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L’avènement de nouvelles relations entre journalistes et lecteurs du journal

7. Un journalisme collaboratif : quand le public participe

7.1. L’avènement de nouvelles relations entre journalistes et lecteurs du journal

Parmi les courriels de lecteurs, le journal papier reste la forme d’expression qui génère le plus de commentaires malgré toutes les interventions radio et télé auxquelles participent ces journalistes. Bien sûr, les courriels sont une façon de communiquer avec les journalistes mais on peut aussi réagir sur le site du journal sous l’article en question ou encore commenter des billets de blogues. Habituellement, les journalistes n’y répondent pas mais c’est tout de même une bonne façon de mesurer l’impact d’un sujet. Le répondant 4 : « De toute façon, le nombre de commentaires qui sont laissés à la suite d’un billet, c’est un grain de sable sur la plage. Je peux avoir 20 000 lectures d’un billet par exemple. Ça arrive fréquemment. Et avoir 100 commentaires ou 150 commentaires, c’est beaucoup. »

Ce ne sont pas tous les sujets qui déclenchent des réactions de la même ampleur. Le répondant 2 : « Il y a certains sujets qui sont vraiment des hot buttons là, ça on le sait. À chaque fois qu’on parle de la langue, de l’identité, des accommodements raisonnables, quand on parle des assistés sociaux, ça c’est un grand classique là, ça déferle. Tous les sujets populo, autrement dit, les mêmes sujets que les politiciens populistes emploient au Québec, évidemment. » Pour celui-ci, ce sont les sujets universels qui rallient le plus de commentaires. Le répondant 3 : « Je dirais les meilleures chroniques là tu vas recevoir entre 10 et 15 courriels. Alors j’ai toujours

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essayé de répondre à tout le monde, mais quand je dis c’est les meilleurs chroniques, c’est celles vraiment là qui vont chercher le monde. Tu n’as pas ça à toutes les semaines là ni à tous les mois. »

En attendant, ces relations qui s’installent en public peuvent être bénéfiques pour le travail des journalistes. Il s’agit d’une sorte de baromètre instantané de leur travail parce que, de nos jours, les réactions ne se font pas attendre. Le répondant 5 : « Avant, nos chroniques n’allaient pas en ligne avant le lendemain, comme un bon journal qu’on était mais c’est plus comme ça alors maintenant on envoie nos chroniques à 3 h et on commence à recevoir des courriels de bêtises à 5 h. C’est toujours agréable. » Il y a donc beaucoup moins de marge temporelle entre la publication et les réactions. Le répondant 1 : « Souvent j’ai des articles la fin de semaine, j’aime ça voir quels sont les effets, les réactions aux articles. Je n’ai pas de moment particulier la fin de semaine où je vais le faire mais je vais toujours le faire un petit peu, ça dépanne. »

En effet, il est tentant pour les journalistes de vérifier ce qui se dit sur le web à propos de leurs écrits. Certains journalistes y prennent goût et recherchent cette appréciation rapide de leur travail que leur procure le web. Le répondant 3 : « Quand t’as un blogue, t’es toujours tenté d’aller voir les réactions à ton dernier billet. Alors au début j’y allais aux demi-heures! Maintenant, avec le temps, on s’assagit là. » Ces commentaires sont-ils un gage de valorisation pour le journaliste? Les réactions dépendent-elles de la qualité du travail, de la notoriété du journaliste ou du type de sujet abordé? La réponse se trouve certainement dans l’amalgame des trois options.

Cela dit, selon plusieurs journalistes, les lecteurs semblent avoir changé leur manière d’entrer en contact avec les journalistes. Le répondant 3 : « Les lecteurs qui m’écrivent là, il y en a moins maintenant. Je pense qu’ils se défoulent sur le blogue au lieu de se défouler dans les courriels. » Pour cet autre journaliste, ce sont plutôt les médias sociaux qui servent d’exutoire pour le lectorat. Le répondant 4 : « Avant, les gens, quand ils voulaient interagir avec moi, ou ils m’envoyaient un courriel ou ils m’envoyaient un message sur mon blogue. Aujourd’hui, les gens

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vont tout simplement commenter sur leur page Facebook en mettant un lien vers mon papier ou sur Twitter. Donc je reçois moins de courriels de réactions de nos jours. […] Par exemple, j’ai écrit la semaine passée, j’ai oublié c’était sur quoi, un nombre correct de réactions par courriel, mais j’ai eu 1000 “j’aime” sur Facebook. »

Selon cet autre journaliste, les lecteurs ne chercheraient plus tant à entrer en contact avec le journaliste mais plutôt à interagir entre eux. Le répondant 6 : « Maintenant les gens peuvent réagir directement sur le site. Alors il y en a que c’est là qu’ils réagissent parce qu’ils ne veulent pas nécessairement m’écrire à moi. Ils veulent avoir une conversation avec les autres lecteurs, continuer le débat sur le sujet. » Cela dit, le répondant 4 précise que les commentateurs se répondent beaucoup entre eux alors il faut plutôt compter environ 75 initiateurs de commentaires. C’est une possible explication pour la diminution de nombre d’interactions avec les journalistes. Des différences culturelles pourraient-elles également expliquer cette situation? Possiblement.

En effet, les francophones semblent se distinguer des anglophones dans la fréquence des réactions. Le répondant 2 : « Les lecteurs francophones, pour une raison que j’ignore, interagissent beaucoup moins pas courriel que mes collègues anglophones, à qui je parle là. […] Il semble y avoir une habitude un peu sociologique de participer davantage avec les médias. » La participation est-elle réellement moindre ou se présente-elle différemment dans le lectorat francophone?

Parmi ces lecteurs francophones, ceux qui écrivent encore des courriels le font plus en longueur, comme si le courriel avait progressivement remplacé la lettre manuscrite comme lieu d’analyse et de réflexion. Le répondant 4 : « Ce que je note c’est que j’ai moins de réactions directes par courriel sauf que les gens qui se donnent la peine de le faire, écrivent plus longtemps. » Les lettres manuscrites, cependant, ne sont pas entièrement disparues et il arrive encore que certaines populations, plus âgées ou en milieu carcéral, ait recours à ce type de correspondance. Le répondant 1 : « J’ai reçu une lettre de 12 pages l’autre jour. Un gars dans un

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pénitencier qui parlait d’un blogue, c’est un prisonnier là qui m’a écrit. Et c’était un peu délirant donc non je n’ai pas répondu. »