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4. Une mobilité plus facile à gérer au quotidien

4.1. Des façons de déjouer la mobilité

Les technologies ont beau être de plus en plus mobiles et permettre le télétravail beaucoup plus facilement qu’avant, les journalistes semblent pourtant privilégier la présence physique pour une meilleure collaboration entre collègues. Le répondant 4 : « Oui on a des moyens technologiques pour rester connectés, rester en interaction, rester branchés sur l’actualité, mais la force d’un journal comme le nôtre c’est ce maillage là entre des gens assez allumés. » Ce journaliste nous a raconté l’anecdote récente d’une conversation d’ascenseur avec un collègue qui lui a donné l’idée d’une chronique : « Donc c’est pour ça que c’est important pour moi de venir, aussi des fois, tu testes des idées avec d’autres, tu penses que tu as un flash de génie, tu le testes et là tu regardes tes collègues qui disent non. […] Ça aussi c’est la force d’un journal. Voilà. »

Dans le mémoire de Leblanc, certaines alternatives, comme le travail à la maison, ont été envisagés pour désengorger la salle de rédaction de La Presse. Bien que les journalistes n’y aient pas été opposés, ils préconisaient là aussi l’atmosphère du journal parce qu’elle les stimulait dans leur travail. De plus, ils ont aussi mentionné que les contacts avec les collègues et l’accès au centre de documentation leur étaient indispensables (Leblanc, 1987 : 91). La situation ne semble pas avoir beaucoup évolué malgré l’accès à la mobilité.

Cet autre journaliste abonde dans le même sens surtout lorsqu’il s’agit de reportage, contrairement à la chronique ou au commentaire. Le répondant 6 : « On est toujours à la recherche de détails et au journal on a une recherchiste alors à un moment donné, il faut que tu sois là pour collaborer avec tes collègues aussi. » Cela dit, les corps de métiers journalistiques sont bien différents les uns des autres et tous n’ont pas les mêmes besoins ni les mêmes objectifs.

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La mobilité ne sert donc pas à tous les journalistes de la même façon. Le répondant 5 : « Contrairement à la majorité des journalistes qui vont couvrir des événements, moi il faut que je me lève en sachant ce que je fais. » Ce chroniqueur peut donc travailler un peu n’importe où puisqu’il compte moins sur les ressources d’une équipe.

Cela dit, cette mobilité peut être d’un précieux secours lorsque certains journalistes politiques souhaitent garder une partie de leurs informations secrète. Le répondant 5 : « La vérité, c’est que quand on va à la période de question maintenant il y a une multitude de conversations qui ont lieu entre journalistes qui sont assis en haut et les gens qui sont assis en bas. Mais personne ne le sait. Personne ne sait qui est en train de parler à qui. » La mobilité est au centre des relations des journalistes et du personnel politique puisqu’il est possible de communiquer sans être vus ensemble. Ce journaliste indique que certaines de ces discussions ne sont pas partagées même avec ses collègues du même journal.

Si beaucoup d’informations circulent tout de même dans un même journal, il est généralement accepté qu’on ne divulgue pas d’informations aux journalistes des journaux concurrents. Dans un domaine où le scoop est roi, il est toujours de bonne guerre de damer le pion à la compétition. Pour ce faire, il faut éviter d’ébruiter les dossiers sur lesquels on travaille. Dans ce cas-ci, les médias sociaux viennent brouiller un peu les cartes. Le répondant 6 : « On ne met pas de la nouvelle là-dessus sinon on brûle notre propre matériel. Et il y en a qui font ça. Ils sont là, youhou mes compétiteurs? Voici mon histoire. Moi ça me renverse. » Bien sûr, ce journaliste suit ceux qui mettent leur matériel en ligne avant la publication. La mobilité incite à ce genre de comportement pour tenter d’être le premier à rapporter une nouvelle. Les journalistes vont alors se servir des plateformes réseautiques, parfois à partir du lieu même de l’événement, pour faire connaître l’actualité qui fera peut-être, éventuellement, l’objet d’un article.

Il semble qu’une plus grande utilisation de la technologie dans le travail des journalistes soit reliée à une intensification de la surveillance en ligne pour en apprendre plus sur les sujets de la compétition (Boczkowski, 2009 : 50). De plus, ce genre de surveillance en ligne peut avoir des

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conséquences néfastes pour l’homogénéisation de l’actualité, les journalistes ayant tendance à reprendre les sujets des autres puisqu’ils ne voudraient pas être accusés d’être passés à côté d’une histoire importante (Boczkowski, 2009 : 48). Les journalistes auraient de moins en moins recours aux rencontres face-à-face pour l’échange de ce genre d’information. En ce sens, les plateformes réseautiques sont donc devenues un passage quasi obligé.

Selon Bourdieu, c’est la concurrence qui pousse les médias dans un état de surveillance permanente sur ce que font les autres dans le but de profiter de leurs échecs, d’éviter leurs erreurs et de contrecarrer leurs succès en reprenant les mêmes sujets avec les mêmes invités. Selon lui, la concurrence favorise l’uniformité de l’offre (Bourdieu, 1994 : 5). Les nouvelles technologies et la mobilité, de surcroît, accélèreraient le phénomène en facilitant cette surveillance.

5. Les plateformes réseautiques dans le travail des