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1. L’adoption et l’adaptation du journaliste aux nouveaux outils de diffusion

1.3. Les affordances des téléphones intelligents

Le risque d’erreurs est une des préoccupations principales des journalistes quand vient le temps d’écrire avec un appareil mobile et l’écran tactile s’avère un irritant majeur pour plusieurs. Le répondant 6 : « Je ne veux pas un écran tactile. Parce qu’avec un écran tactile, on fait trop de fautes. Ça [en montrant son BlackBerry], c’est précis. » Le répondant 4 : « J’essaye de répondre le moins souvent possible sur le iPhone. Ça m’irrite d’écrire là-dessus. Je suis incapable sur un iPhone d’écrire un seul mot sans faire une erreur. Et étant quelqu’un qui travaille avec les mots, je ne peux pas me résoudre à envoyer un message avec une erreur. Donc c’est extrêmement long. » Selon ce journaliste, c’est une question de génération parce que les journalistes de moins de 30 ans semblent savoir utiliser les raccourcis sans rencontrer les mêmes problèmes.

Les utilisateurs de iPhone seraient-ils plus permissifs sur la qualité de la langue que les utilisateurs de BlackBerry par la seule forme de l’appareil? Nous tenterons d’y répondre plus loin. Cela dit, les affordances d’un appareil reposent sur les capacités de perception de l’utilisateur, un petit appareil qui tient dans la main, qui est silencieux, qui comporte un clavier suggère-t-il davantage de tâches d’écriture que le iPhone, plus gros et sans clavier? Selon Merchant, la relation entre nos mains, les outils qu’on utilise pour écrire et les surfaces sur lesquelles on écrit sont d’une importance capitale dans l’évolution de l’écriture (Merchant, 2006 : 86). Les affordances d’un nouvel outil conduisent à de nouvelles façons de créer et de construire des textes selon les mouvements des mains, des doigts et des pouces. C’est que l’écriture numérique ne fait pas que changer les mouvements des mains et des doigts, elle change aussi la relation entre l’auteur et son texte. Il ne s’agit plus d’une relation directe entre un mouvement et une marque sur une page mais d’une relation médiée par le circuit informatique. (Merchant, 2006 : 87)

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Cet autre journaliste a fait la transition du BlackBerry vers le iPhone. Un an plus tôt, il appréhendait l’arrivée du iPhone au journal parce qu’il appréciait le clavier du BlackBerry. Le répondant 2 : « Je ne suis pas sûr que je vais abandonner le BlackBerry parce que moi j’écris avec ça et de ce que je vois du iPhone et de ce que j’entends des gens qui s’en servent, ce n’est pas un appareil qui sert à écrire. Et moi j’écris. C’est un incontournable ça. Là-dessus, je ne peux même pas négocier là. » Quand on lui demande s’il est à l’aise avec le clavier du BlackBerry, il répond : « Oui à l’aise dans la mesure où on peut l’être. Évidemment ce sont des appareils faits pour les anglophones. »

Il faut dire que ce journaliste effectuait plusieurs tâches d’écritures sur son BlackBerry. Avec la fonction bloc-notes, il lui arrivait souvent de prendre en note les éléments qu’il voulait rajouter plus tard à un texte ou encore certaines idées qui lui venaient pour une prochaine chronique. Mais les tâches d’écriture auxquelles il s’adonnait sur son BlackBerry n’étaient pas forcément courtes et il en venait même à rédiger de longs textes à l’aide du clavier de son téléphone. Le répondant 2 : « Il m’arrive d’écrire des chroniques là-dessus. Oui quand j’ai le temps où quand je suis dans un avion par exemple. Un vol Montréal-Toronto, tu n’as pas le temps de sortir ton ordinateur, il est en haut, il faut que tu le prennes, il faut que tu le démarres, c’est plus long. Finalement le temps que tu perds avec la mécanique là, je suis mieux de sortir ça. Je l’ai tout le temps dans ma poche, je le sors et j’écris très vite avec ça maintenant même les accents. » Cela dit, il s’agit d’un cas exceptionnel. Aucun des autres journalistes rencontrés n’avait la même pratique.

