’est le journal qui assumerait là mais quand même. » Le blogue représente donc aussi une tâche de tri où le journaliste se trouve à la fois joueur et arbitre. Il en fait la recherche et la rédaction puis il modère les commentaires en intervenant s’il y a lieu.

Ainsi, le répondant 3 raconte qu’il doit contrôler la teneur des propos écrits à la suite de son blogue. Le répondant 3 : « Lorsqu'il y a quelque chose de trop criant là, je leur réponds sur mon blogue en disant – ben si vous voulez dire des conneries, allez sur les autres blogues, il y en a plein. » Cela dit, il semble tout de même apprécier son rôle d’arbitre. « Parfois, il m'est arrivé, lorsqu’il y a un très bon commentaire suite à un billet de le souligner. Parfois je traite les gens avec qui je blogue un peu comme une grande famille là. Je leur souhaite un bon weekend, je leur donne congé, je leur dit de se calmer le pompon un peu, d'arrêter de se quereller, enfin c’est un monde en soi hein? Parce qu’on a des habitués là-dedans. On les connaît là. Alors c’est un monde

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en soi ce qui fait que, à un moment donné, on a l'impression de leur parler. Un peu. » Ainsi, le blogue permet, lorsque c’est possible de le faire, d’identifier, de personnaliser le lectorat du journal.

Cela dit, c’est l’anonymat qui semble, pour certains, nuire à l’expérience du blogue pour les journalistes parce qu’il permettrait à certains lecteurs de réagir de façon plus agressive. Le répondant 1 : « C'est facile d'être méchant là quand on est anonyme. Je leur dis souvent, regardez- là, vous êtes anonymes, c’est un peu facile d’être méchant comme ça et de faire quasiment des appels à la haine. » Le répondant 2 abonde dans le même sens : « C’est de l’ouvrage là aussi les blogues là, c’est de l’ouvrage en amont et en aval parce que c’est moi qui modère aussi. Il faut que je fasse attention parce qu’il s’écrit n’importe quoi. Des insultes, les gens s’engueulent, les gens sont racistes, les gens sont sexistes, en tous cas, il y a toutes sortes de problèmes là-dessus. Je songe d’ailleurs fortement à imposer la signature obligatoire sous peu ce qui m’allégerait mon travail d’ailleurs et je pense que ça civiliserait beaucoup aussi. » Ce journaliste se réfère à l’un de ses collègues qui a interdit l’anonymat il y a quelques temps pour en mesurer l’effet. Selon ce que ses patrons rapportent, l’objectif principal est celui de l’achalandage et ce dernier n’en serait pas affecté. Pour ce journaliste, tout le monde en ressort gagnant puisque l’achalandage ne diminue pas et que la qualité des interventions est supérieure.

Le flot récurrent de propos agressifs n’est pas sans affecter les journalistes. Le répondant 2 : « En tous cas, moi, le blogue là j’ai de la misère avec ça. De plus en plus d’ailleurs et pas juste parce qu’on m’insulte moi, je suis capable d’en prendre. J’ai une très grande liberté de paroles, ça vient avec le prix à payer mais bon après il y a une certaine façon de s’exprimer. À un moment donné, me faire insulter 40 fois par jours sur tous les tons de la gamme là, je suis comme tout le monde. » Les journalistes ont beau éviter les messages négatifs, l’accumulation peut tout de même les atteindre. Selon ce dernier journaliste, ce serait l’une des raisons qui aurait poussé un journaliste d’un autre quotidien à cesser d’alimenter son blogue.

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Si les journalistes sont plus exposés à ce genre de commentaires, c’est aussi parce qu’ils multiplient les tribunes et les occasions de se prononcer. En s’exprimant sur une plus grande variété de sujets, ils s’adressent à un plus large public. Pour certains journalistes, il peut s’agir d’un avantage. Le répondant 6 : « pour moi c’est une opportunité de pouvoir écrire plus fréquemment parce que j’ai juste trois chroniques par deux semaines. […] C’est un avantage pour moi. Ça me permet de pouvoir au moins parler de plusieurs sujets que, autrement, j’aurais négligés. » Il faut dire aussi que le blogue est un espace privilégié de discussion où les règles du journal ne s’appliquent pas de la même manière. Le style est souvent plus informel et les sujets sont souvent plus variés allant du sérieux jusqu’au frivole (Merchant, 2006 : 92). Malgré certains aléas, les journalistes peuvent donc en profiter, mais leurs lecteurs, dans certains cas, le leur rendent bien.

6. Les nouvelles pressions des journalistes de la presse écrite