Un an plus tard, le répondant 2 s’est habitué à son nouvel iPhone. Il semble s’être plié aux conséquences collectives involontaires de l’usage des autres (Fischer, 1992 : 19), mais certaines fonctionnalités du BlackBerry lui manquent encore : « Je me suis finalement sevré du BlackBerry. Ça a été long. Parce que pour écrire c’est franchement mieux. […] Le clavier était mieux fait avec le BlackBerry, j’écrivais des chroniques là-dessus. Et je ne regardais même pas le clavier là, c’était vraiment comme un doigté. Ça fonctionnait super bien. Ça [en pointant son iPhone], c’est pas mal plus chiant, c’est pas mal moins convivial, c’est vraiment fait pour 140 caractères et moins. » Ce journaliste s’en sert donc pour tweeter mais aussi pour formuler des

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réponses plus succinctes à des courriels. Quant aux notes qu’il prenait avec le BlackBerry, il en prend moins avec le iPhone parce qu’il fait plus de fautes avec le clavier tactile.

Plusieurs journalistes, dont ce dernier, malgré les multiples moyens technologiques à leur disposition, nous ont dit préférer prendre des notes de façon manuscrite. Witschge et Nygren (2009) pensent aussi que les conditions changeantes dans lesquelles les journalistes exercent leur métier exacerbent leur attachement à certaines traditions journalistiques. Ainsi, certains journalistes préfèrent recourir aux méthodes qu’ils connaissent depuis longtemps, notamment en ce qui a trait aux notes. Le répondant 2 : « Je prends des bonnes vieilles notes dans un calepin ou dans un cahier, le plus souvent. Sauf que si après ça j’ai une forme de chronique qui se forme, bon là je vais plutôt l’écrire soit sur le iPhone, soit sur mon portable. » Le répondant 6 : « La seule fois où j’ai pris des notes sur ça [le BlackBerry], j’ai eu de la difficulté. […] Ça m’a dépanné. Mais en général, je vais prendre un crayon, je vais avoir un cahier, j’ai toujours des cahiers d’habitude. En plus, on est capables après ça de les regrouper. »

Hormis sa grande facilité d’utilisation, le iPhone présente un autre irritant en plus du clavier. Le répondant 2 : « Je me bousille les yeux aussi, je le sens de plus en plus parce que c’est vraiment un petit écran. Ça, ce n’est pas au point. Mais bon pour le reste, c’est vrai que le iPhone est tellement plus sexy que le BlackBerry. Il est tellement plus facile, tellement plus agréable. L’écran est super beau, les applications, ça fonctionne super bien. L’écran se tourne dans tous les sens. » Ce journaliste mentionne que pour Twitter, c’est vraiment l’idéal puisque l’icône est facilement accessible, il peut rapidement aller chercher des références et les tweeter. Il mentionne aussi les jeux et la musique qu’il a transférés sur ce même appareil. Si ce n’était du clavier tactile qui l’empêche de rédiger comme avant, le iPhone serait le téléphone intelligent parfait.

En effet, parmi les avantages cités du iPhone, on note surtout les possibilités d’organisation de l’appareil. Le répondant 4 : « Je n’avais qu’un cellulaire qui n’avait pas la fonction calendrier, qui n’avait pas la fonction des contacts et j’ai réalisé qu’à la longue, ça m’emmerdait et ça me pesait beaucoup plus de ne pas avoir accès. Ce n’était pas les courriels qui

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me manquaient en mobilité, c’était l’agenda. » Plutôt que d’avoir plusieurs appareils, ce journaliste-ci s’est senti contraint d’en choisir un seul qui pouvait le mieux réunir toutes les fonctions utiles. « Il y a deux ans à peu près, je suis revenu sur ma position, je me suis acheté un iPhone mais les courriels ne rentrent pas directement dedans. » Ce même journaliste a tenté de contraindre ses compulsions à vérifier ses messages en rendant la tâche plus difficile à exécuter. Nous y reviendrons plus tard.

Quoi qu’il en soit, le téléphone est beaucoup moins utilisé pour ses fonctions de communications vocales. Le répondant 5 : « Depuis que le BlackBerry existe, et depuis que le iPad existe, le téléphone sonne 80 % de moins. » Les communications internes se font surtout pas courriels : « C’est ça aussi la vérité, c’est qu’ils ont cessé de nous téléphoner. Maintenant le desk nous parle par courriel et vice versa donc on n’a plus à se chercher par téléphone. Et puis l’horreur de voir le numéro de téléphone du journal apparaître à 7 h 30 le soir sur le téléphone à la maison là, c’est fini. » Pour ce journaliste, le téléphone a pratiquement disparu de sa pratique journalistique, la plupart de ses communications se faisant par courriel. Il peut même passer plusieurs mois à correspondre avec des interlocuteurs sans jamais avoir à leur parler.

1.4.

Les journalistes intègrent-ils les tablettes à leurs